Récemment nominé au Prix Tournesol du FIBD, Fraude qui peut ! est le fruit d’une collaboration de deux années entre le vétéran de la BD de reportage Sébastien Girard (Chronique d’un kidnapping et L’invasion Invisible) et les irréductibles membres de BLOOM.
Fondée en 2005 par Claire Nouvian, BLOOM se dévoue aux océans et à sa biodiversité dans un contexte global de surexploitation et réduction de la biomasse. Sa mission est d’œuvrer pour le bien commun, en préservant l’un des plus grands écosystèmes de la planète. Ils proposent de nouveaux liens durables et respectueux du vivant entre les humains et la mer et mènent de longues enquêtes auprès des méfaits de l’industrie de la pêche. Sa team de scientifiques et journalistes a déjà remporté quelques grandes batailles, tel en juillet 2021, où au terme d’une longue campagne, ils ont obtenu l’interdiction de la pêche électrique en Europe.
Cependant, une flotte néerlandaise ne fait pas dans la dentelle et préfère frauder plutôt qu’abandonner son « innovation » et ses formidables profits. L’album de 80 pages de l’ONG narre le combat mené par ses membres pour rappeler les industriels à la loi et contenir leur fuite en avant, le tout dans un contexte adverse, défini par une Commission européenne plus que complaisante aux demandes d’une clique écocide.
Représentée par une petite pieuvre sympathique, BLOOM s’insère dans la narration et nous explique la longue, et souvent éreintante, histoire de sa lutte. Notamment celle pour l’obtention du remboursement des subventions européennes ayant bénéficié au développement de la pêche électrique et la dénonciation des malversations entourant cette pratique.
Contrairement à d’autres albums de reportage, qui préfèrent lancer ses lecteurs en pleine enquête, Fraude… dédie une partie considérable de ses planches à éduquer ses lecteurs contre les sophismes des industriels, à débroussailler ce que les rapports peuvent cacher et les duplicités inhérentes dans le choix de certains mots. Ils nous apprennent à voir entre des belles paroles comme la pêche à « impulsion » utilisée pour ne pas dire électrique. Ou encore la tergiversation des résultats scientifiques en ne montrant que des données partielles.
Tout un arsenal de demi-vérités et d’infox qui sont souvent relayées par la presse, sans jamais remettre en question l’envers des discours produits par les puissants dispositifs de communication de l’industrie de la pêche.
Au fil des pages, le portrait que nous dresse BLOOM de l’état actuel de nos océans est troublant. Longtemps pensés inépuisables, ils sont à présent pillés jusqu’à l’épuisement, loin des regards de l’opinion publique et des décideurs politiques. Pourtant, le réveil est amer, les méduses, les algues et les bactéries remplacent progressivement les poissons dans les écosystèmes.
De ce fait, les océans ne peuvent plus assurer les innombrables « services » vitaux qu’ils fournissaient en silence. Outre une nourriture auparavant abondante (qu’il suffisait de « cueillir » et non de produire) et maintenant de plus en plus rare, l’absorption du CO2 et la régulation du climat sont désormais en grand danger d’être déréglés à jamais.
Tirant profit de son esthétique franco-belge, pour illustrer avec clarté ses propos, l’album utilise l’humour et l’autodérision, afin de nous faire suivre sans effort la démarche scientifique, méthodiquement menée pendant des années par les membres de l’association. De ce fait, il parvient à communiquer avec aisance des informations abondamment sourcées et parfois obscures pour les non-initiés.
Fraude… se démarque sans doute par son équilibre entre les intentions pédagogiques de BLOOM et l’emploi des avantages communicatifs du 9e art, sans tomber dans le didactisme assommant d’autres venus du genre.
Voir en ligne : BLOOM
(par Jorge SANCHEZ)
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Fraude qui peut ! - Par Sébastien Girard et BLOOM. Éditions BLOOM. 80 pages - 14€90.
La chronique "Algues vertes : un problème de santé publique révélé en dessins" par Thomas Figueres