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François Boucq : « Avec Bouncer, Jodorowsky voulait faire un western shakespearien »

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 8 juin 2008                      Lien  
Le Bouncer est un de ces personnages dont Alejandro Jodorowsky a le secret: ce dandy manchot est un redresseur de tort qui terrasse ses ennemis comme la foudre de son seul bras valide. Il est aussi un redoutable séducteur convoité par les femmes. Rencontre avec François Boucq, son dessinateur.
François Boucq : « Avec Bouncer, Jodorowsky voulait faire un western shakespearien »
Bouncer. Le tome 6 vient de paraître.
Humanoïdes Associés

Quelle est l’apport particulier de Jodorowsky à l’univers du western ?

Alejandro avait une vision a priori très intéressante. Il disait : « Je veux faire un western shakespearien ! ». D’emblée, il se positionnait comme un rival de Shakespeare ! Je me suis posé ces deux questions : Qu’est-ce qu’un western, et qui plus est, un western shakespearien ? Et qu’est-ce que Shakespeare dans la tête d’Alejandro ? L’aspect intéressant de ce défi, c’était l’idée de rivaliser avec une sorte de tragédie antique, l’ambition de tirer le western vers quelque chose d’ambitieux du point de vue littéraire. D’un autre côté, ce qui m’intéressait, c’était de faire quelque chose d’historiquement fiable. Surtout ne pas aller voir les films hollywoodiens, ne pas essayer de s’inspirer de John Ford ou de Sergio Leone, mais essayer de reconstituer les choses surtout à partir des photos. J’aimais bien contempler certaines physionomies de personnages, entrer dans une certaine intimité que permet la photo : voir comment ils s’habillent, par exemple. Ces mecs qui passaient leur temps à faire des casses de banque étaient habillés comme des dandys, des zazous de l’époque. C’étaient souvent des gens très jeunes. Toutes ces informations donnaient le substrat à partir duquel on pouvait envisager une nouvelle manière d’utiliser l‘univers westernien pour raconter une histoire.

Bouncer Tome 6 ; La veuve noire par Alejandro Jodorowsky et François Boucq.
Ed. Humanoïdes Associés

Dans El Topo, par exemple, on a l’impression que l’influence majeure n’est pas John Ford, mais plutôt le côté baroque du Médée de Pasolini. Je pense à ce personnage avec la hache dans la tête et sa cohorte de gamins monstrueux qui sont autant de clones de lui-même…

C’est ce que j’aime chez Jodorowsky, c’est d’avoir des personnages dont le relief donne envie de découvrir qui ils sont. Un personnage qui a un hache dans le crâne, c’est visuellement intéressant mais aussi dramatiquement. Est-ce qu’on peut vivre avec une hache dans le crâne ? On a des exemples tous les jours qui montrent que c’est possible. Grâce à ce détail, on a d’un seul coup une épaisseur au personnage qui prend de l’ampleur narrativement. Va-t-on lui enlever sa hache ? Comment vit-il ses maux de crâne terribles ? Tout cela détermine le récit. Comment le héros peut-il maîtriser un personnage comme cela ? Ce sont des éléments très fertiles qui participent au renouvellement de l’utilisation tous azimuts de la bande dessinée. La difficulté, ce n’est pas de dessiner ce type de personnage mais de le faire accepter par le public, de le rendre plausible dans le cadre de l’histoire. Une fois qu’il est plausible, cela entraîne une série d’éléments qui rendent l’histoire plus intéressante, plus forte.

La facture du dessin reste dans une lignée très classique, celle d’un Jean Giraud…

Je suis complètement dans cette tradition du dessin réaliste et plus cela va, plus je m’y enfonce. Bien sûr, Giraud a une importance dans ce domaine, mais mes maîtres en réalisme, c’est aussi Alex Raymond, des gens qui vont vers l’épure. La bande dessinée est une écriture qui doit être aussi limpide qu’une écriture littéraire. On doit sentir le mouvement, une dynamique, une fluidité qui accompagne la narration. L’un et l’autre doivent être conjoints en permanence. Le dessin doit être à certains moments très calme et à d’autres pulsé comme s’il était un réacteur, devenir doux puis redevenir dur à un autre moment du récit. On joue avec comme on joue d’un instrument dans une symphonie, avec des rythmes et des intensités différents. J’essaie d’avoir un récit comme cela, avec un mouvement continu mais avec des tas de mouvements à l’intérieur qui vont créer des rythmes de façon à ce que le lecteur soit emporté, perde la notion du temps.

François Boucq à Paris
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

Comment on travaille avec Jodorowsky ?

De la façon la plus aimable qui soit ! D’abord, on discute ensemble, on parle des personnages et de ce qui pourrait leur arriver. Alejandro va s’intéresser à la structure du récit. Il propose alors des défis qui sont autant de mises en péril : « Est-ce que tu serais capable de… ? » Ma réponse est toujours : « je vais essayer, je vais tenter de le rendre acceptable pour le lecteur ». Si je n’y arrive pas, si je ne réussis pas à comprendre un personnage, on bifurque. Mais si je le rends acceptable, on peut continuer dans ce sens-là. Donc, tant que l’album n’est pas fini, il peut toujours y avoir des moments qui se modifient, des idées qui vont surgir grâce à la façon dont je réalise certains personnages. Il y a des interactions qui vont ainsi faire fructifier le récit. Ce qui est intéressant dans le travail avec Alejandro, c’est que tout peut arriver à n’importe quel moment et, d’une certaine manière, je renchéris dessus ! Par exemple, en dessinant le chef indien, j’ai eu envie de le dessiner avec un œil en moins. Immédiatement, Alejandro s’en est saisi pour inventer un dialogue qui implique une relation avec un personnage qui lui aurait fait perdre cet œil ! Cela permet de garder à l’histoire un aspect spontané.

Les circonstances m’imposent cette question : est-ce que la situation des Humanoïdes Associés, actuellement en Redressement Judiciaire, va affecter le destin de Bouncer ?

Pour l’instant, non. D’abord parce que j’ai toujours donné ma confiance à Fabrice Giger et jusqu’à présent, il ne l’a jamais trahie. Je ne vois donc pas pourquoi je devrais quitter le navire aussitôt qu’il y a un petit coup de Trafalgar. Au contraire : si la série Bouncer peut aider à supporter le choc de ce qui est en train de se passer, c’est tant mieux, je préfère cela. Je suis favorable à ce que dans la bande dessinée, il y ait un pluralisme et qu’on le maintienne. Je trouve que Fabrice a un côté visionnaire dans sa façon de concevoir la bande dessinée. C’est même ce qui l’a peut-être parfois un peu desservi. Il a été parfois un peu trop vite par rapport au contexte. La bande dessinée est influente comme un laboratoire créatif dans lequel on peut créer avec très peu de moyens. Je suis confiant dans le lien entre la bande dessinée, le cinéma et le multimédia.

Propos recueillis le 6 juin 2008.

Bouncer Tome 6 ; La veuve noire par Alejandro Jodorowsky et François Boucq.
Ed. Humanoïdes Associés.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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Illustrations : © Les Humanoïdes Associés
Photos : Didier Pasamonik (L’Agence BD)

 
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