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Geert de Weyer ("La Belgique dessinée") : « En Belgique, tant au nord qu’au sud du pays, nous possédons une part de culture commune : la bande dessinée »

Par Charles-Louis Detournay le 25 novembre 2015                      Lien  
Noirs, juifs, homosexuels, place de la femme, censure, spoliation, abus de violence, etc. L'auteur de "La Belgique dessinée" aborde tous les sujets qui ont fâché ou ont marqué les différences entre les deux cultures belges. Mais ils rassemblent également, sans occulter les travers des uns et des autres.

Quelle était votre idée initiale en débutant l’écriture de ce livre ?

Je désirais surtout consacrer un ouvrage aux bandes dessinées belges. Cela semble évident à réaliser au premier abord, mais moins lorsqu’on approfondit le sujet, car notre pays est traversé par deux cultures, séparé par la fameuse frontière linguistique. Or je désirais réaliser une étude plus fédératrice.

Pourquoi vouliez-vous nécessairement lier ces deux cultures de la bande dessinée ?

Je suis un journaliste spécialisé en BD depuis vingt-cing ans. Si j’ai évolué et grandi avec la bande dessinée, j’étais étonné qu’il n’y avait justement aucun autre livre qui se soit attaqué à ce sujet. Beaucoup d’ouvrages traitant de la bande dessinée et de son terreau belge ont été réalisés par des auteurs et journalistes francophones. Or, ils ne connaissent souvent rien à la culture BD du nord du pays. Et dès lors, ce n’était pas très honnête de nommer ces livres comme traitant de la BD belge, car ils s’arrêtaient à quelques grands noms sans en évoquer la diversité et la teneur.

Comment s’attaque-t-on à un projet d’une telle ampleur ?

J’ai eu quelques appréhensions à me lancer dans le sujet. Il est vrai que l’œuvre des francophones ont créé la réputation internationale de la Belgique en bande dessinée et je connaissais bien ce qui a été réalisé par les auteurs flamands. Mais beaucoup de personnes m’ont proposé de réaliser deux livres différents. Or je voulais justement montrer qu’en Belgique, nous possédons une part de culture commune qui est bande dessinée. Je commence précisément mon livre sur la part commune que sont les hebdomadaires Tintin/Kuifje et Spirou/Robebdoes, mais aussi sur les différences qu’on peut retrouver dans les deux parties du pays. Ainsi Robbedoes, l’équivalent néerlandophone de Spirou a commencé à muter au début des années 1980, en excluant des séries trop réalistes, expérimentales ou truffées de références franco-françaises.

Geert de Weyer ("La Belgique dessinée") : « En Belgique, tant au nord qu'au sud du pays, nous possédons une part de culture commune : la bande dessinée »
"Vive la bande dessinée belge", clamait l’acteur interprétant le Professeur Mortimer, sous l’oeil des caméras.

Comment cela a-t-il été accepté par les rédactions francophones ?

Pas très bien. Des réunions avaient eu lieu auparavant pour demander de faire attention au contenu afin qu’il puissent être réellement bien traduit et être adressé aux lecteurs flamands. Mais comme cela n’a pas été entendu, cette évolution s’est passé insidieusement. Les rédacteurs francophones n’ont pas bien traité la part flamande de leur lectorat. Je ne prends pas de position communautaire ! Dans ce livre, si je tape sur les doigts des francophones, je fais de même avec les auteurs flamands qui restent engoncés dans leurs habitudes et produisent juste ce que les lecteurs veulent lire.

Vous voulez donc rétablir quelques vérités ?

Oui, on entend souvent que Natacha et Yoko Tsuno sont les premières héroïnes à part entière de bande dessinée belge. C’est faux ! La bande dessinée flamande a réservé une plus grande place aux femmes, que cela soit avec Tante Sidonie ou Cari Fleur, personnage principal de sa propre série dès 1962. N’oublions pas non plus la journaliste Prunelle qui fait ses débuts dans le complément de la Dernière Heure dès 1953. Comme ce journal n’est pas publié en France, il ne doit rendre aucun compte à la commission française de Censure de la Loi de 1949. C’est aussi le cas d’Heroïc Albums ! C’est dans ce cas une vision sociétale car les femmes y sont traitées dans la bande dessinée, comme elles l’étaient dans la vie.

Ce que vous évoquez dans un chapitre qui leur est largement consacré !

Et qui est lié à la censure ! Dans Néron où l’on voit un homme doté de très grandes mains pour accentuer son aspect violent, on aurait pu croire que la censure le réfrène, mais elle a seulement demandé de diminuer le décolleté du personnage féminin qui se trouvait à côté ! J’ai placé bon nombre d’exemples de cases et de vignettes retouchées pour comprendre les motivations de l’époque. Comme les Schtroumpfs noirs qui deviennent violets aux USA ! Et la censure était à tous les niveaux : Lucky Luke ne pouvait tuer, ni blesser un autre personnage, ni boire de l’alcool !

Il y a pourtant une reconnaissance de la BD flamande, comme l’exposition réalisée en 2010 à Angoulême !

Ah, mais je me suis fâché avec eux, car ils ne reconnaissent pas Morris comme un auteur flamand, alors qu’il est né à Courtrai ! Quelle région donne son meilleur auteur à une autre, car c’est ainsi que le considèrent la majorité des lecteurs ? Et je donne le même feedback de la part d’auteurs comme Vance qui sont déconsidérés par les médias flamands car ils le considèrent comme porté par le public francophone. C’est tout de même ridicule ! En 2002, Jean Van Hamme disait que la popularité de la bande dessinée belge était entièrement due à la partie francophone. Et il a raison à 100%. Mais la partie flamande existe néanmoins, et c’est pour les relier toutes les deux que j’ai réalisé ce livre, supporté entre autres par Yves Schlirff et Jean Dufaux, lequel disait il y a trois ans que les deux communautés auraient tout intérêt à plus collaborer !

Votre livre se consacre au passé, mais développe aussi la partie contemporaine : le voyez-vous alors comme un nouveau départ ?

Tout-à-fait, un nouveau départ car je voudrais que les lecteurs de part et d’autres puissent l’utiliser pour mieux se comprendre, se respecter et se connaître de part et d’autre. Mon métier de journaliste me pousse à expliquer l’Histoire, et c’est vrai que des choses pas toujours jolies se sont déroulées, mais il ne tient qu’à nous de travailler autrement dans le futur !

Propos recueillis par Charles-Louis Detournay

Geert de Weyver, aux côtés du couple symbolisant la réunion des deux bandes dessinées

(par Charles-Louis Detournay)

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Toutes les photographies sont : Charles-Louis Detournay

 
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