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François Boucq : (Angoulême 2015) "Il ne faut pas oublier que ceux qui connaissent le mieux la BD, c’est encore ceux qui la font"

Par Christian MISSIA DIO le 27 janvier 2015                      Lien  
Marquant le point d'orgue des 20 ans de la collection Signé des éditions du Lombard, "Little Tulip" fut aussi l'une des sorties majeures de l'année 2014.
François Boucq revient sur la genèse de ce projet mais s'exprime aussi sur le festival d'Angoulême.
François Boucq : (Angoulême 2015) "Il ne faut pas oublier que ceux qui connaissent le mieux la BD, c'est encore ceux qui la font"
Little Tulip - Par François Boucq & Jerome Charyn - Signé/Le Lombard

Comment est né le projet « Little Tulip » ?

François Boucq : Ça faisait longtemps que Jerome Charyn voulait retravailler avec moi. Nous n’avions plus collaboré depuis 24 ans et à chaque fois que l’on se croisait, il me relançait mais avec toutes mes activités, je ne pouvais jamais lui répondre positivement, d’autant plus que j’étais engagé sur plusieurs séries.

Mais il y a un an et demi, nous nous sommes retrouvés à l’initiative du Lombard et l’idée est revenue. Cette fois-ci j’ai accepté. Jerome m’a d’abord proposé un projet que je trouvais un peu trop laborieux, il s’agissait d’une BD sur Charlemagne mais cela ne m’intéressait pas outre mesure. Je lui ai alors suggéré de me faire une histoire qui aurait le dessin pour le sujet central mais en même temps, il fallait que ce scénario se déroule dans un cadre particulier et qu’il y ait de l’aventure. Disons que nous cherchions un contexte dans lequel ce sujet pourrait le mieux s’exprimer. Lorsque j’ai découvert des documents parlant de la vie dans le goulag et surtout des documents qui montraient que les criminels et autres prisonniers de droit commun étaient tous tatoués, j’ai su que je tenais un bon sujet à traiter en BD.

Le tatouage m’a toujours intéressé car c’est une discipline qui m’impressionne. Je me suis toujours demandé comment on pouvait faire du dessin sur la peau de quelqu’un et comment ce même dessin pouvait changer l’allure de ce quelqu’un. J’ai donc proposé à Jerome de travailler là dessus. En partant de cet idée, nous avons pu développer une histoire.

Bouche du diable - Par François Boucq & Jerome Charyn - Signé/Le Lombard

Aujourd’hui, le tatouage fait partie de l’attirail de toute personne un peu branchée, c’est même devenu complètement banal. Pensez-vous que le grand public a encore conscience de toute la spiritualité qui entoure le tatouage ?

De nos jours, il y a beaucoup de tatouages qui sont plutôt du genre "décoratif" ou alors, parfois, certaines personnes cherchent à fixer un événement sur leur peau.

Dans le cadre du goulag, ce qui était intéressant c’est que le tatouage pouvait revêtir plusieurs dimensions : il pouvait aussi être autobiographique : on racontait les événements majeurs de notre vie à travers nos tatouages. L’autre signification, c’est que le tatouage servait d’élément de protection, il relevait du chamanisme. Les superstitions pouvaient être fixées grâce au tatouage. Il servait aussi de reconnaissance, d’appartenance à un clan. Il y avait tout un langage extrêmement sophistiqué lié au tatouage.

C’est assez intéressant car lorsque l’on parle avec des tatoueurs d’aujourd’hui, ils nous expliquent qu’avant, les tatouages se faisaient de façon à ce qu’ils ne débordent jamais au delà des vêtements. Ils s’arrêtaient aux poignets ou à la base du coup. Le tatouage était quelque chose de privé. Aujourd’hui, par contre, on voit l’effet inverse. Le tatouage doit se voir. Il faut qu’il déborde de par dessus les vêtements. C’est comme si le tatouage n’était plus quelque chose de l’ordre de l’intime. C’est quelque chose qui relève désormais de l’ordre du social. Il faut montrer que l’on est tatoué. Je pense que ça dépend aussi des sociétés car dans certaines d’entre elles, on continue de faire des “tatouages magiques” comme en Nouvelle Zélande, par exemple. Le tatouage relève encore de la totémisation ou de l’élévation de certaines personnes que l’on a envie de mettre en avant. Ça parle de l’énergie intime que l’on a envie de garder en soi, etc.

La Femme du magicien - Par François Boucq & Jerome Charyn - Signé/Le Lombard

Avez-vous été voir l’exposition sur le tatouage qui se tient actuellement au Quai Branly à Paris ?

Oui, j’ai été voir cette expo et c’était fascinant car il y avait tous ces aspects du tatouage qui étaient évoqués. Je ne porte pas de tatouages, mais je suis fasciné par ça car c’est quelque chose de particulier. C’est un dessin fait sur un corps, qui peut saigner. C’est une expérience un peu rude... C’est très différent que de dessiner sur une feuille de papier. En tout cas, c’est moins spectaculaire au niveau de la dramaturgie (rire).

Comment décririez-vous votre relation avec Jerome Charyn ? Vous voyez-vous souvent en dehors de vos collaborations professionnelles ?

Non, pas trop en fait. On s’est vu quelques fois. On s’est croisé dans des salons du livre... Jerome est en fait quelqu’un de pas très expansif. C’est une personne qui garde beaucoup pour lui, un peu comme si il gardait un maximum pour son écriture. Donc les échanges se font presque d’une manière induite. Il ne s’agit pas d’un échange direct, c’est plus un échange par allusions. Mais je pense que l’on est amis.

Depuis 2012, le Bouncer a quitté les Humanoïdes Associés pour passer sous pavillon Glénat.
Bouncer T8 : To Hell - Boucq & Jodorowsky - Glénat

Lors de notre précédente rencontre, le Lombard venait juste de débuter la réédition de vos œuvres. Nous sommes deux ans plus tard, pourriez-vous faire le bilan de cette opération ?

Tout se passe très bien. Je trouve même que pour certains albums que j’ai réalisé il y a plus de vingt ans, c’est une redécouverte pour moi. C’est comme si je les voyais avec un autre œil, il y a cet aspect "nouveauté". Cela est notamment dû à la nouvelle maquette de couverture et à la mise en place. Le public peut découvrir une œuvre comme La Femme du magicien comme si c’était une nouveauté et c’est plutôt bien. Cela donne un regain de vitalité à tous ces albums.

L’année dernière, vous aviez clôturé le dernier diptyque Bouncer avec l’album "And back". Pourriez-vous nous en dire plus sur la prochaine histoire de votre héros manchot ?

J’aimerais que ce soit une histoire d’un seul tenant, un one-shot, même si cet album est un peu plus long en terme de pagination. Par exemple, l’intérêt de Little Tulip réside aussi dans le fait que l’on donne une seule histoire à lire et le lecteur ne doit pas encore attendre un an ou deux pour en connaître la conclusion. C’est bien d’en faire un peu mais je ne veux pas que ce soit systématique.

Bouncer T9 : And back - Boucq & Jodorowsky - Glénat

Vous arrive-t-il d’intervenir dans les scénarios ?

Oui, tout à fait. Que ce soit pour Bouncer ou pour Little Tulip, aujourd’hui, je ne peux plus dessiner une histoire si je n’interviens pas directement dans l’écriture. Je suis complètement impliqué dans l’histoire. Je ne peux pas être un dessinateur qui se contente de suivre le scénario à la lettre. Je l’ai fait une fois avec beaucoup de servilité mais c’était parce que le scénario était bien. C’était pour le XIII Mystery consacré au Colonel Amos, ce n’est pas un personnage qui m’appartient, donc je me suis plié au truc et puis c’est tout. Et puis, j’étais curieux de voir ce que ça allait donner lorsque je me laisse guider mais comme c’était une bonne histoire, je n’avais aucun scrupule à le faire mais je ne le ferais pas tout le temps. Je préfère être bien impliqué dans l’écriture. Je crois que pour bien raconter une histoire, il faut s’impliquer dans le scénario. Je sais que ce n’est pas vrai pour tout le monde, d’autres dessinateurs arrivent à bien traduire les idées de leurs scénaristes.

Irez-vous à Angoulême ?

Oui, il y a des chances. Lorsque l’on fait partie des Grands Prix, on est invité tous les ans à participer au festival, donc je suppose que cette année, ce sera pareil.

Mais il y avait eu pas mal de turbulences l’année dernière...

Oui, bien sûr. Je pense qu’ils ne s’y étaient pas bien pris....

XIII Mystery T4 - Boucq & Alcante - Dargaud

Est-ce que l’on connaît les raisons qui les ont poussé à changer le mode de scrutin ? Il y avait des accusations de copinage...

Non, il n’y a jamais eu de copinage. Les votes des Grands Prix se font avec beaucoup de sérieux et en même temps beaucoup de scrupules. On se demande si cela vaut vraiment le coup de le donner à untel plutôt qu’à un autre mais en même temps, il n’y a pas que le paramètre des gens que l’on connaît, il y a aussi le fait que le lauréat du Grand Prix va servir le festival et sera aussi une image que l’on se fait de la BD en Europe.

Quand on met tous ces paramètres les uns à côté des autres, on essaie de choisir la personne la mieux adaptée. Et vous le voyez, lorsque l’on donne un prix, la chose qui fait que, d’année en année, il y a des mécontents, les gens du festival ont mis en place un système qui leur aurait permis de tirer leur épingle du jeu mais finalement, cela leur retombe dessus parce que le gars qui est sélectionné fera peut-être l’unanimité auprès du public mais viendra-t-il pour autant au festival ? Ce n’est pas sûr.

Donc, ils sont bien embarrassé parce qu’un festival qui n’a pas de présidence, une autorité qui va donner une impulsion à l’évènement devient un festival pluraliste. L’idée était de choisir une personnalité qui allait donner une impulsion à la BD et présenté au grand public une de ses facettes. J’espère que les organisateurs d’Angoulême tireront les leçons de toute cette histoire parce que les votes que nous faisions, nous les faisions vraiment bien. Et il y a encore plein d’auteurs qui n’ont pas encore reçu ce prix alors qu’ils le méritent. Il ne faut pas oublier que ceux qui connaissent le mieux la BD c’est encore ceux qui la font. Donc, lorsqu’il faut juger le travail d’un auteur, c’est encore nous les mieux placés pour faire ce travail-là.

Voir en ligne : Little Tulip sur le site du Lombard

(par Christian MISSIA DIO)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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En médaillon : François Boucq
Crédit photo : Christian Missia Dio

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5 Messages :
  • Attention les fautes d’ortographe !!!

    Oui, tout à fait. Que ce soit pour Bouncer ou pour Little Tulip, aujourd’hui, je ne peux plus dessiner une histoire si je n’interviens pas directement dans l’écriture. Je suis complètement impliqué dans l’histoire. Je ne peux pas être un dessinateur qui se contente de suivre le scénario à la lettre. Je l’ai fait une fois avec beaucoup de servilité mais c’était parce que le scénario était bien. C’était pour le XIII Mystery consacré au Colonel Amos, ce n’est pas un personnage qui m’appartient, donc je me suis plié au truc et puis c’est tout. Et puis, j’étais curieux de voir ce que ça allait donner lorsque je me laisse guider mais comme c’était une bonne histoire, je n’avais aucun scrupule à le faire mais je ne le ferais pas tout le temps.

    J’en profite pour dire que c’est super de prévoir un nouveau Bouncer mais qu’en est-il du dernier tome du Janitor ? Ne serait-il plus à l’ordre du jour ?...
    Il serait intéressant de savoir si l’arrêt de cette série (l’avant-dernier tome date tout de même de 2011), est liée au seul succès du Bouncer dont les tirages sont sans doute bien supérieurs.

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  • Les tomes de Bouncer presentes sont les tomes 8 et 9, pas 12 et 13. Il n’y a que 9 tomes sorties pour l’instant.

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  • Merci pour vos observations.
    L’article a été corrigé.

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  • Le remarquable artiste du crayon François Boucq parle d’or quand il dit :"Il ne faut pas oublier que ceux qui connaissent le mieux la BD c’est encore ceux qui la font.Donc, lorsqu’il faut juger le travail d’un auteur, c’est encore nous les mieux placés pour faire ce travail - là. " Ainsi , dans cette logique, un scrutin qui réunit les suffrages de 2000 artistes de la BD a-t-il plus de chances de viser juste que le vote d’une grosse vingtaine de Grands Prix fussent - ils scrupuleux et appliqués. Quant à l’assertion énoncée comme quoi il n’y aurait jamais eu de copinage, c’est vrai qu’on y croit fermement.

    Globalement les Grands Prix ont payé la répétition de leurs excès de coquetterie aux relents de caprices d’enfants gâtés qui cassent leur jouet. Inconséquence de la jeunesse et de la maturité même combat ?

    Ils ne s’ attendaient visiblement pas à la même punition.

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    • Répondu le 29 janvier 2015 à  10:59 :

      que veut dire quoi "connaître la BD" ?
      - Est-ce une connaissance de la culture BD ? (historique, géographique...) - Beaucoup d’auteurs ne lisent pas de BD... ne connaissent pas des pans entiers de cette culture, ne s’intéressent pas à la création contemporaine...
      - Est-ce une connaissance des ressorts de la création ? (beaucoup de dessinateurs ne s’intéressent pas réellement au scénario, il suffit pour s’en convaincre de lire certaines interviews, beaucoup de (bons) scénaristes ne comprennent pas les problématiques du dessin...)
      - Est-ce une connaissance des personnes (tel(le) auteur(e) sera-t-il(elle) capable de réussir sa présidence sur le plan de la communication ?

      Certains savent lire, analyser... certains savent dessiner, ou raconter en image, d’autres savent écrire, d’autres encore savent communiquer...
      Beaucoup d’autistes aussi (et pardon pour les autistes)

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