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Frédéric Jannin : "Franquin était un petit peu étonné de voir que je me disperse dans autant d’activités"

Par Christian MISSIA DIO le 26 septembre 2015                      Lien  
Germain et nous, Les Snuls, JAADTOLY... Autant de classiques de la BD et de l'audiovisuel belge. Fred Jannin a marqué son époque ! Afin de rendre compte du talent éclectique du touche-à-tout bruxellois, le CBBD propose une exposition rétrospective intitulée “Jannin et nous, trop de tout”. Rencontre avec l'auteur.
Frédéric Jannin : "Franquin était un petit peu étonné de voir que je me disperse dans autant d'activités"
Germain et Nous... L’Intégrale
Frédéric Jannin, Thierry Culliford, Serge Honorez & Yvan Delporte (c) Dupuis

Vous avez une rentrée BD chargée avec des rééditions, notamment celle de Germain et nous en un gros album intégral.

C’est bien ça, avec Dupuis nous ressortons en intégrale sous forme de pavé toutes les planches de Germain et nous, sans autre forme de procès.
J’avais déjà publié une intégrale il y a une dizaine d’années au Lombard, qui était criblée de bonus et d’articles de contextualisation sur les époques successives mais dans ce cas-ci, les éditions Dupuis et moi avons opté pour un objet avec toutes les planches, tout simplement.

La publication de cette intégrale de Germain et nous coïncide avec les intégrales C’est que du bonheur au Lombard afin d’accompagner la grande expo intitulée Jannin et nous, trop de tout qui vient de s’ouvrir au Centre Belge de la BD. Il s’agit d’une sorte d’exposition posthume, sauf que je ne suis pas tout à fait mort. L’idée est de montrer toutes les collaborations que j’ai eues depuis mon plus jeune âge jusqu’à maintenant.

Germain et nous date des années 1980. Selon vous, quelle résonance a votre série dans les années 2010 ?

Je me prive bien de faire des considérations sociologiques sur la BD sociologique que j’ai fait pendant des années. J’ai pris beaucoup de plaisir à le faire mais mon souci n’était pas d’être encore réédité des années plus tard. Je l’ai fait sur le moment même et c’est tout. Ce qui m’amuse par contre c’est que durant la Fête de la BD, j’étais en dédicace et j’ai eu un lecteur relativement jeune qui s’est pointé avec l’album Ça ne vous fait pas peur ? (qui date de 1987, NDLR) dans lequel il y a un personnage qui est angoissé de nature et qui a peur de tout. Ce jeune homme m’a dit que cet album est terriblement actuel. C’est peut-être l’album le plus actuel de la série ! Ça fout la trouille mais c’est vrai. Il y a des thématiques qui datent des années 1980, il y a des choses démodées qui reviennent au goût du jour, etc. Ce sont des choses que l’on ne maîtrise pas très bien et je pense que la meilleure attitude c’est de les observer avec amusement et de s’en foutre un petit peu… En tout cas, c’est ce que j’essaie de faire (rires) !

Intégrale Que du bonheur T1 - Petit traité des familles recomposées
Frédéric Jannin (c) Le Lombard

Vous n’êtes pas qu’un auteur de BD, vous avez fait beaucoup de choses. À l’instar de Philippe Geluck vous êtes une vraie figure médiatique. Vous avez fait les Snuls, monté des projets musicaux dont The Bowling Balls, vous avez réalisé des publicités avec votre complice Stéphane Liberski, etc. D’où vous vient cette boulimie créative ? Qu’est-ce qui vous inspire ?

Ça reste encore un mystère. Pour avoir fouillé ma cave afin de trouver des anciens travaux pour illustrer l’expo au CBBD, je me suis rendu compte que je n’ai jamais voulu me contenter d’une carrière de dessinateur de BD. À côté de ma passion pour la BD, j’ai eu très fort envie de faire de la musique, de la TV, de l’humour, des sketchs. Il y a eu toute sorte de surprises dans ma vie qui ont trouvé un écho auprès de mes camarades. Travailler tout seul dans mon coin me fait peur, me déprime. Je trouve que la vie est beaucoup plus goûteuse lorsqu’on la partage avec des gens, c’est pour cela que c’était plus facile de titrer l’expo “Jannin et nous” au lieu de ramener tout ça à mon ego.

Votre démarche était très singulière à l’époque mais aujourd’hui, cela passerait complètement inaperçu car beaucoup d’auteurs font le grand écart entre plusieurs disciplines. Mais vous avez eu la chance d’évoluer avec de grands maîtres tels que Franquin et Peyo. Est-ce que c’est ce “parrainage” qui vous a permis d’être plus libre professionnellement parlant par la suite ?

Je pense que Franquin était un petit peu étonné de voir que je me dispersais autant mais il était de la génération de mon père et celui-ci me disait toujours d’arrêter de me disperser. Je devais choisir une chose et la faire le mieux possible. J"ai obéi ni à mon père, ni à Franquin, c’était plus fort que moi. Aujourd’hui, j’ai largement dépassé la cinquantaine et lorsque je fais le bilan de ma vie professionnelle, je me dis que je n’ai pas réussi à obéir à mon papa. J’ai souvent pris pour modèle Marc Moulin car il était aussi pluridisciplinaire et ne s’est pas enfermé dans un tiroir ou dans un genre bien précis. Son parcours m’a aidé. Il m’a servi de repère par rapport à cette angoisse de risquer une dispersion totale. Je ne sais pas ce qui fait qu’avant, les gens avaient besoins de se mettre dans des cases. Peut-être pour gagner en crédibilité. Mais pourquoi devrait-on manquer de crédibilité lorsque l’on fait des choses différentes ? Au bout du compte il y a un fond commun. Après, je laisse aux sociologues le soin de m’analyser, moi je continuerai de m’amuser en faisant des choses que j’aime. Je pense que le plaisir est quand même fondamental dans notre vie. Il faut avoir bon parce qu’après, on meurt.

Intégrale Que du bonheur T2 - Petit traité des familles recomposées
Frédéric Jannin & Catheline (c) Le Lombard

Durant la Fête de la BD, plusieurs observateurs on fait remarquer qu’il y a de moins en moins de jeunes auteurs belges par rapport à la France par exemple. De plus, on a assisté à une sorte de rivalité entre les villes de Bruxelles et de Louvain-La-Neuve, ce qui a occasionné une dispersion des forces. Que pensez-vous de cette situation ?

Des initiatives comme la Fête de la BD, je ne peux en penser que du bien. Je suis même un petit peu surpris que cela ait mis autant de temps à germer, à prendre sa place et à avoir le succès que cela a aujourd’hui car la BD en Belgique c’est pas nouveau... Et moi, en tant que vieux Bruxellois, j’aurais aimé avoir un festival BD quand j’étais jeune Bruxellois. Mon constat peut paraître négatif mais en fait, c’est plutôt positif.

Concernant la problématique des jeunes auteurs belges, je dois vous avouer que tout ce qui concerne le patriotisme me dérange un peu. Qu’il y ait des auteurs belges ou non n’a pas beaucoup d’importance pour moi. J’adore la Belgique mais de là à déplorer qu’il y ait de moins en moins de Belges dans les concours est quelque chose qui m’échappe complètement. Quant à la dispersion des énergies, je pense que c’est à l’image de notre pays : surréaliste. Il faut faire avec et moi, cela ne me dérange pas tellement.

Quels sont vos autres projets ?

Pour l’instant, c’est l’expo qui me prenait tout mon temps. C’est une grande exposition qui durera jusqu’en mars. Mais cela occasionne une autre angoisse : celle que les gens se disent qu’ils ont le temps de voir mon expo, puis on se retrouvera au mois d’avril et ils l’auront ratée. Donc, dites bien à vos lecteurs d’aller voir mon expo maintenant !

Sinon, je me donne aussi du temps pour dessiner. Je n’ai pas d’album pour le moment mais j’ai retrouvé un vrai plaisir à faire de la peinture, du dessin sans qu’il y ait une échéance d’album derrière. C’est comme un retour aux sources et c’est tombé pile avant que le CBBD me propose de faire une expo. C’est un hasard et comme celui-ci n’existe pas, j’aime bien y croire.

Voir en ligne : L’expo “Jannin et nous, trop de tout” au CBBD

(par Christian MISSIA DIO)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN :

En médaillon : Frédéric Jannin durant la Fête de la BD 2015 de Bruxelles
Crédit photo : Christian Missia Dio.
LIRE AUSSI : "Génération Jannin

Visitez le site de Frédéric Jannin

Expo “Jannin et nous, trop de tout”
Du 22 septembre 2015 au 6 mars 2016

CENTRE BELGE DE LA BANDE DESSINEE
20, rue des Sables
1000 Bruxelles
Belgique

Téléphone : +32 (0)2 219 19 80
Fax : +32 (0)2 219 23 76
E-mail : visit@cbbd.be

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