Le délégué général du FIBD, Franck Bondoux, ne se laisse pas impressionner : tout en soulignant que le FIBD a de tout temps œuvré, depuis 47 ans, pour « valoriser la création des autrices et auteurs de bande dessinée et à faire reconnaître leur art auprès du plus grand nombre et des pouvoirs publics », il rappelle que l’un des vecteurs de cette reconnaissance est précisément le Grand Prix.
Et de faire ce rappel au règlement : « comme cela a déjà été indiqué, le Festival - en 2021 et comme précédemment - suit une démarche conforme au règlement de cette désignation, lequel stipule dans son article 3 [règlement que nous publions intégralement ci-dessous en PDF] que « Tout auteur·autrice vivant·e de bande dessinée est éligible, à l’exception des auteurs/autrices déjà récompensé·e·s d’un Grand Prix par le passé. »
Contestations et objections
Les porte-paroles du AAA exigeaient (voir notre podcast) « la publication du règlement de l’élection du Grand Prix, dont la dernière version connue date de 2017 ». Que nenni répond le festival : ce règlement était disponible cette année encore sur la plateforme où les auteurs étaient invités à voter. « Il a par ailleurs été adressé à tous les éditeurs au moment où ils étaient sollicités pour renseigner les noms de leurs auteur·rice·s sur la plateforme en ligne. . Car c’est un fonctionnement du prix qui est peu mentionné : ce sont les éditeurs, petits et grands, qui désignent les électeurs à cette élection suprême.
Déplorant ce « vote protestataire », le FIBD dit avoir obtenu « une large majorité de votes ». Il ajoute que l’expression de ce suffrage impose le respect : « Il serait incohérent, qu’il ne prenne pas aujourd’hui en compte leurs votes – et ce d’autant plus qu’il s’agit de promouvoir l’un.e des leurs. »
Quant à la transparence, le FIBD confirme que « l’ensemble du déroulement de la désignation du Grand Prix s’effectue toujours sous contrôle d’huissier. »
Mais il ajoute que « si le Festival ne communique pas, et ce depuis l’origine, les chiffres de la ventilation des voix qui se sont portées sur des noms d’auteur·rice·s lors de la désignation du Grand Prix, c’est par respect pour ces dernier·e·s : s’il les diffusait cela reviendrait à établir un classement qui n’entre pas dans l’esprit de ce Prix, créé il y a près de 50 ans, et qui a compté dans la carrière de nombreux artistes. »
Pourquoi le FIBD ?
Le FIBD revient sur l’injustice que constitue à ses yeux cette action. Il rappelle ses états de service : il a accueilli la première réunion des États Généraux de la bande dessinée ; il a accompagné les différentes actions de visibilité des auteurs (défilés, débrayages de dédicaces, prise de parole pendant les remises de prix, etc.) ; il a également favorisé le dialogue avec le ministère de la Culture, et même avec le Président de la République, offrant sa vitrine médiatique à l’expression des auteurs : « Le Festival s’efforce de jouer un rôle qui lui semble essentiel : constituer un espace d’échanges entre les acteurs de l’écosystème de la bande dessinée et entre eux et les pouvoirs publics ». Et de rappeler qu’il ne possède lui-même « aucun pouvoir décisionnaire par rapport aux causes que le collectif souhaite faire aboutir. »
Il conclut en exprimant franchement son agacement : « [Le FIBD] espère passer à un autre mode d’échange que celui de l’interpellation publique, lequel commence à prendre sérieusement maintenant des allures de règlement de comptes avec le Festival. »
Il faut dire qu’après bientôt deux ans d’inactivité et après le départ de l’un de ses directeurs artistiques, le FIBD est déstabilisé.
Rétroactes
Ces « mauvaises humeurs » des auteurs à l’encontre du Festival ne sont pas nouvelles. Elles s’exprimèrent avec l’élection en 1999 de Robert Crumb qui se solda par une affiche du festival quasiment mortuaire. On se souvient aussi du rôle de Lewis Trondheim en 2013 qui, en twittant en catimini ses impressions sur l’élection du Grand Prix, aboutit à la suppression de l’Académie des Grands Prix instituée depuis 40 ans.
Les AAA, une communauté revendiquée de 1200 auteurs dont le sigle rappelle celui de l’anarchie, s’arcboute sur le Rapport Racine sans mentionner qu’une autre consultation ministérielle faite cette fois auprès d’un juriste -le rapport Sirinelli/Dormont- soulignait les limites et les risques juridiques d’un bouleversement irréfléchi des relations entre auteurs et éditeurs dont les conséquences pourraient être à double tranchant.
Et de renvoyer les recommandations du Rapport Racine à une renégociation entre les instances collectives, en clair, entre les syndicats représentatifs des auteurs et des éditeurs. Or, comme ils l’ont expliqué, les AAA œuvrent en marge de ces instances, ils se revendiquent comme un organe d’expression.
Lever les ambigüités
Mais en perturbant l’élection du Grand Prix, ils vont bien plus loin : ils posent un véritable acte politique. La situation est d’ailleurs bien ambigüe. Ainsi voit-on un Benoit Peeters, à la fois fondateur des États généraux de la Bande dessinée, avec Valérie Mangin et Denis Bajram et un temps administrateur d’une instance de représentation collective comme la Société civile des auteurs multimedia (Scam), soutenir ouvertement ce « vote protestataire ». On voit par conséquent que la crise est bien plus profonde.
Je regrette vraiment que le Festival International de la Bande Dessinée d'Angoulême n'ait pas pris en compte les nombreux votes en faveur de Bruno Racine. Un prix attribué à l'auteur de ce rapport aurait été un signal fort. @bdangouleme @2020anneeBd pic.twitter.com/WnXHxcLF3T
— Benoît Peeters (@BenoitPeeters) June 3, 2021
Et maintenant ?
Rien n’est joué pour l’heure et la tension reste palpable : rien n’empêche que Pénélope Bagieu ou Catherine Meurisse ne s’abstiennent, vu les circonstances, d’accepter ce Grand Prix, comme l’avait fait Riad Sattouf en 2016 qui avait rejeté sa nomination au profit d’une autrice. Le prix reviendrait automatiquement à Chris Ware qui pourrait très bien, lui aussi, le décliner. On ne serait pas plus avancé...
Il devient plus que nécessaire de s’interroger sur la finalité de ces actions contre le FIBD et sur l’utilité de ce « vote protestataire. » On en profiterait alors pour lever les ambigüités et permettre de voir s’exprimer d’autres voix que ces mouvements de protestation non structurés et sporadiques, ou les auteurs anonymes de nos forums, des voix qui représenteraient effectivement la profession et qui viendraient avec des vraies propositions dans un esprit de concertation. Le métier en a besoin en ces temps de reprise.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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