Souvenez-vous, c’était il n’y a pas si longtemps. Des Peyo, Morris, Uderzo et Goscinny qui étaient pour ainsi dire nés dans le dessin animé, avaient mis entre 20 et 40 ans pour être adaptés, avec un succès retentissant pour certains d’entre eux. Le cinéma, c’était une sorte de couronnement de fin de carrière, un accomplissement.
Plus tard, avec Gérard Lauzier (Mon père, ce héros, La Course du rat…), Martin Veyron (L’Amour propre), Enki Bilal (Immortel) ou Frank Miller (The Spirit), une génération de quadras en avait fait le prolongement d’une carrière à la réputation déjà flatteuse, une forme d’expression dérivée de leur œuvre principale.
Mais voici qu’arrive une nouvelle génération d’auteurs : Marjane Satrapi , Winschluss/Vincent Parronaud, Riad Sattouf et aujourd’hui Joann Sfar qui accélèrent le processus : ils ont entre trente et quarante ans et ils n’attendent plus d’avoir de la bouteille pour passer derrière la caméra ! La BD, comme le cinéma, le dessin animé et même le jeu vidéo sont parties d’une création qui se veut totale.
Une bande décomplexée
Ce qui distingue le Gainsbourg des autres approches, c’est sa totale décontraction. Avant, l’auteur de BD approchait le cinéma avec révérence, comme un art majeur, supérieur au sien. Ici, qu’il s’exprime sur le papier ou sur l’écran, Sfar fait du Sfar, sans timidité mais avec la même candeur. Le dessin se mêle à l’image, parfois dessus, parfois dessous, mais toujours présent. Ses personnages sont aussi typés que dans ses bandes, ils sont convention et se jouent des conventions.
C’est parfois raté, on voit de temps en temps les effets spéciaux de carton pâte, il y a des longueurs, le scénario est à quelques endroits réellement foutraque : comme la bande-son, il lui arrive de manquer de cohérence et de rythme. Mais on est bluffé par les trouvailles, par la similitude avec les BD de Sfar qui ont précisément cette manière de raconter proche du conte, qui emmènent le lecteur –ici le spectateur- dans une mystification qui n’a pas peur, comme au théâtre de marionnettes, de laisser apparaître les mains et les ficelles.
Des acteurs éblouissants
Il y a également des moments de pur bonheur, surtout dûs aux éblouissants jeux d’acteurs : un Éric Elmosnino plus Gainsbarre que nature, une Laetitia Casta d’autant plus convaincante en Brigitte Bardot qu’elle n’est pas parfaite, ou un Philippe Katerine en improbable Boris Vian.
Les amateurs de BD pourront jouer au jeu de piste en repérant dans la figuration des personnalités de la BD amies de l’artiste. On retiendra les deux plus réussies : Riad Sattouf en bellâtre gominé porteur de bichons pour la chanteuse Fréhel (Yolande Moreau, magnifique) et Joann Sfar lui-même en Georges Brassens interprétant un de ses morceaux.
Quelques produits dérivés sont issus de cette aventure. Nous n’en retenons qu’un : Feuille de chou (Journal d’un tournage) (Éditions Delcourt) qui dévoile les coulisses de la première aventure cinématographique (conte héroïque) de Joann Sfar, véritable dissection d’un fantasme. À recommander aux jeunes auteurs qui chercheraient à savoir « comment il fait ? »…
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Depuis mercredi 20 janvier 2010 en salle en France ; à partir du 3 février en Belgique.
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Les photos du film sont © Universal Pictures International France
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