Ses premiers contes populaires -on l’a un peu oublié- étaient publiés dans Spirou. Depuis, il a été le scénariste de Joann Sfar (le seul, et ce dernier le considère comme son maître) et il vient de publier chez Delcourt une série intitulée Le Grimoire du Petit Peuple où il réunit une brochette de dessinateurs de grand talent pour rendre vivant les êtres mystérieux qui vivent dans les recoins des forêts, des mers, des montagnes et des campagnes que seuls connaissent les initiés. Il a plutôt bien connu Franquin.
Vous avez rencontré Franquin ?
Oui, oui. Plusieurs fois. Déjà, pour moi, Franquin, c’était l’enfance, ce sont les Spirou que j’ai lus et avec un graphisme, un dessin, qui étaient déjà délirants. On avait l’impression qu’il y avait un tas de petits personnages à voir, que tout bougeait en même temps. Ses campagnes vivaient, sa province vivait : on y voyait des vieilles avec un cabas... Chacun pouvait y reconnaître des éléments de son quotidien. Il y avait de ces vieux cinémas que l’on trouvait dans les villages et dans lesquels je rêvais d’entrer pour aller voir Le Corsaire rouge ou Les Contrebandiers du Moonfleet.
Comment l’avez-vous perçu ?
C’est un personnage qui n’était pas arrêté. Vous savez, comme ces héros qui bougent toujours pour exister : s’ils s’arrêtent dans une vallée pour se reposer, ils risquent de se corrompre, de se fondre dans un ordre établi. C’est le côté Robin des Bois du cow-boy : il est obligé de partir ailleurs. J’ai toujours eu l’impression que Franquin n’était jamais bien à sa place, qu’il cherchait le Graal dans une quête de paladin désespéré pour arriver au dessin parfait. Il y a cette fameuse histoire du mandarin qui dit à un dessinateur : « - Dessinez-moi un coq ! Je vous donne une maison au fond du jardin et vous dessinez un coq. Pendant ce temps-là, vous serez logé et nourri ». Des années plus tard - il a évidemment oublié ce qu’il avait ordonné, il retrouve le dessinateur dans le jardin en se promenant. Et il lui dit : « - Qui êtes-vous ? » « - Ben, répond l’autre, je suis le dessinateur qui doit vous faire un coq. » « - Et vous l’avez fait, ce coq ? » « - Ben, non. » Il ordonne aussitôt à ses hommes de s’en saisir pour le décapiter. Mais avant, il va dans l’atelier du dessinateur pour voir ce qui s’y trouve. Et là, il y a des milliers et des milliers de coqs extraordinairement dessinés qui jonchent sur le sol ou sont accrochés au mur. En fait, pour le dessinateur, ce n’était pas l’aboutissement de ce qu’il voulait. J’ai l’impression que Franquin, sous ses dehors de plaisantin, de personnage haut en couleurs, drôle, etc, il avait cette blessure ancrée en lui : La recherche de la perfection. Quand il faisait rire, sourire à travers un gag de Gaston en sept ou huit vignettes, il y avait à la fois un gag douloureux, une petite légende et un conte populaire qui s’inscrivait sur une page. Il allait de gag en gag, de conte en conte, comme un conteur va de foyer en foyer raconter une histoire qui ne finit jamais.
Propos recueillis par Didier Pasamonik, le 28 octobre 2004.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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