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Gihef : "Je n’ai jamais été emballé à l’idée qu’un gars comme Luc Besson se retrouve aux commandes des Enchaînés."

Par Christian MISSIA DIO le 11 novembre 2014                      Lien  
Dans cet entretien, Gihef, dont le talent regorge actuellement de projets BD, évoque avec franchise sur les diptyques "Crotales" (Dupuis) et "d'Encre et de Sang" chez Sandawe qu'il a réalisé avec Renaud et sur l'adaptation avortée de sa série "Enchaînés" (avec Joël Callède, chez Vents d'Ouest) au cinéma.
Gihef : "Je n'ai jamais été emballé à l'idée qu'un gars comme Luc Besson se retrouve aux commandes des Enchaînés."
Crotales 1/2
Renaud & Gihef (c) Dupuis

Pourriez-vous nous raconter votre rencontre avec le dessinateur Renaud et comment est née l’idée votre collaboration ?

La première fois que j’ai rencontré Renaud, je devais avoir environ cinq ans. Ma mère le connaissait un peu et m’avait emmené chez lui quand j’étais gamin. Je me rappelle avoir été sous le choc en découvrant son atelier et ses originaux. À l’époque, il travaillait sur Brelan de Dames. Je l’ai revu une petite trentaine d’années plus tard dans les locaux de Dupuis. Je lui ai raconté l’anecdote, il se souvenait de moi et nous avons franchement sympathisé. Lorsque le premier tome de Mister Hollywood est paru, il m’a contacté pour me demander si ça m’intéresserait de tenter le coup sur un projet avec lui. Ainsi est né Crotales, qui est une fausse suite à La Route Jessica.

Justement, parlons-en. Vous avez publié ensemble ce nouveau spin-off de Jessica Blandy en deux albums. Pourquoi avez-vous voulu reprendre l’univers créé par Jean Dufaux ?

C’était une demande de Renaud qui désirait continuer La Route Jessica et mettre en avant les deux tueurs Soldier Sun et Agripa. Jean Dufaux avait décidé de jeter l’éponge et avait autorisé Renaud à continuer avec un autre scénariste.

Crotales
Renaud & Gihef (c) Dupuis

Quelles ont été les difficultés auxquelles vous avez été confrontées ?

Probablement celle d’entrer dans un univers que je n’avais pas conçu et dont je ne maîtrisais pas tous les éléments. J’ai aussi dû répondre aux attentes de Renaud qui avait des idées bien spécifiques, et comme il était important pour moi de le satisfaire, j’ai peut-être négligé certains aspects essentiels. Le manque d’encadrement éditorial ne m’a pas beaucoup aidé non plus.

Crotales 2/2
Renaud & Gihef (c) Dupuis

Dufaux a-t-il suivi votre travail ?

Au début, oui, mais il s’est progressivement détaché du projet au fur et à mesure qu’on avançait. Je pense qu’il a senti que son univers prenait une tangente qu’il n’imaginait pas. Lorsque j’ai commencé à travailler sur les albums, personne ne m’a « guidé » dans l’univers de Jessica Blandy. J’ai dû faire mes armes tout seul. Je me suis donc accaparé de l’univers et je l’ai développé comme je le pouvais, avec les maigres moyens à ma disposition. Je ne regrette rien, c’était un bon exercice et une belle opportunité. Je déplore juste que ça ne se soit pas passé comme je l’aurais voulu.

À vous écouter, on sent comme une pointe d’amertume... Le projet avait-t-il trouvé son public ?

Nous ne connaissons pas encore les chiffres, mais ils devraient tomber d’ici la fin de l’année. Le soutien de l’éditeur, nous l’avons eu en la personne de José-Louis Bocquet. Mais il a été le seul et malheureusement, ce n’est pas lui qui décide de tout.

D’Encre et de Sang
Renaud & Gihef (c) Sandawe
Renaud
Crédit photo : D.R.

Comment est né le projet d’Encre & de Sang” chez Sandawe ?

Au terme de Crotales, Renaud et moi désirions prolonger notre collaboration. Il avait évoqué un projet se déroulant durant la Seconde guerre mondiale à Paris. Sur les conseils de José-Louis Bocquet, alors notre éditeur chez Dupuis, j’ai transporté l’action à Bruxelles. J’y ai intégré quelques événements marquants, comme l’histoire du Soir Volé. Mais au final, Dupuis n’a pas désiré tenter une autre aventure avec nous tant qu’ils n’avaient pas les résultats de Crotales. Comme les albums sont sortis bien après que nous les ayons terminés, nous ne pouvions nous permettre d’attendre. On a donc soumis le projet à d’autres éditeurs et Sandawe s’est montré particulièrement enthousiaste. Nous avons donc signés chez eux.

Dans cette histoire que vous mettez particulièrement l’accent sur la collaboration en Belgique avec des figures comme Léon Degrelle...

En effet, c’est un thème qui m’interpelle au plus haut point. Si on y regarde de plus près, la trame de D’Encre et de Sang est accessoire. Je désirais surtout dévoiler certains aspects de l’Occupation en Belgique dont on a peu ou pas parlé en BD (ou même ailleurs). Quand on voit comparativement le nombre d’albums sur le même sujet qui se déroulent en France, on a l’impression que les Allemands n’ont envahi que l’Hexagone. Or, il s’est passé des choses très graves et très marquantes en Belgique aussi.

D’Encre et de Sang
Renaud & Gihef (c) Sandawe

Parlez-nous de votre relation avec Renaud. Comment s’organise le travail entre vous ?

Le plus simplement du monde. Je lui écris les planches, il les dessine. Blague à part, il n’y a pas de formule magique particulière. On travaille tous un peu de la même façon. Je ne sais pas bien quoi répondre d’intéressant à cette question. Mais nous nous entendons très bien, si cela peut vous rassurer.

Le grand public vous a d’abord découvert comme dessinateur mais ces dernières années, vous semblez avoir troqué vos crayons pour la plume. Avez-vous abandonné le dessin ?

Pas nécessairement, mais pour le moment disons que c’est en stand-by.

D’Encre et de Sang 2/2
Renaud & Gihef (c) Sandawe

Un projet d’adaptation des Enchaînés avait été signé avec la société de production de Luc Besson. Où en est le projet aujourd’hui ?

À la poubelle depuis belle lurette. Nous avions reçu les contrats d’Europacorp qui ont été signés et renvoyés chez eux, puis silence radio complet. Entre-temps, l’association Glénat-Besson s’était dégonflée plus vite qu’elle n’avait été mise en chantier et tous les projets sont tombés à l’eau. À titre personnel, ça ne m’a pas dérangé. Je n’ai jamais été emballé à l’idée qu’un gars comme Luc Besson se retrouve aux commandes des Enchaînés. Il faut dire qu’on ne nous avait pas trop demandé notre avis non plus. D’ailleurs, j’ai moi-même appris la nouvelle en lisant un article sur ActuaBD, ce qui est un comble si on y réfléchit bien ! Mais la série continue d’attirer les producteurs car nous avons des levées d’option pour ainsi dire chaque année. Sans pour autant que ça aboutisse à quoi que ce soit. Je ne pense pas que ce sera le cas un jour d’ailleurs. Mais bon, on verra...

Concernant les projets ciné/TV, comment expliquez-vous ce manque de concrétisation des adaptations BD franco-belges sur le grand et petit écran ? Les exemples venus des États Unis sont dans leur ensemble assez concluants, surtout ces dernières années.

Disons qu’accepter de voir son projet adapté au grand ou au petit écran, c’est un peu abandonner son bébé devant la porte d’un inconnu. On sait qu’on va s’en occuper, mais on ne sait pas trop comment. Callède et moi désirions nous investir dans l’élaboration d’une éventuelle adaptation, mais on nous a fait comprendre à plusieurs reprises que “chacun son métier”. Il y a un réel mépris en France de la part des cinéastes vis-à-vis de la BD. Bien sûr, je généralise, il y a des exceptions, comme toujours. Je pense notamment à Julien Neel qui est parvenu à garder le contrôle de son adaptation de Lou de A à Z. Mais c’est plutôt rare.

D’Encre et de Sang
Renaud & Gihef (c) Sandawe

Continuez-vous à vous investir dans l’audiovisuel ?

Pas vraiment, non. J’ai déjà légèrement changé de direction professionnellement. Je vais tâcher de placer tous mes efforts dans l’écriture de scénarios BD avant toute chose.

Hormis la fin de “d’Encre & de Sang”, quels sont vos prochains projets ?

J’ai pas mal de choses en chantier. En janvier, le tome 3 de Complot (avec Alcante, chez Delcourt) sera dans les bacs. Je travaille sur l’adaptation d’une série de romans à succès pour les éditions Soleil dont je ne peux pas trop parler pour le moment, mais ça devrait être un assez gros truc. Enfin, on espère toujours…

J’ai trois autres projets en chantier pour Kennes Editions, un truc un peu barré à la Californication avec mon compère Alcante qui co-scénarise avec moi et Dylan Teague au dessin.

J’ai aussi une série sixties qui démarre avec Antonio Lapone et ce sera radicalement différent de ce qu’il a fait jusqu’à présent. On est davantage dans la comédie de mœurs. Le projet s’intitule Greenwich Village et est centré autour d’un petit immeuble de ce quartier new-yorkais au tout début des années 1960. Ce sera une série “multi-vitamines” car il y aura de la romance, du suspense, de l’humour et le contexte social et historique ne sera pas en reste non plus. On y retrouvera l’ambiance des vieux films à la Billy Wilder, Hitchcock, George Cukor et consorts qu’Antonio et moi aimons beaucoup.

J’entame par ailleurs une série d’adaptations de bouquins jeunesse dans l’univers des contes de fée avec Julien Mariolle au dessin. Et enfin pour Delcourt, Alcante et moi avons remis le couvert sur une série horrifique dont je reparlerai bientôt. Nous avons deux albums en préparation, dont un avec Stéphane Perger avec lequel j’ai déjà collaboré sur le troisième tome de Complot.

D’Encre et de Sang
Renaud & Gihef (c) Sandawe

Voir en ligne : D’encre et de sang T2 sur le site de Sandawe

(par Christian MISSIA DIO)

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1 Message :
  • "Concernant les projets ciné/TV, comment expliquez-vous ce manque de concrétisation des adaptations BD franco-belges sur le grand et petit écran ? Les exemples venus des États Unis sont dans leur ensemble assez concluants, surtout ces dernières années".
    Les américains, ils ont de grosses chevilles parce qu’ils transpirent beaucoup sur leur travail et parce qu’ils savent écrire de vraies histoires adaptables au cinéma.Ca s’apprend. Ca ne s’improvise pas
    En France, on passe son temps à compter le nombre de like sur sa page Facebook ou s’admirer dans un miroir donc pas étonnant que ça radote ferme.

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