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Franck Biancarelli ("Le Livre des destins") : « Je mets la position de l’auteur bien en dessous de celle du dessinateur ou du scénariste. »

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 7 février 2011                      Lien  
Trop discret, Franck Biancarelli est un des dessinateurs les plus doués de sa génération. Il publie ces jours-ci le 4e volume un cycle en cinq tomes du « Livre des Destins » scénarisé par Serge Le Tendre qui est autant un thriller passionnant qu’un hommage aux grands classiques de la BD américaine. Rencontre.
Franck Biancarelli ("Le Livre des destins") : « Je mets la position de l'auteur bien en dessous de celle du dessinateur ou du scénariste. »
Le Livre des Destins T3, avec Serge Le Tendre
Éditions Soleil

Vous travaillez depuis une quinzaine d’années dans le monde de la BD mais auparavant, vous étiez prof de maths. Comment passe-t-on d’un métier à l’autre ?

Je voudrais tout d’abord signaler que je n’étais que maître auxiliaire. Certes, face à la classe, cela s’appelle aussi être professeur, mais je me devais de donner cette précision en mémoire de tous mes anciens camarades qui, eux, ont fait l’effort de passer l’agrégation ou le CAPES.

Ensuite, je dois vous dire que j’ai déjà essayé par deux fois de sortir cette information de ma bio. Pour cela j’en ai fait parvenir une nouvelle aux services de l’attachée de presse Soleil. Manifestement, à chaque fois, cela se perd dans les limbes.

En fait, je déteste parler de ça. Je pense qu’il n’y a rien de plus stupide pour faire de la bande dessinée que de faire autre chose que des études de dessin. Être autodidacte est une perte de temps. Donc comment passe-t’on de l’un à l’autre ?... En perdant beaucoup de temps et de confiance en soi car au bout du compte on ne se sent légitime ni dans un domaine ni dans un autre.

Heureusement, j’ai, pendant une année, échangé des courriers avec Christian Rossi. Par la suite, une semaine par an, pendant cinq ans, je suis allé chez lui. Cela m’a donné le goût et la force de persévérer. On a beaucoup philosophé, c’était génial. Mon seul regret c’est qu’en des laps de temps aussi courts, on n’a jamais vraiment abordé la technique. Mais c’était super, je lui dois tout et me souviendrai de ces moments toute ma vie.

Planche du Tome 1 du Livre des Destins
(C) Éditions Soleil

Vous êtes toujours resté très fidèle aux éditions Soleil ?

Je me sens très bien chez Soleil. Mourad [Boudjelal] et Jean [Wacquet] sont des personnes pour lesquelles j’ai le plus profond respect. Ils me font une confiance totale et je les en remercie. Donc, je ne cherche pas ailleurs. Par contre, il est vrai que je suis très sollicité par des auteurs travaillant dans d’autres maisons d’éditions ou directement par d’autres éditeurs. La plupart du temps je dis non, mais récemment est arrivée une proposition que j’étudie avec beaucoup d’intérêt.

Croquis de Franck Biancarelli pour "Le Livre des Destins"
(C) F. Biancarelli.

Vos influences sont visibles : Alex Toth, Noël Sickles, Milton Caniff, mais aussi Tardi... Qu’en est-il ? Est-il facile de se débarrasser de telles empreintes ?

Mes deux grandes influences me semblent être Alex Toth et Jose Luis Garcia Lopez. Il en va des influences comme de la famille. Certains ressentent cela comme un carcan dont ils doivent se débarrasser pour aller plus loin, d’autres comme une force sur laquelle ils s’ appuient naturellement, sans réfléchir. Je suis dans le second cas. Se débarrasser ou pas de ses influences ne me semble pas faire parti de l’équation pour devenir un artiste qui compte.
Regardez comme Moebius s’est mis dans les traces d’Alex Toth. Il a épuré son trait à l’exacte manière de ce dernier dans ses croquis automatiques. Moebius est même allé jusqu’ à faire du personnage de A job well done, un des héros de L’Incal, à savoir le Méta-Baron. Est-ce important ? Frank Miller lui-même aura passé toute sa vie sous influence . D’abord Gil Kane et Jose Luis Garcia Lopez, puis Toth et Steranko. Bref, mes influences m’obsèdent suffisamment peu pour que je les laisse vivre leur vie.

Vos débuts se font dans l’Heroïc Fantasy, vous trouvez que ce genre est méprisé en France ?

Je n’ai aucun avis sur l’Heroïc Fantasy. On m’a demandé de commencer dans l’Heroïc Fantasy, qu’à cela ne tienne, j’ai commencé dans l’Heroic Fantasy. J’avais un fantasme et dans une certaine mesure, je l’ai toujours : J’aurais aimé être un artiste à la manière des mes maîtres américains du Comics. J’aurais aimé qu’on puisse me dire "Tiens voilà un scénario" et, quel qu’il fut (Heroïc Fantasy ou autre), en tirer quelque chose de bien. C’est, pour moi, le degré ultime de l’artiste de bande dessinée.

Le Livre des Destins T4, avec Serge Le Tendre
Éditions Soleil

Bref, je suis bien loin de l’autre fantasme, celui de l’auteur. Je parle là de sensations personnelles, mais je mets dans mon panthéon personnel, la position d’auteur bien en dessous de celle de dessinateur ou de scénariste... comme une forme abâtardie.

Hélas, je me suis rendu compte, au fil des ans, que je n’aurais jamais la stature de mes grands héros de l’enfance car j’avais besoin de me sentir des affinités avec l’histoire que je raconte pour faire du bon travail. C’est une grande déception personnelle, j’essaie de transformer cette déception en force.

Depuis que je m’investis dans les histoires (autant que le scénariste me le permet), mon travail devient meilleur et maintenant je fais très attention à l’histoire comme au genre dans lequel elle s’ exprime.

Le Livre des Destins T4, avec Serge Le Tendre. Projet de couverture inédit.
(C) Le Tendre et Biancarelli.

Le Livre des Destins est la série qui vous a fait connaître. Comment ce projet est-il arrivé jusqu’à vous ?

C’est Serge Le Tendre qui me l’a proposée en festival, lors de notre première rencontre. Je crois qu’il avait essuyé pas mal de refus d’autres auteurs. Je n’étais donc pas son premier choix mais je pense qu’on en a fait quelque chose qui n’aurait pas existé avec un autre. Je parle notamment de la bascule du personnage dans le tome 2 et le tome 3 ainsi que de quelques expériences de narration comme celles, entre autres, du Tome 4.

C’est un cycle qui se termine ?

Oui, j’ai démarré le cinquième et dernier tome.

Le Tendre vous donne-t-il d’entrée toutes les pièces du puzzle, ou vous ménage-t-il des surprises ?

Finalement, même s’il est le scénariste, beaucoup de choses se sont faites à deux. Le premier et cinquième tome sont ceux qui lui appartiennent le plus. Pour les autres il m’a fait le plaisir de répondre à beaucoup de désirs narratifs que je souhaitais approfondir.

Donc, une partie des pièces du puzzle sont fabriquées à deux. Pour autant, Serge reste le scénariste et bien sûr me ménage quelques menues surprises.

Première planche du T4 du Livre des Destins. L’amateur y percevra un hommage à l’Alex Toth de "Bravo pour l’aventure".
(C) Éditions Soleil

Quels sont vos projets ?

La fameuse proposition que j’étudie avec beaucoup d’intérêt mais il est peut être un peu tôt pour en parler. Je vous propose de refaire un article dès que je peux en dire plus, ah, ah...

Propos recueillis par Didier Pasamonik

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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