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"Gringos Locos" enfin en librairie !

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 11 mai 2012                      Lien  
Quelle aventure! Alors que les auteurs de "Spirou : Le Groom Vert de Gris", Yann et Olivier Schwartz, avaient entrepris de raconter l'histoire de leurs idoles, les dessinateurs Franquin, Morris et Jijé, partis en 1948 pour l'Amérique afin de se faire embaucher par Walt Disney, les héritiers de ces dessinateurs en avaient bloqué la publication afin d'y faire insérer un "Droit de réponse". Les deux documents sont actuellement en librairie.

Jijé, Franquin, Morris, trois légendes. Le premier fut l’un des plus grands dessinateurs réalistes francophones (Jerry Spring, Valhardi, Don Bosco...), le second le dessinateur le plus habile de sa génération (Spirou, le Marsupilami, Gaston Lagaffe...), le troisième l’auteur de la plus célèbre BD de western humoristique de son temps... (Lucky Luke). Trois personnes simples et en même temps des légendes du Panthéon de la bande dessinée.

Leur périple en Amérique est participe à leur réputation : paniqué par le Guerre Froide, Jijé décide de partir aux Amériques avec femme et enfants en bas âge, emmenant deux jeunes dessinateurs qu’il a pris sous son aile : Franquin et Morris.

"Gringos Locos" enfin en librairie !
Gringos Locos de Yann & Schwartz
(c) Dupuis

Voyage initiatique déterminant pour l’histoire de la bande dessinée : ces trois dessinateurs reviendront les yeux pleins des paysages américains, conférant une qualité inédite à leurs images, mais aussi des graphismes de l’industrie naissante du comic book, où domine déjà les plus grands dessinateurs du monde : Milton Caniff, Al Capp, Will Eisner... et où des individualités comme Harvey Kurtzman ou Jack Kirby commencent à trouver leurs marques. C’est à New York que Morris croise René Goscinny. Leur rencontre change la face de la BD franco-belge.

C’est cette histoire que raconte deux créateurs qui ont biberonné aux œuvres de ces grands auteurs. Au scénario de cette aventure extraordinaire, un sale gosse : Yann, compagnon de route d’Yves Chaland, dynamiteur de l’école de Charleroi avec ses hauts de page de Spirou et empêcheur de tourner en rond des bien-pensants. Rien ne le met plus en joie que la subversion et l’ambiguïté. Au dessin, Olivier Schwartz dont le dessin souple et habile doit précisément aux classiques qu’il illustre ici, dans une tradition de dessin parodique initiée par Yves Chaland.

Gringos Locos de Yann & Schwartz. La chevauchée fantastique de trois auteurs mythiques de l’Ecole belge.
(c) Dupuis

"Une œuvre de friction"

Leur histoire est une sorte de docu-fiction à forte teneur parodique, une rêverie sur un voyage un peu fou qui a eu tant d’importance dans l’histoire de la BD. Il devait sortir en librairie à la mi-janvier, juste avant Angoulême, et là, patatras, la sortie est bloquée par les ayant droits qui ne reconnaissent pas leurs parents dans cette aventure. Schwartz & Yann sont parfaitement dans leur droit. Mais c’est sans compter le poids qu’ont ces auteurs historiques dans le chiffre d’affaires des éditions Dupuis. Les 35.000 exemplaires fabriqués reprennent le chemin de l’imprimerie...

Yann et Schwartz peuvent sabrer le champagne, leur bouquin vient enfin de sortir.
Photo DR

Il s’ensuit une négociation qui aboutit à l’ajout d’un cahier où les enfants de Jijé qui ont pris part à cette équipée américaine donnent leur part de vérité dans un "Droit de réponse" qui n’a aucune valeur juridique et qui constitue même un précédent inquiétant pour la liberté de création. Mais enfin, l’album sort et c’est ce qui compte, enrichi de documents nouveaux et inédits de source familiale. La légende peut continuer. Au passage, quelques petites modifications ont été faites à la BD publiée dans Spirou : Les jurons, en bruxellois au départ, par exemple, sont redevenus wallons...

Quand même, on se demande comment la chose a pu arriver. De quel côté a-t-on merdé, des auteurs ou de Dupuis ? "Personne n’a merdé !, se récrie Yann. Nous avons réalisé un ouvrage de fiction inspiré de faits réels (au cinéma c’est monnaie courante) qui a été pris tel quel pour une biographie édifiante à la gloire de notre trio d’auteurs. Pourtant, à la fin du récit, la petite interview qu’a réalisé José-louis Bocquet explique bien qu’il s’agit d’un récit humoristique et en page de titre, il est bien précisé qu’il s’agit d’une œuvre de fiction... C’est devenu une œuvre de friction !" résume-t-il avec son à-propos habituel.

"Dupuis n’a pas vu venir le coup ! Nous non plus d’ailleurs..." confirme Schwartz de son côté.

Dessin inédit, les trois "clampins" au musée. Yann & Schwartz ont su caractériser ces grands maîtres de l’école de Bruxelles
(C) Schwartz & Yann

Ce qui a fasciné Yann dans cette équipée de "clampins", c’est le contexte de l’époque : " Voila trois jeunes auteurs qui sur un coup de tête, s’embarquent à la conquête de l’Eldorado, sans plan précis mais avec femme et enfants, vivant comme des bohémiens, on pense à Kerouac et sa bande, à qui il arrive des aventures incroyables, épiques, pathétiques parfois, qui découvrent les quartiers chauds de Tijuana, le pulque, les comics, Goscinny … et qui à leur retour, vont inventer la BD européenne moderne !"

"Après ce voyage virtuel en leur compagnie, dit Schwartz, ils sont devenus pour moi plus humains et je les aime mieux, différemment."

Est-ce pour autant une œuvre qui intéresse le grand public, au-delà du cercle des amateurs qui percutent à la moindre référence et qui vibrent au dessin d’un Chaland ? " Brel disait qu’il écrivait comme on le faisait au début du siècle (le XXe…) Et il ajoutait : Brassens lui, écrit comme au 19e…Était-ce une démarche "vintage" ? rétorque Schwartz.

Quant à Yann, il considère que " Rien n’est plus beau que du vieux, quand c’est bien fait ! le Temps est le meilleur des critères artistiques : il confère une douce patine aux œuvres de valeur et moisit impitoyablement les productions médiocres ou frelatées…"

"Au début j’étais circonspect quant à la possibilité de faire une bande dessinée spectaculaire avec pareil sujet, raconte Schwartz. Mais tout le talent de Yann est là !"

Dans la version initiale parue dans Spirou, les auteurs prêtent un accent et des jurons bruxellois à Jijé, Wallon militant. Lourde erreur... corrigée pour l’album !
(c) Yann & Schwartz

Yann confirme, à sa façon sarcastique : "Le plaisir de recréer cette époque, à la fois désinvolte, insouciante, naïve et pourtant encore imprégnée de la tragédie si récente : quatre ans auparavant, la Belgique était encore sous la botte nazie, de l’Occupation et de ses horreurs ; ce décalage entre la candeur d’une poignée de belges naïfs confrontés au Nouveau Monde, insolent et moderne, permet de leur insuffler un enthousiasme communicatif, l’envie pour eux de bouffer la vie à pleine dents, au jour le jour, sans trop réfléchir…. C’est tellement éloigné de nos petites préoccupations mesquines et étriquées actuelles : perte de la notation AAA de l’andouillette et de la France, pensions de retraite complémentaire, vacances aseptisées au Club Machinchose, interdiction de fumer dans les cafés, et autre dépistage du cancer colorectal… Le comble de l’aventure, de nos jours, c’est sur Facebook ! Misère… Dieu merci, le Passé, c’est l’Eldorado !"

Et effectivement, cet album replonge le lecteur dans un bain de jouvence, celui de nos vieux Spirou d’antan, quand les grands auteurs belges étaient au sommet de leur art.


Deux étapes de crayonné avant l’encrage final
(C) Schwartz & Yann

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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6 Messages :
  • "Gringos Locos" enfin en librairie !
    12 mai 2012 01:40, par M. Offergeld

    "Est-ce pour autant une œuvre qui intéresse le grand public, au-delà du cercle des amateurs qui percutent à la moindre référence et qui vibrent au dessin d’un Chaland ?"
    La question semble devoir rester entière, même après lecture de votre article.
    On peut en effet se demander en quoi cette équipée qui a peut-être fait fantasmer une certaine génération peut encore avoir un quelconque intérêt pour le lectorat d’aujourd’hui. Bien sûr, le charme de la ligne fifties sera louangé par certains, car il ne fait pas doute que le graphisme de Schwartz est parfaitement assorti à ce cadre de l’Amérique et du Mexique de l’après-guerre (d’ailleurs très bien reconstitués).

    Si vrai malaise il y a, c’est que dans cet hommage à l’école de Marcinelle naissante (personnifiée par nos trois héros), tous les enseignements graphiques et narratifs de cette école sont allègrement laminés par les deux auteurs. C’est paradoxalement bien dans l’esprit des actuelles éditions Dupuis, qui s’acharne depuis quelques temps à vouloir liquider l’héritage de la bande dessinée "à la papa", en particulier dans les pages du journal Spirou où les transfuges de la nouvelle école française (ayant toujours vomi le "franco-belge") semblent dorénavant devoir faire la loi. Tout est bon pour balayer le "style-maison" de ces 20 ou 30 dernières années, perçu comme insupportablement ringard (c’est toujours la dernière génération qu’il faut tuer), y compris en rameutant la bande à Jijé des années... 40.
    Si cette "nouvelle vague" (dans ce cas-ci, ce retour au source) aboutissait à une "nouvelle rigueur", à une démarche cohérente dans le bouleversement des codes, cela serait bien sûr digne d’intérêt. Malheureusement, rien n’est maîtrisé de la part de Schwartz et Yann :
    absence de mise en scène (angles de vue aléatoires, sautes d’axes permanentes), composition et logique du mouvement battues en brèche, bulles disposées au petit bonheur, jeu des personnages approximatif sinon bancal...

    Si cela peut aboutir en effet au "style Schwartz", avec son charme propre (et bien réel, d’ailleurs), il s’agit dans ce cas d’un style qui se définit d’abord par ses manques, par "ce qu’il n’est pas", tout du moins dans le cadre de l’art narratif qu’est par définition la bande dessinée (et qui devrait le rester), sur lequel nos trois héros en goguette ont tant réfléchi...
    Quant à Yann qui s’est longtemps posé en chantre de "la subversion et de l’ambiguïté" comme vous le rappelez, on se demande toujours par quel cheminement mystérieux il a aboutit à ce genre d’hagiographie aussi lénifiante que consensuelle. Même ses dialogues sont affligeant de platitude sinon franchement niais, à aucun moment retravaillés dans la concision, l’humour et le mordant (qu’il relise les dialogues de Franquin !). Au sujet du personnage de Morris, méritait-il d’apparaître comme tel dans cette légende dorée ? S’il fut évidemment génial dans son travail à une certaine époque, il est de notoriété publique qu’il est rapidement devenu un vrai beauf pantouflard et obtus, et on ne peut pas croire une seconde qu’il fut ce sympathique zazou déluré et libidineux.

    Pour moi, cet album reflète parfaitement la confusion extrème rêgnant actuellement chez les éditeurs (Dupuis en l’occurence), ne sachant plus à quel saint se vouer dans ce tourbillon de sorties et les querelles de chapelles artistiques qu’ils suscitent plus que jamais (et dont ils sont condamnés à être partie prenante). Ils en arrivent à "commander" ce genre de produit relevant de la politique du n’importe quoi : thématique qui se veut nostalgique et auto-célébratrice mais qui n’a d’intérêt que pour ceux que l’équipée de nos "gringos locos" ont fait rêver en leur temps, hommage qui se veut sincère alors que ce n’est que de l’histoire "arrangée" tout comme ses protagonistes, sacralisation des grands anciens mais dont tous les enseignements doivent passer à la trappe, style qui se veut novateur dans les pages de Spirou alors qu’il représente un bond (mal assuré, de surcroît) de 60 ans en arrière...
    Le tout, ironie suprême, dans l’optique à peine dissimulée de réaliser, au final, l’album le plus marketé et "dans le coup" qui soit.

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    • Répondu par Jethro le 12 mai 2012 à  14:50 :

      Bien envoyé !! Cela dit, ce M. Offergeld ne serait-il pas, lui, un "transfuge" des "cahiers du cinéma" ? ? Cela dit, je trouve quand même que le charme dont il parle l’emporte largement...

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    • Répondu par West le 12 mai 2012 à  21:25 :

      Au sujet du personnage de Morris,...il est de notoriété publique qu’il est rapidement devenu un vrai beauf pantouflard et obtus, et on ne peut pas croire une seconde qu’il fut ce sympathique zazou déluré et libidineux

      Vous connaissez bien mal les hommes. Observez ce que sont vos amis d’antant devenus, vos frères, sœurs, cousins, les gens changent, vieillissent, se raidissent, s’aigrissent, deviennent bien chiants alors qu’ils étaient tellement pleins de joie, d’avenir et d’allégresse dans leur jeunesse. La vie est sans pitié et ne réussit pas aux êtres (ça marche aussi avec les animaux).

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    • Répondu par Franck Lerouge le 12 mai 2012 à  22:46 :

      Que ce commentaire est long... long... long... Affirmant et ne démontrant rien (je me suis quand même accroché et j’ai lu jusqu’à la fin). Est-il possible de se prendre ainsi au sérieux ? ... sur un sujet qui finalement ne va pas changer la face du monde.

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      • Répondu par H_Lionel le 13 mai 2012 à  14:44 :

        « ... sur un sujet qui finalement ne va pas changer la face du monde. »

        Dans ce cas, cher Franck, RIEN dans le petit monde de la BD (et dans les forums) ne changera la face du monde... Et contrairement à ce que vous dites, ce monsieur n’a de cesse de "démontrer" ses propos. On peut même s’interroger sur cette "démonstration consciencieuse et définitive" sur cet album... Peut-être le battage fait autour, les 35000 ex. de tirage...

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  • "Gringos Locos" enfin en librairie !
    12 mai 2012 09:17, par cali44

    J’ai bien fait d’avoir achetez L’Immanquable, j’ai la version originale et je regrette une fin un peu burlesque. Je n’ai jamais pris cet ouvrage pour un récit biographique, je me suis toujours douté qu’il y avait des choses de rajouter. Que les héritiers sont moins pointilleux.

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