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Fournier & Lax : "Le thème de la paternité est l’axe de notre récit."

Par Nicolas Anspach le 20 novembre 2008                      Lien  
À l’heure où certains prennent leur retraite, {{Jean-Claude Fournier}} se lance dans un nouveau défi : dessiner dans un style semi-réaliste. {{Christian Lax}}, l’auteur de l’{Aigle sans orteils}, lui a écrit {Les chevaux du vent}, une histoire se déroulant au Népal au XIXe siècle.


Une famille paysanne confie l’un de ses enfants atteint de surdité à des moines bouddhistes à l’autre bout de l’Himalaya. Plus d’une décennie plus tard, le père rongé par le remords et l’envie de revoir son fils avant sa mort, décide de devenir un cartographe-espion à la solde des Anglais...

Nous avons rencontré, pour vous, les deux auteurs de ce récit poignant au Festival de Saint-Malo.


Fournier & Lax : "Le thème de la paternité est l'axe de notre récit."Jean-Claude Fournier, pourquoi avez-vous décidé de changer de registre, de dessiner d’une manière plus réaliste ?

JCF : Mes précédentes productions n’avaient pas rencontré le succès escompté auprès du public. Et puis, nous nourrissions le projet, Christian Lax et moi, de travailler un jour ensemble. Je suis de ceux qui pensent que l’on ne peut travailler que dans l’amitié ! Et j’en ai beaucoup pour Christian. J’arrive à un âge où certains prennent leur retraite. J’ai décidé de faire l’inverse, de démarrer une nouvelle carrière. J’ai passé deux années merveilleuses à dessiner Les Chevaux du Vent ! Même si ce changement a été très difficile et long à mettre en place. Il a fallu que je perdre toutes mes habitudes de dessinateur de « gros nez ». Encore maintenant, je dois me faire violence et faire attention, par exemple, à réduire la taille des têtes des personnages par rapport à leurs corps. J’ai dessiné dernièrement une planche de Spirou pour la « galerie des illustres » du journal de Spirou. Et je me suis aperçu que je dessinais avec des proportions plus réalistes.

Vous êtes connu comme étant le maître à penser de nombreux dessinateurs bretons …

JCF : Le grand frère, plutôt ! Je n’aime pas le mot « maître ». Ni dieu, ni maître (Rires).

Vous remerciez dans Les Chevaux du Vent de nombreux auteurs dont Emmanuel Lepage. Avez-vous été rechercher des conseils auprès d’eux ? Il fut l’un de vos « élèves » …

JCF : Nous habitons à deux kilomètres l’un de l’autre ! Manu est un peu mon deuxième fils ! Il a acquis des recettes de cuisine incroyables sur la technique de l’aquarelle notamment. Et il m’en a donné quelques unes. C’est un retour sur investissement (Rires).
Quand j’étais « jeune fille », j’ai fait de l’aquarelle. C’était il y a fort longtemps, donc. Les premières planches des Chevaux du Vent sont timides, un peu pâles. Je n’osais pas y aller. Manu a observé mes planches, et m’a donné des conseils pour y aller avec plus de vigueur…

Vous n’avez jamais mis les pieds en Himalaya, qu’est-ce qui vous a plu dans cette histoire-là ?

JCF : L’idée est de Christian Lax …

Mais vous auriez pu dessiner une histoire qui correspond plus à votre vie, une histoire de marin breton par exemple…

Lax : À vrai dire, c’était ma première pensée lorsque Jean-Claude m’a proposé de travailler avec lui !

JCF : C’est bien que tu m’aies envoyé un scénario aux ambiances différentes. De toute manière, je m’étais dit que j’allais illustrer ton scénario. Quoique tu m’envoies, j’allais le dessiner ne fut-ce que par défi ! J’ai reçu ce scénario où l’on me parlait de peuples et de pays qui ne m’intéressaient pas du tout. Et ne parlons pas des religions (Rires). J’ai été acheté des livres, des films, des revues sur le sujet. En me documentant, je me suis pris de passion pour cette région qui était graphiquement intéressante à dessiner. Les Chevaux du Vent, ces drapeaux à prière, sont plaisants à croquer !
Aujourd’hui, j’ai envie de me rendre dans en Himalaya ! J’espère que l’album des Chevaux du Vent me rapportera suffisamment de droits d’auteur pour y aller !

Lax : On y va ensemble ?

JCF : Tu va crapahuter là-bas et faire un trekking. Pour ma part, je vois plutôt un voyage en 4x4 (Rires).

Christian Lax, avez-vous souvent été au Népal ?

Lax : Je n’y ai fait qu’un seul voyage de trois semaines, au pied de l’Annapurna. Les personnes qui apprécient la marche en montagne ont envie d’aller là-bas. Ce voyage m’a terriblement marqué. À un point tel que j’ai décidé d’y envoyer le Choucas dans l’album Trekking payant. J’ai également rassemblé mes croquis de voyage dans un livre qui a été publié aux éditions Paquet. Ce fut le voyage où j’ai sans doute eu le plus envie de dessiner. J’ai dû réaliser près de 70 dessins là-bas. C’est un pays qui m’a très fortement interpelé.
Mais lorsque nous avons émis l’hypothèse d’une collaboration Jean-Claude et moi-même, j’ai tout d’abord songé à lui écrire quelque chose qui lui correspondrait plus. Certaines choses me fascinent en Bretagne, comme par exemple la mythologie qui est associée au gardien de phare : un homme solitaire face à une mer démontée alors que le ciel est bas et le climat maussade. Ce genre d’atmosphère est outrageusement romantique !

Mais pourquoi ne pas lui avoir confié une histoire de ce genre ?

Lax : Jean-Claude était susceptible, selon moi, de refuser ce projet. Je lui ai donc donné une histoire que j’étais capable de dessiner un jour ou l’autre s’il ne la prenait pas ! Je me rendais compte qu’il fallait que je partage un univers dont j’étais fortement imprégné. Alors pourquoi pas celle-la ? Par bonheur, il a accepté de la dessiner…

D’où est né l’idée de mettre en scène un homme ordinaire, qui devient espion-cartographe à la solde des Anglais pour pénétrer au Mustang ?

Lax : Lors d’un festival dans la ville de Cognac, j’étais logé dans une chambre d’hôte. Une dame tenait l’établissement. Elle avait beaucoup voyagé et laissait ses albums de photos dans le salon. J’en ai ouvert quelques uns, dont un sur l’un sur ses tribulations en Himalaya. J’y ai trouvé une allusion sur ces cartographes-espions. Quelques jours après, j’ai effectué différentes recherches. J’ai découvert notamment qu’un ethnologue, Michel Pessel, avait étudié ce sujet-là. J’ai lu, dans la foulée, les classiques du genre : Alexandra David Neel et Rudyard Kipling.
Ceci dit, je ne me proclame pas être un fin connaisseur du Népal et de ces pays. Mais j’ai appris suffisamment pour écrire une fiction sur ce sujet.

Le thème du handicap est présent dans « Les chevaux du vent », comme dans beaucoup de vos albums …

Lax : Oui. Tout comme le thème de la famille et de la paternité. Je suis père de trois enfants. Il m’était naturel de parler du départ de ses enfants, de la séparation, de ses questionnements face à l’éducation qu’on leur a donnée. Me suis-je suffisamment occupé d’eux ? Un père a toujours le sentiment d’être passé à côté de certaines choses. Même si on a l’impression d’avoir fait le maximum à ce moment-là, compte tenu du contexte… Je n’ai pas l’impression d’avoir été un trop mauvais père. Mais j’avais envie de parler des rapports père-fils, et puis de ceux entre des enfants et un frère handicapé. J’étais le frère d’un handicapé, et c’est vrai que cette thématique revient dans mon travail…

Le personnage principal du récit déteste les Anglais. Il s’engage pourtant comme espion-cartographe. Sa haine s’adoucit-elle ?

Lax : Oui. Il compose, apprend à les connaître et leur pardonne un peu. Il s’est habitué à ces Anglais, qui dit-il, « ne sont pas toujours patients ». Il hésite beaucoup avant de s’engager, mais c’est son seul moyen d’approcher son fils qu’il a confié, enfant, dans un monastère loin de lui.

Comment fonctionniez-vous pour la documentation. Dessiner cette région est très compliqué du point de vue de la faune et de la flore, qui peut varier du tout au tout selon la dénivellation…

Lax : J’ai passé quelques jours chez Jean-Claude et je lui ai confié toute ma documentation, mes photographies, mes crobards, etc. Nous avons parlé de ces pays assez longuement. Ensuite, il y a eu une interprétation graphique de la part de Jean-Claude.

Jean-Claude Fournier, vous n’avez pas un style réaliste rigoureux. Vous pouviez donc interpréter les choses.

JCF : Pour le premier tome des Chevaux du vent, j’ai fourni un effort important pour quitter mon précédent style graphique, tout en respectant scrupuleusement les différents aspects documentaires. Mais c’est vrai, je n’ai pas travaillé en fonction des altitudes. Vous avez raison, on passe d’un climat quasiment tropical à celui de la haute-montagne. Je n’ai pas montré cet aspect dans le premier album. Je le ferai sans doute dans le deuxième, mais je ne peux pas bousculer du tout au tout l’aspect visuel. Le lecteur devra admettre qu’il y a une interprétation…

Lax : En même temps, le style semi-réaliste poétique de Jean-Claude fait écran ! Et puis, il a fait un travail considérable sur les couleurs. Il a formidablement bien retranscrit les ambiances et les lumières de ces régions. Et je ne parle pas des ciels !

Avez-vous eu le plaisir du débutant lorsque vous avez eu, pour la première fois, l’album entre les mains ?

JCF : Non. Je n’osais pas l’ouvrir (Rires). La surprise était moyenne car j’ai assisté à son tirage. Nous avions les originaux avec nous, et le conducteur offset s’en servait pour être le plus fidèle possible aux couleurs originelles. Le résultat est patent !

Lax : Les éditions Dupuis viennent de sortir une intégrale d’Azrayen (scénario de Frank Giroud). J’ai comparé les couleurs de la première édition avec ce nouveau tirage. L’impression est d’une qualité supérieure. Les imprimeurs ont progressé d’une manière considérable en dix ans ! Tant dans les encres, le choix du papier que dans la technique.

Quels sont vos projets ?

JCF : Terminer le deuxième tome. Ensuite, je suis ouvert à tout. Enfin, à presque tout ! Je m’aperçois que les scénaristes m’envoient des projets en fonction de l’image qu’ils pensent avoir de moi : Fournier, le Breton. Fournier, le poète. Fournier, le gentil ! J’ai trouvé la plupart de ces synopsis ridicules. J’attends qu’un éditeur me propose un projet en souffrance, qui ne soit pas spécialement écrit pour moi. Une fois pour toute, je tiens à dire que j’ai horreur de l’image que l’on m’a donnée, et qui m’insupporte totalement. Je ne suis qu’un grossier personnage (Rires).
Si Christian m’avait envoyé une histoire de bateau, j’aurais été embêté. Par contre, je suis tenté par la thématique du gardien de phare. On pourrait même passer huit jours dans un phare pour humer l’atmosphère et se documenter ! Même si les gardiens de phare se font de plus en plus rares …

Et vous, Christian Lax ?

Lax : Je démarre un livre pour les éditions Futuropolis ! Il s’agira, en quelque sorte, d’une suite à L’aigle sans orteil. Ce récit s’arrêtait brutalement en 1914, au moment où Amédée était immobilisé. Nous retrouverons certains personnages en 1919, à l’après guerre. Nous les suivrons jusque dans les années ’30. La toile de fond sera cette fois la course Paris-Roubaix, avec le Nord de la France et particulièrement le pays minier comme décor. Pain d’Alouette paraîtra en 2010 !

Cette collaboration est un bon moment entre vous, alors ?

JCF : Il n’est rien de plus plaisant dans notre métier à s’amuser à dessiner quelque chose de nouveau.

Lax : C’est ce qui m’a plu dans la démarche de Jean-Claude. Qu’un vieux con, tout comme moi, ait l’envie de bousculer sa carrière et de changer de style, cela m’a beaucoup touché. Cela m’a également motivé à donner le meilleur de moi-même dans cet album. Cette démarche me rappelait mes propres réflexions. J’ai changé mon style graphique à la cinquantaine. J’ai abandonné un style graphique classique, peu personnel, pour aller vers plus d’expressionisme pour Azrayen.

Jean-Claude Fournier & Christian Lax
(c) Nicolas Anspach

(par Nicolas Anspach)

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Des chroniques d’albums :
- Le Choucas T5, T6
- Les Tribulations du Choucas T1
- L’Aigle Sans Orteils

Une interview :
- "Il y avait alors en Haute Loire comme en Afrique un terrible poids des traditions" (Septembre 2007)

Un article d’actualité :
- Christian Lax passe au scénario (Janvier 2007)

Voire une interview sur le site de notre partenaire France5 (Mai 2008)

Illustrations (c) Fournier, Lax & Dupuis
Photos (c) Nicolas Anspach

 
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1 Message :
  • je decouvre seulement aujourd’hui 15 fevrier 2010 votre BD les chevaux du vent je l’ai relu 3 fois premiere fois l’ensemble 2eme fois le texte 3eme fois les dessins les aquarelles enfin le pays... quand allez vous faire paraitre la 2eme partie ? ala mediatheque de la roche sur yon nous sommes plusieurs a l’attendre impatiemment...merci merci merci de ce tres bon moment france benedetti

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