Dans la biographie sur le créateur de Tintin qu’il a publiée chez Plon, en 1996, Pierre Assouline révèlait qu’à la fin des années 1940, Hergé et sa première épouse, Germaine Kieckens, avaient adopté un petit orphelin venu d’un pays lointain. Selon le biographe, Hergé n’aurait pas supporté plus de quinze jours cette responsabilité et aurait « rendu » [sic] l’enfant, ce qui était un peu choquant de la part d’un ami proclamé des enfants.
Pierre Assouline revient à nouveau sur ce « scoop » au détour d’un portrait que Delphine Peras brosse de lui dans l’Express de ce 19 mars. Pour la première fois, Assouline cite sa source : c’est la première épouse du dessinateur, Germaine Kieckens, qui lui aurait révélé cette histoire.
Dans un communiqué de presse commun, Philippe Goddin et Benoît Peeters contestent vigoureusement cette affirmation. Ces spécialistes d’Hergé s’interrogent sur l’absence de notes dans les archives privées de la première épouse d’Hergé, archives qu’ils ont consultées de son vivant, alors même qu’elle consignait le moindre fait dans un journal intime où elle s’exprimait sans pudeur sur la situation de son couple.
Les deux biographes s’interrogent par ailleurs sur le fait que l’arrivée d’un enfant n’ait pas été connue par la famille et les proches d’Hergé et de Germaine Kieckens. Ceux-ci, avec une belle unanimité, ont contesté ce fait. Goddin et Peeters se demandent pourquoi Pierre Assouline a attendu aujourd’hui pour mentionner cette source alors qu’il aurait pu la signaler lors de la réédition corrigée de sa biographie en poche et dans laquelle, en dépit de la demande expresse de la légataire universelle d’Hergé de retirer ces lignes contestées, il décida de les maintenir.
Dans l’Express, Assouline prend soin de souligner que sa source parlait « off the record ». Or, Germaine Kieckens-Remi, décédée en octobre 1995, n’avait pas pu commenter la biographie d’Assouline publiée en 1996. Le retour de cette "révélation" à quelques semaines de l’inauguration du Musée Hergé aurait-il quelque chose de calculé ?
Hergé et les fantômes d’Assouline
Au détour d’un portrait sur trois pages de Pierre Assouline (Un biographe si modèle), « L’Express » du 19 mars), l’hebdomadaire fait un sort, dans un court encadré – qui vient comme un cheveu sur le « scoop » –, à la fugitive adoption d’un enfant par Hergé et sa première épouse, Germaine Kieckens-Remi. Dans la biographie – remarquable par ailleurs – qu’il consacra au dessinateur belge (Plon, 1996), Assouline évoquait en effet l’arrivée à la fin des années quarante d’un orphelin de 7 ou 8 ans venu d’un pays lointain, qu’Hergé ne supporta pas plus de quinze jours et qu’il rendit (sic).
L’encadré revient sur la controverse que cette assertion, si fâcheuse pour l’image du « père » de Tintin, provoqua, en particulier chez ses proches qui n’avaient jamais entendu parler de cet enfant. Pour clore un débat qui suscite son « irritation », Assouline assure à présent tenir de la bouche de Germaine elle-même le récit de ce pénible épisode.
Caramba, encore raté… La révélation si tardive de sa source soulève à notre avis de nouvelles questions.
Comment un événement aussi important qu’une tentative d’adoption, tournant court par le fait d’Hergé, peut-il être totalement occulté dans le journal tenu par Germaine tout au long des années 40 et 50, alors qu’elle y relate en détail, sans crainte de l’impudeur, les difficultés de son couple jusqu’à sa séparation en 1960 ? C’est invraisemblable aux yeux de ceux qui, comme nous, ont épluché ces documents privés. Comme il est invraisemblable qu’au cours de nos nombreux entretiens avec elle dans les années 80, elle n’y ait jamais fait allusion, alors que son franc-parler et sa rancœur de femme délaissée étaient intacts et que la gloire de son ex-mari suscitait chez la vieille dame plus d’ironie et d’amertume que d’admiration.
Assouline aurait donc recueilli in extremis un secret qu’elle avait su, jusque-là, taire à tous, neveux, familiers et… autres biographes. Mais alors pourquoi se considère-t-il libéré de ce « off » maintenant seulement… alors que Germaine Kieckens « n’est plus de ce monde » depuis octobre 1995, soit plusieurs mois avant la parution de son livre ?
Du moins aurait-il pu profiter de la réédition revue et corrigée de son Hergé en format poche (Folio, 1998) pour citer sa prétendue inspiratrice et confondre ainsi ceux qui lui « cass(aient) les pieds » avec cette affaire d’adoption. Au lieu de quoi, le biographe s’ouvrait une porte de sortie ambigüe, comme s’il doutait du bien-fondé des fameuses « 10 lignes » qui la précèdent : Cette histoire, longtemps considérée comme taboue, trouve peut-être sa source dans une confusion avec la présence dans les années cinquante, aux côtés du couple, du petit Wilfrid, le fils des gardiens de la propriété (page 656).
Ce n’est sûrement pas Germaine, qui aurait fait une « confusion » aussi improbable entre un garçonnet du Brabant et un enfant d’un « pays lointain » !
Ne faudrait-il pas plutôt chercher la véritable origine de ce sinistre racontar chez certaine éphémère secrétaire d’Hergé dans les années 70 ? Inconsolable d’avoir été congédiée, elle ne fut pas avare de ragots désobligeants à l’endroit de son ancien patron… après la mort de celui-ci, bien sûr. Libre à Assouline d’avoir accordé à certains d’entre eux une oreille complaisante à l’époque de son enquête, mais il est regrettable qu’il se retranche aujourd’hui derrière Germaine pour en valider le moins plausible et le plus déplaisant.
Dans le portrait de « L’Express », Bernard Pivot vante « un enquêteur hors pair, méthodique, opiniâtre, recoupant ses informations ». Nous ne sommes pas certains qu’en invoquant à contretemps et sans risque les mânes d’un seul témoin, depuis longtemps disparu, Assouline se montre ici digne d’un tel éloge.
Philippe Goddin et Benoît Peeters, biographes d’Hergé
(par Nicolas Anspach)
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En médaillon : Hergé - Photo (c) DR.
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