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Grand Prix d’Angoulême 2018 : l’évidence Andréas

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 4 janvier 2018                      Lien  
Chaque année, une liste est proposée à quelque 1500 créateurs de bande dessinée par le Festival d’Angoulême pour élire le « Grand Prix » de l’année. Les années précédentes, après le Japonais Akira Toriyama, l’Américain Bill Watterson et le Japonais Katsuhiro Otomo, ce sont le Belge Hermann et le Suisse Cosey qui avaient emporté la palme. Pourquoi pas l’Allemand Andreas cette année ?

C’est un auteur discret, voire bougon, qui n’aime pas quitter la Bretagne où il s’est réfugié. Et comme il ne se trémousse pas devant les caméras pour commenter le temps qui passe, on a un peu pris l’habitude de l’oublier.

Et pourtant, quel expérimentateur, quel dessinateur puissant, et quel bâtisseur d’univers inventif ! De son vrai nom Andreas Martens, Andreas est certes né le 3 janvier 1951 à Weißenfels, en Allemagne (de l’Est, à l’époque) dans le Land de Saxe-Anhalt, mais il est aussi un produit de l’École Belge et de l’École américaine. En clair, l’un des premiers tenants d’un style mondialisé.

Grand Prix d'Angoulême 2018 : l'évidence Andréas
Rork, par Andreas.
© Le Lombard

Après avoir suivi pendant un an les cours de l’Académie des beaux-arts de Düsseldorf (il avait raté de peu la date d’inscription auprès de l’institution bruxelloise), il rejoint le fameux Institut Saint-Luc à Bruxelles, l’une des premières écoles de BD du continent, et fait ses premières armes avec les dessinateurs de sa génération en compagnie de Claude Renard et François Schuiten, Tony Cossu, Philippe Berthet et Philippe Foerster.

Mais c’est celui qui a été son professeur de cours du soir, le très classique Eddy Paape (Luc Orient, Marc Dacier, L’Oncle Paul…), qu’il assista entre autres sur la série Udolfo ainsi que sur Luc Orient, qui le fait entrer par la grande porte dans le Journal Tintin.

Rork, par Andreas.
© Le Lombard

Ce gros bosseur, régulier et fidèle, travaillera pour le Lombard sans discontinuer jusqu’à aujourd’hui, non sans produire à côté pour les jeunes éditeurs indépendants de l’époque : Michel Deligne, Magic-Strip et surtout Guy Delcourt, encore son éditeur actuellement.

Un expérimentateur remarquable

Dès 1978, il réalise une bande dessinée qui tranche radicalement avec la production de l’hebdomadaire des 7 à 77 ans. Influencé par le comic-book américain, et en particulier les dessinateurs Bernie Wrightson, Barry Windsor-Smith, Neal Adams ou Alex Toth, il intègre dans sa bande dessinée d’inspiration franco-belge les codes de la grammaire graphique américaine.

Sa culture est celle d’un fantastique inspiré par H.P. Lovecraft, Edgar Allan Poe voire Jean Ray. Cela donne Rork avec, au début, ses courts récits percutants où il expérimente des découpages audacieux qui montrent à quel point il est intéressé par toutes les audaces et toutes les possibilités du médium. Comme Alan Moore, dont il est contemporain, il réalise des narrations qui ne sont possibles que dans le contexte du 9e art.

Capricorne, par Andreas.
© Le Lombard

Avec son encrage anguleux et en même temps très habile, Andreas dénote par la volonté d’expérimenter continuellement de nouvelles formes de découpages et de techniques, comme en témoigne un album entier fait sur la carte à gratter (Révélations posthumes,aux éditions Bédérama, avec François Rivière, 1980), comme l’avaient fait avant lui le Français Tardi, puis après lui le Suisse Thomas Ott ou le Turc Emre Orhun.

Il s’ensuit une quarantaine d’albums qu’il réalise avec un incroyable brio, des histoires complexes où différentes séquences ou époques se trouvent enchâssées, les cases elles-mêmes prenant des formes les plus diverses, associées à des cadrages azimutés. Toute lecture d’Andréas est une expérience bluffante.

Cromwell Stone, par Andreas
© Delcourt

Une cinquantaine d’albums en près de 40 ans

Installé en France, d’abord à Paris puis en Bretagne à Saint-Brieuc puis à Rennes où il réside de 1995 jusqu’à aujourd’hui, il est de toutes les batailles de son temps publiant dans Tintin, mais aussi (A Suivre) ou Métal hurlant. En 2002, on le voit même participer à la série Donjon de Lewis Trondheim et Joann Sfar aux éditions Delcourt.

Ses grandes séries sont Capricorne (20 tomes) au Lombard et Arq (18 tomes) chez Delcourt auxquelles s’ajoutent d’ébouriffants one-shots (Cyrrus-Mil, le Triangle rouge, X-20...).

Sans concession, son travail trouverait dans son accession au Grand Prix une juste reconnaissance et distinguerait pour la première fois un Allemand dans ce palmarès de référence. Auteurs qui nous lisez, vous savez ce qu’il vous reste à faire...

"La Caverne du souvenir", Par Andreas
© Le Lombard

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN :

Photo en médaillon : Le Lombard / D.R

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14 Messages :
  • Grand Prix d’Angoulême 2018 : l’évidence Andréas
    4 janvier 2018 16:16, par philippe wurm

    Belle plaidoirie pour Andreas M. Pasamonik !
    Andreas est un expérimentateur infatigable et très intelligent. Je crois qu’il a réalisé presque tous les types de mises en pages possibles pour promener sont lecteur dans le labyrinthe des cases et du temps. Une récompense au sommet ne serait que justice.
    C’est un auteur exigeant qui demande une attention particulière au lecteur mais on en est le plus souvent récompensé.
    Je voudrais préciser que le "très classique Eddy Paape" appréciait grandement les expérimentations du jeune Andreas. C’est pourquoi il a travaillé avec lui. Le professeur Paape a eu ceci de merveilleux qu’il laissait tous les styles et toutes les personnalités s’exprimer, il s’appliquait juste à les aider à s’épanouir. La très grande technicité et la grande science de la narration de Paape étaient, pour les élèves, la garantie que son enseignement était frappé au coin du bon sens, ce qui n’est pas toujours le cas en matière d’enseignement artistique.

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  • "Comme il ne se trémousse pas devant les caméras pour commenter le temps qui passe"
    Vous en connaissez beaucoup - à part Sfar - qui en ont l’occasion ? Les auteurs de BD sont encore largement snobés par "les caméras" ( ça ne leur manque peut-être pas tant que ça, mais c’est une autre histoire).

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  • Grand Prix d’Angoulême 2018 : l’évidence Andréas
    4 janvier 2018 19:27, par Christophe Krummenacher

    détonne plutôt que dénote, non ?
    A part ça un artiste qui mériterait certainement une plus grande reconnaissance publique.

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    • Répondu par Henri Khanan le 4 janvier 2018 à  20:18 :

      Alors, oui, cela serait un bon choix Mesdames, Messieurs.
      Puisse le collège d’électeurs écouter vos souhaits, l’oeuvre d’Andréas est exigeante et personnelle, mais fascinante !
      Et sinon, c’est une cinquantaine et non Une cinquanitaine !!

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      • Répondu par Zouzoute le 5 janvier 2018 à  20:17 :

        Andréas, GRAND PRIX !
        Une évidence depuis tant d’années.
        Andréas est un auteur talentueux complet dont les œuvres sont remarquables, Cromwell Stone, Rork ....
        De la très bonne bande dessinée, avec d’excellents scénarios et un graphisme en évolution constante, d’un très haut niveau...
        Il fait parti des dessinateurs dont les albums peuvent être relus indéfiniment. Il survole, hors des modes, depuis bien longtemps toute cette "production" médiocre que l’on nous balance chaque année ...

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    • Répondu par gggg le 5 janvier 2018 à  11:19 :

      Gné.
      Dénote c’est très français et très approprié. Tourner son clavier 10 fois dans sa bouche

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      • Répondu par Bruno le 6 janvier 2018 à  01:35 :

        "Dénote" est français, certes, mais n’est ici pas du tout approprié pour exprimer ce que l’auteur a voulu dire. C’est "détonne" qui convient.

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  • Je suis bien d’accord. Mais Angoulême fournit d’abord une liste aux auteurs, non, comme l’année dernière ?... Elle est sortie ?... Andreas y est-il ?... Pas dans les éditions précédentes, malheureusement...

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  • Grand Prix d’Angoulême 2018 : l’évidence Andréas
    5 janvier 2018 19:23, par Philippe Boon

    Les deuxième et dernière illustrations de l’article ne proviendraient-elles pas du one-shot "la caverne du souvenir" ? Si c’est le cas, les légendes s’y rapportant sont erronées.
    Ce qui n’enlève rien à cette excellente synthèse faite autour d’Andréas, qui mériterait sans nul doute un grand prix pour l’ensemble de son oeuvre et de ses recherches. Ce type est un génie injustement méconnu du large public !
    (avis éminemment personnel que j’assumerai jusqu’à ma mort.)

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    • Répondu par Eleve Chaprot le 5 janvier 2018 à  22:12 :

      C’est bien extrait de "La caverne", mais ce n’est pas une légende, plutôt un exemple-explication de planche ;-)

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      • Répondu par J-Michel Lemaire le 9 janvier 2018 à  14:52 :

        qu’elle bonne idée !
        un des auteurs les plus intéressant de ces 30 dernières années

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  • Grand Prix d’Angoulême 2018 : l’évidence Andréas
    8 mars 2018 18:23, par GEGOUT Hervé

    Cet auteur mérite cette récompense, que dire de tout se styles séries, essais, de Monster à Coutoo, il est impossible de ne pas plonger dans la finesse du trait et des couleurs d’Isabelle Cochet. 20 ans que je reste fan et il doit y en avoir quelques dizaines de Mills qui voteraient sans hésiter.
    Un vrai, un bon, si rare

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    • Répondu par Henri Khanan le 9 mars 2018 à  12:28 :

      Oui, mais bon, c’est le grand et musclé Richard Corben, et non le mince et timide Andréas.
      Bien évidemment, je fais exprès de faire semblant de déduire l’apparence physique de l’auteur du style de ses planches, pour le fun !
      A 75 ans, je ne pense pas que Corben soit spécialement musclé ni macho d’ailleurs.
      Sa nomination a donné à son éditeur français Delirium l’idée de reprendre en album sa dernière série Grave. Succès grâce au financement participatif, il est encore temps de réserver son exemplaire !https://www.kisskissbankbank.com/grave-de-richard-corben-edition-limitee

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