Gaston est une bande dessinée exemplaire à bien des points de vue. D’abord, parce c’est un sommet graphique, son auteur étant considéré par ses pairs, Hergé le premier, comme le meilleur dessinateur de sa génération. Ensuite parce que Gaston, une bande dessinée racontant la vie (fantasmée) de la rédaction d’une revue de bande dessinée, était en même temps une réflexion sur le processus créatif, ce qui en fait une œuvre éminemment moderne. L’une des premières de ce genre. Aujourd’hui, la perspective a changé : c’est, avec L’Atelier Mastodonte, l’intérieur de l’atelier d’artistes qui raconte ce qui se passe "en direct de la rédaction".
Gaston était aussi une bande dessinée qui reflétait parfaitement son époque, ces « Trente glorieuses » qui avaient vaillamment assuré le relèvement de l’Europe meurtrie par la guerre et qui offraient le plein emploi à chacun. L’Exposition Universelle de Bruxelles qui eut lieu l’année suivante promettait des lendemains qui chantent grâce au tout-atome et au tout-plastique. On avait perdu de vue qu’ils seraient plutôt irradiés que radieux…
Gaston est la bande dessinée du tertiaire triomphant, gentiment contestataire, pas franchement vindicative. Mais elle révéla assez vite la névrose de cette génération, cristallisant ses angoisses dans des thèmes quasi visionnaires : les dérives absurdes de l’autorité, la guerre destructrice et aveugle, le capitalisme sans vertu, la terre souillée par ses consommateurs…
L’énergie toute enfantine de Gaston muta en « bof-attitude », cette mollesse apathique caractéristique de l’adolescence, avant de se transformer en révolte mobilisatrice pour les grandes causes.
Si chez les existentialistes des années cinquante, l’homme accède à l’existence par ses actes, chez Gaston, il se définit par la liberté de ne rien faire. Une véritable attitude philosophique qui annonce aussi bien les théories de la croissance zéro, voire négative, comme le prônait l’économiste contemporain au gaffeur Sicco Mansholt, que celles du droit à la paresse et des vertus des loisirs -si centraux aujourd’hui - dans la réalisation de l’être contemporain.
Gaston, cette œuvre drôle qui place le gag au rang des Beaux-Arts, induit cette réflexion dont la centralité s’affirme de jour en jour : que restera-t-il de notre liberté dans le monde de demain ? Tout cela sans électronique, ni smartphone, ni télétravail...
Dès le mois prochain, Gaston Lagaffe - "le film" sera en tournage. Il sera réalisé par Pierre-François Martin Laval (alias Pef) et devrait sortir en salle le 4 avril 2018 avec l’acteur Théo Fernandez dans le rôle-titre. Une adaptation, Fais gaffe à Lagaffe , avait déjà été faite en 1981, désavouée par Franquin. Aujourd’hui plus rompues à ce genre d’adaptation, les éditions Dupuis devraient pouvoir s’assurer d’une réalisation moins décevante.
Parallèlement, l’éditeur de Marcinelle réalise avec Frédéric Jannin une remastérisation des planches de Gaston à partir des originaux. Les couleurs aussi sont refaites, donnant de la cohérence à la gamme chromatique des albums, plus fidèle nous dit-on à la volonté du créateur dont les indications de couleurs étaient très précises.
Yvan Delporte le soulignait : Gaston n’est pas paresseux, il est juste économe de ses efforts. Avec cette conviction : c’est l’intelligence et l’imagination qui sauveront le monde.
Bon anniversaire, Gaston !
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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