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Frédéric Antoine et Jean-François Vachon (« Jimmy Tornado ») : « La série "Harry Potter" devrait s’intituler "Hermione Granger". »

Par Marianne St-Jacques le 27 avril 2018                      Lien  
Née dans les pages du magazine scientifique jeunesse canadien « Les Débrouillards », la série d’aventure québécoise « Jimmy Tornado » met en vedette un gorille parlant et sa sœur adoptive, Guadalupé, brillante scientifique et ingénieure de 19 ans. Depuis la mystérieuse disparition de leur père – le chercheur Gabriel Tornado – au cours d’une expédition secrète, Jimmy et Lupé Tornado poursuivent l’œuvre de la Fondation Tornado aux quatre coins de la planète, de la banquise de l’Arctique à Tokyo, en passant par les temples maya du Guatemala.

Jimmy Tornado (Presses Aventure), c’est aussi une série née de la complicité de Jean-François Vachon et Frédéric Antoine, qui se sont rencontrés dans les bureaux de la défunte revue Safarir, où ce dernier occupait le poste de directeur artistique.

Après deux tomes (composés chacun de quatre courts récits), il convient de souligner les grands thèmes qui se dégagent de cette série : l’importance de l’écologie et des nouvelles technologies (normal pour une série à vocation scientifique), les références aux comics et à la culture nord-américaine, ainsi que faculté d’action particulièrement forte de Lupé Tornado, sorte de cousine spirituelle de Yoko Tsuno.

De passage au Festival Québec BD 2018, ActuaBD a rencontré les auteurs de cette série où l’univers d’Iron Man croise celui de Spirou et Fantasio.

Quel est votre parcours respectif ?

Frédéric Antoine : De mon côté, j’ai toujours aimé la bande dessinée, même si j’ai fait bien sûr d’autres métiers. Quand j’ai récupéré la rédaction de Safarir, ça a été le moment déclencheur où je me suis dit que j’allais essayer de créer mes propres affaires. J’avais déjà Biodôme en tête, qui est mon autre série avec Yohann Morin (chez Boomerang). Je l’ai développée et j’ai continué dans cette voie-là. Comme ça va bien, j’essaie de développer d’autres univers. On continue dans la scénarisation, et éventuellement comme consultants en dessins animés ou ce genre de choses, et aussi dans la traduction de l’anglais vers le français. J’ai travaillé sur les titres Avengers, Spider-Man, Mickey Mouse, etc. pour Presses Aventure. Dans les années 2011-2014, j’ai traduit la plupart de leurs comics.

Jean-François Vachon : Je suis illustrateur avant tout, bédéiste depuis peu. J’ai commencé l’illustration il y a une trentaine d’années. J’ai toujours voulu faire de la BD, mais à l’époque, il y a 30 ans, c’était difficile en tant qu’illustrateur de faire de la BD et de gagner sa vie comme bédéiste. J’ai commencé comme collaborateur à la défunte revue Croc. Ensuite j’ai été collaborateur pour Safarir, en plus d’être un illustrateur assez occupé en publicité. Avec le temps, j’ai acquis de l’expérience et j’ai fait une première BD, Planète Zoockey, pour les Éditions de l’Homme. Ça m’a ouvert des portes. C’est là que Frédéric m’a approché, car on se connaissait depuis Safarir, où il était directeur artistique à l’époque. Quand Les Débrouillards ont approché Fred pour créer une série, il a pensé à moi. C’est là que j’ai commencé à m’impliquer beaucoup plus comme bédéiste.

Frédéric Antoine et Jean-François Vachon (« Jimmy Tornado ») : « La série "Harry Potter" devrait s'intituler "Hermione Granger". »
Jean-François Vachon et Frédéric Antoine interviewés par ActuaBD.
Photo : Francis Hervieux

Pourquoi la série porte-t-elle le nom de Jimmy Tornado et non celui de Guadalupé Tornado, la sœur de Jimmy ? Outre le fait que Jimmy soit un gorille parlant, ce qui est une prémisse de départ inusitée, c’est plutôt le personnage de Lupé qui fait avancer le récit. C’est elle qui agit, tandis que Jimmy réagit.

Jean-François Vachon : Exactement.

Frédéric Antoine : Oui, c’est plutôt ça. Jimmy est le moteur d’action et d’humour. Au niveau du titre, quand c’était dans Les Débrouillards, c’était Jimmy et Lupé Tornado. Mais par la suite, on s’est rendus compte que pour faire un titre d’album de BD, il fallait que ce soit un peu plus percutant. Il fallait garder Tornado, qui avait un impact assez impressionnant dans le visuel même du mot. On a décidé d’y aller avec Jimmy Tornado, ce qui est généralement plus simple.

Guadalupé n’a pas son nom dans le titre, mais on ne peut pas penser à Jimmy sans Guadalupé. Et c’est pour cela que dans les couvertures, elle a toujours son importance. On est en train de prévoir la couverture du troisième album, et on tente de trouver une bonne façon qu’elle soit toujours présente. Car effectivement, c’est elle qui dirige la Fondation, c’est elle qui réfléchit, c’est elle qui est la fille de tête. Tandis que Jimmy est l’accompagnateur, mais qui finalement crée l’action.

Pour Les Débrouillards, il fallait qu’il y ait un personnage féminin qui soit intéressant. Et on a fait une histoire dans le Tome 2 où c’est vraiment elle qui a le lead. Lui, il n’est qu’en train de réparer le vaisseau et il vient la chercher à la fin. C’est elle qui interagit avec le méchant régulièrement, plutôt que Jimmy. Jimmy, on le garde pour l’aventure, pour le côté léger, s’il y a quelque chose à détruire ou à contrer.

Jean-François Vachon : Jimmy, c’est les muscles. C’est le côté super-héros du duo. Ça n’enlève rien à Lupé, car c’est un personnage super-important que l’on va toujours garder, et ça amène des lectrices. Le Canada anglais a été très impressionné par la BD, surtout par le personnage féminin. On veut développer encore davantage le personnage.

Frédéric Antoine : Prenons Inspecteur Gadget. La série se nomme Inspecteur Gadget, mais qui fait tout ? En encore pire : Harry Potter ! On s’entend tous que la série devrait s’intituler Hermione Granger. C’est elle qui fait tout. C’est elle qui a tous les sorts. C’est elle qui lui dit même d’utiliser sa baguette magique quand il y a un dragon. Come on, il est sorcier ! Il le sait, normalement, mais c’est elle qui le lui crie, parce que sur le coup, il n’y pense pas.

Guadalupé est très importante. Au début, on ne pensait pas encore prendre un gorille comme personnage principal. Il fallait amener un personnage principal féminin. Et on ne voulait surtout pas qu’elle soit la nièce ou la cousine. On a trouvé l’idée de la Fondation Tornado, qui lui permet d’avoir un statut important, mais que ce soit Jimmy qui apporte l’originalité, l’effet comique et l’action.

Présentoir Jimmy Tornado au Festival Québec BD 2018.
Photo : Marianne St-Jacques

Quel est le rôle exact de la nébuleuse Fondation Tornado ?

Fédéric Antoine : On le résume très bien dans le deuxième tome, où ils reviennent du Guatemala, et quelqu’un est en train d’expliquer à un groupe d’enfants ce qu’est la Fondation Tornado. C’est juste un bâtiment dans lequel n’importe quel scientifique pourra se rendre et travailler sur l’amélioration des sciences ou de la planète. Ce peut être l’écologie. Ce peut être un moteur révolutionnaire. C’est une fondation scientifique multidisciplinaire.

Mais c’est un peu nébuleux pour l’instant, car on veut être libre de pouvoir l’incorporer à nos récits futurs. Pour l’instant, j’aime qu’elle soit écologique, mais aussi avancée technologiquement, d’où le Torna-Jet, toutes les inventions, le pisto-gun. Elle aussi un vêtement qu’Under Armour voulait créer et qui incorpore un écran tactile à même le tissu.

Il y a un petit côté Iron Man ou Batman dans Jimmy Tornado !

Fédéric Antoine : Oui ! On aime la voir comme une sorte de Tony Stark.

Jean-François Vachon : La Fondation est un bon prétexte pour amener des gadgets ou des choses incroyables. C’est facile pour nous de les mettre en scène.

Frédéric Antoine : Et encore, on est légers car on ne veut pas en mettre trop. Il y a des moments où on aimerait en amener des nouveaux, mais on y va doucement.

Frédéric Antoine et Jean-François Vachon, Jimmy Tornado T2 : « Péril au fond des mers », Presses Aventure.
Image : Presses Aventure

Dans Péril au fond des mers, Lupé collabore à une mission des services secrets canadiens. Elle a l’impression d’avoir été un peu bernée, mais elle participe tout de même à une récupération d’armes chimiques. On a aborde aussi le financement obscur qu’elle pourrait obtenir pour la Fondation Tornado. Un tel questionnement éthique, pour une BD jeunesse, c’est voulu ?

Frédéric Antoine : Je ne pense pas que l’on soit allé jusque-là, mais ça se place bien. En même temps, ça permet de se poser des questions. C’est vrai qu’elle participé à ça. Elle est super-mécontente à la fin. J’avais envie qu’il y ait ce contexte de mécontentement vis-à-vis des services secrets qui font toujours des choses en douce. Après, pour le développement de tout ça, je ne sais pas encore. On travaille un peu comme dans le principe des comics américains. On fait une histoire et on place deux-trois petites choses qui vont peut-être nous aider plus tard à enrichir et à aller plus loin. Le troisième tome va être plus profond au niveau des personnalités des protagonistes, chose qu’on ne pouvait pas faire avant. On va pouvoir se le permettre.

Jean-François Vachon : C’est parce que c’était de petites histoires de huit pages. Nous n’avions pas le choix de faire quatre pages un mois, et le mois d’après les quatre autres pages qui terminent l’histoire (à cause de la parution mensuelle dans Les Débrouillards). On devait concentrer l’action, en mettre le plus possible en huit pages. Parfois, on aurait aimé que ce soit plus approfondi.

Frédéric Antoine : On aurait aimé qu’il y ait plus de relationnel avec les services secrets, que la fin soit moins abrupte, et qu’on sente plus que se soit fait berner avec tout ça. Quand elle rencontre Taddeus Crane, j’aurais aimé qu’on aille plus loin. Qu’il y ait peut-être une rencontre de C.A., qu’on sente qu’elle allait vraiment se faire enlever la Fondation. Mais on ne pouvait pas se permettre ça. J’essaie donc de distiller le tout pour permettre de poser quelques questions et de nous aider à revenir là-dessus plus tard afin l’enrichir. De toute façon, l’Agent Sawyer va revenir. Il est trop cute ! Il y a un petit quelque chose entre eux.

Jean-François Vachon : Le Tome 3 est une aventure d’une quarantaine de pages. Ce ne sont plus de petites histoires comme dans les deux premiers tomes. Cela va nous permettre de faire de belles pages de BD sans trop de texte, de pouvoir s’étendre sur certains détails.

Frédéric Antoine et Jean-François Vachon, Jimmy Tornado T2 : « Péril au fond des mers », Presses Aventure.
Image : Presses Aventure.

Les histoires courtes rappelaient beaucoup les premiers récits de Spirou et Fantasio.

Jean-François Vachon : Effectivement, oui.

Frédéric Antoine : Tout à fait. On va commencer à s’émanciper de ce format. Quand Jimmy, et surtout Lupé, commencent à se poser des questions sur les fameux carnets d’enfance que Jimmy a gribouillés avec des symboles qu’on retrouve sur une stèle… Si on a avait eu plus de pages pour ça, j’aurais aimé qu’on le voie en train de réfléchir à la chose, de faire des recherches. Qu’on la voie entrer dans un bureau et chercher un peu. Mais non, elle est arrivée tout de suite avec le carnet. On aurait eu plus de pages, cela aurait été une histoire plus longue, on aurait eu un découlement d’intrigue plus intéressant. C’est ce qu’on va essayer de faire avec le Tome 3, qui sera sûrement à suivre avec le Tome 4, parce qu’on veut justement ne pas aller trop vite jusqu’à la découverte du monde d’Agartha.

En lisant Jimmy Tornado, j’avais l’impression de lire une BD que j’aurais vraiment aimé lire plus jeune, spécialement avec le lead féminin de Lupé. Il n’y avait rien de cela dans les années 1990-2000 au Québec. Était-ce possible de la faire de la BD d’aventure au Québec, il y a 10 ou 15 ans ?

Jean-François Vachon : Il n’y avait pas grand-chose il y a 20 ans, de toute façon. À présent, avec le regain de bande dessinée, on peut faire ce qu’on veut, parce que l’intérêt est là.

Frédéric Antoine : La BD d’aventure explose maintenant. Il y a la nôtre. Chez Perro Éditions, il y a MacGuffin et Alan Smithee (de Michel Viau et Ghislain Duguay), qui est une histoire d’espionnage pendant l’Expo 67. Le personnage féminin est fort. On pense que c’est une petite blonde un peu délurée, mais non, c’est elle la femme d’action. L’autre, c’est le cérébral, tranquille, posé, qui mène l’enquête. C’est super intéressant et c’est une BD de genre qui s’assume très bien. Je pense qu’on a cette liberté, parce qu’il y a aussi des éditeurs qui sont maintenant prêts à le faire. Avant c’était : « Pourquoi je ferais ce genre de BD ? Je ne vais peut-être pas réussir à la vendre. » Je pense qu’il y a eu une ouverture à un moment donné, autant avec Paul (Michel Rabagliati, La Pastèque) que L’Agent Jean (Alex A., Presses Aventure), qui fait qu’on peut arriver avec des personnages intéressants et des BD d’aventure intéressantes. De toute façon, les personnages féminins forts, c’est la mode, avec Tomb Raider, etc. (…) On est quand même nord-américains, ici. On s’est peut-être émancipé de toutes ces héroïnes, de tous ces super-héros, qui étaient des femmes de tête – c’est Wonder Woman, etc. – mais qui étaient très sexualisées dans le visuel. Il y a peut-être un changement : on a réussi à mettre les comics de côté, la BD franco-belge de l’autre, et à se permettre ce dont on a vraiment envie en bande dessinée. »

Jean-François Vachon et Frédéric Antoine au Festival Québec BD 2018.
Photo : Marianne St-Jacques

Jusqu’à présent, quelle a été la réaction de votre public ?

Jean-François Vachon : On a une belle réception. Ça nous surprend. Le personnage féminin fort aide aussi, ça plaît beaucoup, ce qui nous a surpris. On savait qu’on faisait un personnage intéressant, mais que l’intérêt soit là à cause d’elle surtout, parfois plus que le gorille, moi ça m’a surpris. C’est un personnage que l’on va développer encore davantage.

Frédéric Antoine : Mais on fait toujours en sorte qu’il y ait un équilibre. J’ai commencé à travailler sur le Tome 3 et c’est clair qu’au début, je ne veux pas qu’ils soient ensemble, pour qu’elle soit dans une situation où elle lead complètement l’affaire, et puis que Jimmy soit dans une situation où il y a plus d’action et d’humour, pour ensuite les réunir à nouveau et qu’ils se complètent dans l’aventure.

En terminant, quels sont vos prochains projets ? Sur quoi travaillez-vous en ce moment ?

Jean-François Vachon : Je travaille sur Mini-Jean (Presses Aventure). Je fais tout sur cette série à part le croquis original, qui est fait par Alex A. Je travaille beaucoup aussi sur les albums promotionnels de Presses Aventure. Et je travaille évidemment sur Jimmy Tornado. On a le Tome 3 à finir d’ici la fin de l’année.

Frédéric Antoine : De mon côté, je continue Biodôme, mon autre série avec Yohann Morin. On est dans Les Débrouillards tous les mois. Il faut faire nos trois pages tous les mois. On fait des pages de jeux dans Spirou magazine aussi. J’ai un projet à leur proposer. À la fin de l’année, on aura le Tome 3 de Jimmy Tornado. J’aurai aussi L’espion de trop, qui est une bande dessinée historique sur un espion allemand qui aurait été débarqué en Gaspésie avec les U-boats – qui est un fait réel – avec le dessinateur VoRo, bien connu à Rimouski. On est en train de finaliser ce récit d’espionnage historique. J’ai aussi un autre projet avec Yohann Morin que l’on va peut-être proposer à Modus. On aimerait partir dans quelque chose de médiéval, « japonisant » avec de l’action et des créatures fantastiques.

(par Marianne St-Jacques)

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Code EAN : 9782897512842

À lire également sur ActuaBD.com : « Jimmy Tornado T1 - Par Frédéric Antoine et Jean-François Vachon - Presses Aventure » (septembre 2017)

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