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Francfort 2011 : les éditeurs français de bande dessinée ont le sourire

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 17 octobre 2011                      Lien  
Est-ce un signe de reprise ? Les éditeurs français de BD ne font pas grise mine cette année à la Foire Internationale du Livre de Francfort. Au contraire : malgré les effets de la crise, ils profitent d’un ressac de la part des mangas dans le monde entier et, paradoxalement, de la vague des comics US au cinéma. Revue de détail.
Francfort 2011 : les éditeurs français de bande dessinée ont le sourire
"En cuisine avec Alain Passard" (Gallimard) de Blain va être traduit en Corée, au Japon et aux USA.

Cette année, contrairement aux deux années précédentes qui sentaient la déprime, on avait l’impression d’une certaine fébrilité dans les stands des éditeurs internationaux. Le business a l’air de reprendre et la perspective de la concurrence avec le livre électronique ne fait plus peur.

Le succès mondial des Graphic Novels profite à la bande dessinée

Ce qui frappe, c’est la conquête des librairies générales par la bande dessinée. Ces dernières années, grâce aux Graphics Novels, elle se renforce et s’amplifie au niveau mondial. La mutation des bandes dessinées franco-belges dans le format roman en pavés compacts de plusieurs albums opérée par la plupart des éditeurs hexagonaux porte ses fruits : les cessions se multiplient et dans des genres très diversifiés.

La tendance est aux livres documentaires et bien ciblés : «  “En Cuisine avec Alain Passard” de Christophe Blain (Gallimard) ou “Les Meilleurs ennemis, une histoire des relations entre les États-Unis et le Moyen-Orient” de Jean-Pierre Filiu et David B (Futuropolis) ou encore “Le Carnet de Roger” de Florent Silloray (Sarbacane) sont un bon exemple de documentaires qui intéressent énormément » nous dit Sylvain Coissard, l’agent de Gallimard, de Sarbacane et de Futuropolis qui a réussi à vendre la Collection Cockpit de chez Paquet au Japon, « car il s’agit d’un produit très bien ciblé », nous dit-il.

Sylvain Coissard, agent de Gallimard, Futuropolis, Sarbacane ou Paquet : "La tendance est à la BD documentaire"

« Le marché du Graphic Novel est à la fois mieux établi et en même temps plus fragile en raison d’un grand nombre de titres paraissant chaque année. Mais les gens que l’on signe bâtissent des catalogues, c’est du long-terme » remarque Juliette Mathieu chez Delcourt. Elle ajoute : « Marc-Antoine Mathieu a connu un très fort succès l’année dernière en Allemagne, en Espagne et en Corée. Sur la Foire, les éditeurs anglophones et japonais ont été frappés par son dernier opus “Trois secondes”, et nous espérons que cela nous permettra de le faire publier dans ces deux territoires. Guy Delisle, tous les créateurs qui parlent de la société d’aujourd’hui ou qui s’adressent aux amateurs de BD d’aujourd’hui marchent à l’international sans aucun doute. »

Juliette Mathieu (Delcourt) avec l’éditeur danois Carsten Sondergaard.

Jérôme Baron, en charge de Dupuis chez Media-Participations ne dit pas autre chose : « Les témoignages historiques sont porteurs : “Le Photographe” (Dupuis), “Marzi” (Dupuis) , “Une Vie chinoise” (Kana), “Nietzsche” (Lombard), “Freud” (Dargaud), l’Italie des années de plomb, la mort de Staline, tous ces sujets assez diversifiés avec des graphismes très riches nous permettent d’aborder des éditeurs qui n’ont pas forcément de la BD et qui peuvent décider de s’y lancer. “Nietzsche” par exemple, dont l’auteur est Michel Onfray (dessin Maximilien Le Roy, au Lombard) déjà publié à l’étranger a été une très belle opportunité. “Le Petit Livre rock” d’Hervé Bourhis ou encore “La Planète des sages” de Jul sont des sujets à la fois éducatifs et amusants, avec un dessin qui passe très bien. »

Jérôme Baron (éditions Dupuis) : "On a une belle offre, un beau line-up, un beau catalogue qui touche tous les genres qui va de l’album jeunesse au roman graphique."

Certaines nouvelles viennent renforcer encore la présence de la BD en librairie générale, comme celle de la publication de Millénium chez Dupuis : « On a eu là une belle annonce, nous confirme Jérôme Baron. Même si DC Comics a communiqué comme étant le seul à avoir les droits d’adaptation du roman en BD, ce n’est pas tout à fait correct, puisque le deal avec l’agence suédoise a été signé pour une répartition Manga, Comics, Graphic Novel. Cette annonce a suscité beaucoup d’intérêt et des questionnements aussi de la part de nos éditeurs car la communication n’était pas très bien rôdée entre les différents éditeurs et agents. Nous avons fait partir un mailing mercredi 12 octobre au matin, juste avant la Foire du Livre de Francfort, dans la journée, nous avions quinze demandes d’information. Nous avons eu la visite de pas mal d’éditeurs de bande dessinée mais aussi de romans qui ont marqué leur intérêt. Je crois que cela va être un beau projet à travailler, l’année prochaine, on va se faire plaisir. »

Sophie Castille, responsable des droits de Media-Participations (Dargaud, Dupuis, Le Lombard, Kana...). : pour la démonstration, l’iPad s’impose...

La même stratégie s’applique chez Glénat avec la licence « Le Petit Prince » de Saint-Exupéry développée en BD : elle est déjà optionnée dans de nombreux pays.

Le format « bande dessinée » trouve enfin sa légitimité

Paradoxalement, cette ouverture des librairies générales au niveau mondial profite à la BD traditionnelle franco-belge : en fait, la bande dessinée, en tant que genre comparé aux comics et aux mangas est en train de trouver sa légitimité : « Les éditeurs traditionnels ont connu pas mal de renouvellements d’équipe, c’est plein d’espoir. Le marché est difficile et je n’ai pas le sentiment que les interlocuteurs de long terme se multiplient, c’est donc une situation fragile. Le véritable espoir, visible dans les marchés européens, c’est que la librairie généraliste commence à vendre de plus en plus de bandes dessinées quels que soient finalement le format et le contenu » nous dit-on chez Delcourt.

Toute l’équipe des droits étrangers du groupe Glénat (Glénat, Vents d’Ouest, Drugstore, Treize étrange..) : Etienne Bonnin et Olivier Galli entourent leur nouvelle directrice Véronique Philibert-Philbois, venue de la maison de production de Luc Besson, Europa Corp.

La situation s’apprécie particulièrement aux États-Unis : « On commence à avoir de plus en plus de contrats, notamment en jeunesse, nous dit-on chez Media-Participations. On a placé “Monsieur Blaireau et Madame Renarde”, “Les Enfants d’ailleurs”, “Miss Annie”, “Messire Guillaume” chez Lerner (Graphic Universe). Un acteur du Graphic Novel américain comme Fantagraphics vient de faire un très beau “Gil Jourdan”. »

Monsieur Blaireau et Madame Renarde (Dargaud) traduit aux USA.

Baisse des tirages dans l’Europe du Sud et dynamisme de l’Allemagne

Les problèmes financiers de la Grèce, du Portugal, de l’Espagne et de l’Italie trouvent un écho sur le marché de la bande dessinée : « Dans la vieille Europe, les marchés traditionnels se maintiennent : Allemagne, Pays-Bas, même l’Espagne malgré la crise : les tirages sont en baisse, mais on opère pas mal de cessions, les éditeurs y sont assez dynamiques. Certains marchés sont en retrait comme l’Italie, le Portugal… et ne parlons pas de la Grèce ! » déplore Sylvain Coissard, agent pour Gallimard, Futuropolis ou paquet.

Confirmation du côté de Media-Participations : « L’Italie ne se porte pas très bien. On y voit une réduction des tirages. Les acteurs sont toujours là, mais on sent vraiment une concentration de leur marché. L’Espagne a été marquée par deux nouvelles : le rachat de Glénat par sa direction espagnole et Planeta qui a perdu DC Comics. On voit bien le repositionnement de l’éditeur américain à l’échelle européenne : Planeta DeAgostini a perdu DC en Espagne et en Italie. En France, c’est Urban Comics (groupe Media-Participations) qui a repris la licence. »

Lanfeust de Troy (Soleil) traduit au Brésil

C’est du côté allemand que les choses évoluent favorablement : « L’Allemagne redémarre un peu sous l’impulsion de nouveaux éditeurs qui ont lancé de nouvelles collections et qui se spécialisent, explique Olivier Galli chez Glénat. Le nombre de titres publiés en Allemagne est en progression depuis quatre ans. Il y a une reconquête et de nouveaux publics : Splitter Verlag a relancé son catalogue d’Heroïc Fantasy, de Science Fiction, et d’aventure, genres un peu délaissés par les acteurs traditionnels de ce marché, Carlsen et Egmont, ce qui a permis de retrouver un public nouveau et plus jeune. Du coup, Egmont revient un peu sur ce segment, tandis que Carlsen, bien qu’ils soient les éditeurs traditionnels de Tintin, a plutôt tendance à s’orienter vers le Graphic Novel. »

Willy Fadeur chez Casterman constate un frémissement du marché polonais, tandis que l’Angleterre est devenue un partenaire régulier ouvert sur les pays du Commonwealth : « Cinebook, Titan ou Knockabout comics sont des clients réguliers pour les éditeurs franco-belges » constate Edmond Lee des Humanoïdes Associés.

Dynamisme de l’Asie et des pays émergents

«  Au niveau des marchés émergents, nous continuons à travailler très bien avec l’Indonésie. Depuis trois ans, le chiffre d’affaires n’est pas colossal mais ils republient les grandes séries classiques qu’ils ont connues il y a vingt ou trente ans : Boule & Bill, Spirou, Gaston… » remarque Jérôme Baron.

« La Corée est de plus en plus intéressée par la bande dessinée jeunesse et s’intéresse à des projets transversaux entre la jeunesse et l’éducatif » nous dit-on chez Glénat.

« La Chine est un marché assez cyclique, nous dit-on chez Media. En 2002, Dargaud et Lombard y avaient vendu toutes leurs séries jeunesse. Depuis deux ou trois ans, les collaborations se multiplient, par forcément que dans l’édition. C’est un axe de développement possible sur le cinéma, le jeu vidéo, la licence, etc. Tout le monde regarde cela de très près, il y a beaucoup de choses à faire. Mais cela prend du temps. Il y a une différence de culture fondamentale par rapport à l’approche du livre, mais c’est une culture d’affaire et de relationnel qu’il faut prendre le temps d’appréhender. En termes d’édition, on continue à faire de nouveaux contrats… »

Le responsable des droits des Humanoïdes Associés, Chinois originaire de Hong Kong, confirme. Il s’y ajoute un problème de censure qui touche particulièrement à son catalogue : toute nudité est interdite.

Edmond Lee, responsable des droits des Humanoïdes Associés
Fantagraphics, l’éditeur de l’avant-garde graphique américaine publie "Gil Jourdan"

Du côté du Japon, il y a comme un frémissement. Sylvain Coissard y a vendu En Cuisine avec Passard pour Gallimard, la collection Louvre chez Futuropolis, notamment l’album Période glaciaire de Nicolas de Crecy, qui a vendu aussi son Bibendum Céleste (Humanoïdes Associés). « En fait, la crise et le manque de dynamisme du marché fait que des territoires imprenables comme le Japon frémissent un petit peu » analyse Juliette Mathieu qui constate aussi un regain d’intérêt au Brésil : « Le Brésil est très dynamique. Il y a eu le même phénomène dans de nombreux pays : ils ont eu de beaux succès avec les comics américains grâce aux films de Marvel. Ils ré-ouvrent en conséquence leurs catalogues pour la bande dessinée et là, c’est un peu notre tour. Il y a vraiment de belles choses qui s’y passent. »

Edmond Lee approuve : « Ils ont davantage de pouvoir d’achat et de plus grands groupes, comme Devir ou Companhia da Letras ». Il signale la place prise par Panini à la suite du rachat de la société de Mauricio de Souza, l’auteur de Monica, dont la revue se vend à 2 millions d’exemplaires par mois. Chez Casterman, on remarque d’ailleurs que ce sont les opérations avec la presse qui permettent de mieux pénétrer ce marché.

Les Schtroumpfs, comme Tintin, font leur retour en haut du box-office.

Tintin superstar

L’éditeur tournaisien et Moulinsart, les éditeurs de Tintin, avaient la banane. Bien que la licence ait été relancée depuis quatre ans, tous les éditeurs ont repositionné leur catalogue en vue du film de Spielberg :« Tintin est tous les jours dans tous les journaux du monde entier, s’enthousiasme Willy Fadeur. Nous avons des difficultés à assurer les demandes de réimpression. On a trop de boulot mais on a tout lieu d’être contents ! »

Willy Fadeur de Casterman. 2011 est une année Tintin.

Le même phénomène frappe les Schtroumpfs qui se déclinent en de nombreux produits et dont la licence est relancée dans le monde entier.

Cette embellie souligne, s’il en était besoin, le lien de plus en plus fort entre le livre et le cinéma et tous les autres supports.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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