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Francfort 2009 : Le numérique pointe son nez

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 19 octobre 2009                      Lien  
Chaque année à Francfort a lieu la plus grande foire du livre du monde. Les éditeurs français tirent leur épingle du jeu cette année, dans un contexte marqué par une stabilisation de la croissance des mangas et les premières concrétisations dans le domaine du numérique vis-à-vis duquel les éditeurs de bande dessinée se montrent très concernés.

Cette année, Francfort célébrait les 100 ans de la bande dessinée italienne (nous y reviendrons bientôt). Pour l’illustrer, Umberto Eco s’est fendu d’un discours où il proclamait son amour pour le Neuvième Art. Nous n’étions pas plus étonnés par cette déclaration, tant les travaux de l’auteur du Nom de la Rose et co-fondateur du magazine de bande dessinée Linus, sur Superman ou sur Les Peanuts, nous avaient semblés, en leur temps, novateurs et éclairants. Mais pour le Landerneau éditorial germano-pratin de Francfort, cette caution « littéraire » avait davantage frappé les imaginations que le passage-éclair du ministre de la culture Frédéric Miterrand venu chercher en Allemagne une bouffé d’air frais en dehors de l’atmosphère délétère parisienne.

Celui qui pouvait avoir le sourire cette année, c’est Jacques Glénat. Fêtant ses 40 ans, « dont 36 ans de présence à Francfort  », l’éditeur grenoblois recueille les fruits de ses récentes acquisitions : L’Écho des Savanes, Treize étrange… qui lui vaut un catalogue riche et diversifié dont les services pour les droits étrangers ont fait leur miel. L’étendue de ses registres a fait que peu d’acheteurs sont rentrés bredouilles. Le tassement sensible du marché a été compensé par la remise en selle d’un catalogue qui ne demandait qu’à être réanimé et par une tendance, dans le contexte d’une abondance de la production, à se réfugier vers les bons vieux classiques.

Francfort 2009 : Le numérique pointe son nez
Année Tonique pour Glénat (ici, Annick Briard), qui avec ses labels Drugstore, Vents d’Ouest et Treize Etrange possède un large choix de genres de BD
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

Les mangas moins conquérants

Au niveau mondial, les formats-genre dominants [1], à savoir le manga, les graphic novels, les comics et le classique franco-belge ont trouvé leurs marques, et les croissances reposent désormais davantage sur la qualité des œuvres que sur l’ouverture des nouveaux marchés. Dans cette configuration, des glissements s’opèrent : Glénat mais aussi d’autres éditeurs peuvent offrir, grâce à leur fonds d’intégrales, des œuvres qui se classent facilement dans la catégorie des Graphic Novels. Les grandes sagas d’aventure dans un gros volume avec plus de cinq cents pages pour un prix modéré rivalisent sans problème avec la production indépendante américaine qui compose l’essentiel de ce segment de marché.

Cosplay à Francfort, toujours étonnant dans cette foire professionnelle. Viz Europe y avait évidemment un grand stand.
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

Globalement, les mangas marquent le pas. En Allemagne, depuis deux ans, les gros opérateurs que sont Carlsen et Ehapa ont réduit leur nombre de nouveautés, « parce qu’il y en avait trop », résume Joachim Kaps, de Tokyopop Germany, qui affiche une année en progression après trois ans de baisse consécutive. L’arrivée de Viz sur le marché français et allemand (le plus gros stand de mangas à Francfort) aura pour lui « un impact proche de zéro », prédit-il.

Joachim Kaps (Tokyopop Germany) : Une année en croissance après plusieurs années de baisse. Avec Benjamin, Tokyopop a trouvé son best-seller. C’est un auteur chinois.
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

Un marché stable

Le pays en crise aujourd’hui, c’est l’Espagne. Dans le contexte d’un chômage à 20%, Planeta est à la recherche d’une stratégie, Norma fait le gros dos et Glénat Espagne aurait débauché une bonne partie de ses effectifs. Seul Astiberri se montrerait dynamique dans les achats de licences. L’Allemagne affiche une reprise, « mais après plusieurs années de vache maigre  » signale un observateur. Ehapa et Carlsen, filiales de Egmont, ont reçu de Copenhague l’ordre de resserrer le catalogue sur les best-sellers. Cela tombe bien : un nouvel album du jubilaire Astérix qui sort, comme en France, le 22 octobre, devrait réanimer les bilans de ce groupe, aussi bien en Allemagne qu’en Scandinavie.

Avec Dargaud, Dupuis et Le Lombard, Media-Participations (ici, Sophie Castille, à dr.) est le premier exportateur de la BD franco-belge à l’étranger.
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

Les États-Unis reprennent après un sévère ressac qui était du à une euphorie d’acquisitions ces deux dernières années. Les Pays-Bas, le Brésil, les pays de l’Est comme la Croatie, la Serbie ou le République tchèque restent toniques, mais faibles. La Pologne souffre à cause du chiffre d’affaires négatif de la Fnac aux deuxième et troisième trimestres de 2009 qui ne pousse pas les éditeurs à acquérir de nouveaux contrats. Comme quoi, dans certains pays, la santé d’un seul acteur de la distribution du livre peut impacter sur la production de la bande dessinée.

En dépit de ses difficultés, Les Humanoïdes Associés (ici, à dr. Edmond Lee), étaient présents.
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

D’une manière générale, les classiques gardent la cote. Lucky Luke, toujours très actif au cinéma et à la télévision, reste une des marques fortes du catalogue de Media-Participations mais on voit aussi se réanimer, à travers des intégrales, des classiques comme Luc Orient d’Eddy Paape et Greg qui reparaît en Allemagne et au Portugal (dans une édition couplée avec le quotidienPublico).

Astérix va bien entendu réanimer la BD franco-belge en Allemagne. L’album sortant le 22 octobre, l’éditeur l’avait mis sous vitrine, afin que nul ne puisse le feuilleter avant la date.
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

En résumé, le marché est stable, les reculs sur certains marchés étant compensés par les avancées sur les autres.

L’enjeu du numérique

Un nouveau marché semble se concrétiser cependant : le numérique, principalement celui des Ebooks pour lequel « l’ogre Google », en annonçant un catalogue numérique de 300.000 titres (en anglais) et le « monstre Amazon », avec son « Kindle », viennent d’abattre leurs cartes.

Les éditeurs français annoncent des associations sur des solutions de stockage de leurs titres sur des plate-formes numériques mutualisées, celle de Gallimard/Flammarion/Le Seuil sur la plate-forme Eden se confrontant à l’alliance Editis/Media-Participations et à la solution préconisée par Hachette (Numilog) ou par celle des éditions Harmattan. Les uns et les autres appelant à l’ « unité » face à la concurrence annoncée des Américains, tandis que l’exploitation de la BD sur le téléphone portable s’annonce comme un vrai marché.

Ainsi, toujours en phase de forte communication, le label Ave ! Comics !, la société montpelliéraine et son lecteur de bande dessinée numérique, était très présente cette année à Francfort où elle avait loué un grand stand au cœur du « village de la BD », Faszination Comics. Casterman annonce un accord avec MobiLire sur une trentaine de titres et Walt Disney, de son côté, devrait annoncer bientôt sa propre solution sur téléphone portable,DigiComics.

Ave ! Comics (ici, Claudia Zimmer) avait un grand stand à Francfort.
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

Miroir aux alouettes ? Peut-être, mais on sent bien que cette phase est intermédiaire : le véritable enjeu porte sur des Ebooks en haute définition marquetés sur le modèle de l’Iphone. Apple annonce d’ailleurs un support de ce type pour 2010. On voit néanmoins le marché s’esquisser et les visiteurs à Francfort ont pu télécharger gratuitement des livres (dans le domaine public) sur une borne en utilisant le bluetooth. Un avant-goût de la façon dont s’achèteront les livres en librairie dans un proche futur ? C’est possible. En tout cas, les éditeurs de BD ne peuvent plus écarter cette réalité qui se combine de plus en plus avec la consommation classique du livre. Ainsi, Largo Winch vient d’être vendu en version numérique sur téléphone portable en Corée et les éditeurs coréens, nous dit-on, n’envisagent plus de publier sur papier une nouvelle série qui ne se serait pas au préalable fait connaître dans sa version numérique…

Bientôt dans toutes les librairies ? Une borne pour télécharger vos livres, par bluetooth.
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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[1Pour les distinguer des formats-support comme l’usage dans la presse, par exemple.

 
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