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Guillaume Bianco (1/2) : « Le livre illustré est le style narratif le plus efficace »

Par Charles-Louis Detournay le 30 novembre 2009                      Lien  
Bianco est un être à part : il s'immerge dans les univers des différents dessinateurs avec lesquels il travaille pour leur offrir des récits bien distincts, mais dont les valeurs sont communes : imaginaire, rédemption, liberté, et transformation.

Pour mieux entrer dans son univers particulier, je vous conseille d’aller (re-)lire le billet que nous lui avions dernièrement consacré. Sinon, il est utile de savoir que ce jeune auteur qui s’est dernièrement illustré avec Billy Brouillard et les scénarios d’Ernest & Rebecca vient de sortir trois livres qui se jouent de la bande dessinée :

Guillaume Bianco (1/2) : « Le livre illustré est le style narratif le plus efficace » Chat siamois, dans la nouvelle collection Venusdea qui propose un mélange entre livres d’images, récits et jouets. Cette histoire met en scène une petite fille qui modifie son monde pour le transformer à son image.

- Le premier tome d’Eco, au sein de la collection Métamorphoses toujours co-dirigée par Barbara Canepa, nous présente une riche petite fille, mais sa trop grande générosité précipite sa famille dans la déchéance. Rejetée, elle se fabrique quatre poupées de chiffon à qui elle donne la vie.

- Épictète est paru dans Lanfeust Mag’ : c’est un strip présentant un chien conscient de sa condition éphémère de "héros" de bande dessinée, et qui voudrait s’échapper de sa case pour vivre sa vie.

Ces trois albums sont issus de rencontres de Guillaume Bianco avec divers dessinateurs et leur univers. Ainsi, c’est bien la casquette de scénariste qu’il revêt pour nous parler des ces sorties :

Concernant Chat siamois, comment s’est déroulée la rencontre avec Ciou ?

Je l’ai tout d’abord croisée à Angoulème avec Barbara Canepa, notre directrice de la collection Vesnusdea qui avait littéralement "flashé" sur un de ses tableaux. L’année suivante, nous avons mieux fait connaissance lors de l’une de ses expositions à la galerie aixoise Lilly Pink. C’est Barbara qui m’a présenté cet univers "Lowbrow art", vers lequel je ne serais jamais allé tout seul... J’y ai découvert des personnalités incroyables, dont la talentueuse Ciou.

Qu’est-ce que vous a particulièrement attiré dans son univers ?

La poésie qui s’en dégage ! C’est ce que j’aime en général dans les dessins, les textes ou les peintures... Ce petit quelque chose en plus qui parfois émane d’œuvres en tout genre. L’univers de Ciou m’a transporté, en m’élevant aussi de mon quotidien pour quelques heures. J’ai été aspiré par sa sensibilité, délicate et féminine. J’aime particulièrement ses dessins en noir et blanc, ils sont mystérieux et laissent de la place au fantasme et à l’imagination, un peu comme les ombres chinoises...

Est-ce que l’histoire a surgi de votre rencontre ? Ou vous êtes-vous inspiré de son univers pour imaginer ce récit ?

Ciou possède un univers bien à elle : elle réalise de petites poupées de chiffon, des dessins, des peintures, des badges et des t-shirt... Mais jusqu’alors, aucun livre ! J’étais d’ailleurs frustré de ne pas en ramener un à la maison. Donc, lors du vernissage, je lui ai dis que c’était dommage qu’elle n’en fasse pas. Elle m’a répondu qu’elle ne savait pas trop comment s’y prendre pour écrire et m’a proposé de lui faire un texte. Je n’ai pas eu à me forcer beaucoup, car tout était déjà là : je n’ai fait qu’écrire ce que ses dessins me racontaient. Je suis basé sur son univers et me suis laissé un peu divaguer. Je lui ai soumis le texte, agrémenté d’un léger story board, ça lui a plu et elle s’est mise à le dessiner. Je suis content car désormais, j’ai un livre de Ciou à la maison que je peux feuilleter pour voyager avec ses personnages bizarres quand bon me semble...

Vous avez construit votre récit dans un code spécifique : les textes à gauche, les dessins à droite. Pourquoi une telle régularité ?

À mon sens, c’est le mode de lecture le plus simple et le plus efficace : texte et images sans fioritures. En effet, le texte doit être simple et direct. Et le dessin est tellement fort et particulier qu’il serait dommage d’en rajouter outre mesure.

Votre histoire était en lien avec la faute d’un enfant qui tue son chat, on sent d’ailleurs la colère de la mère face à l’erreur ou la bêtise de sa fille. Est-ce une métaphore liée à la rédemption des fautes d’enfants, à l’effet castrateur des parents sur les rêves de leur progéniture ?

J’ai écrit ce texte de manière assez instinctive, sans trop réfléchir, en me laissant guider par l’univers de Ciou : des chats à deux têtes, des serpents et des araignées... Tout ça s’est mélangé dans ma tête et est ressorti sous cette forme, sans trop que je sache pourquoi. Bien sûr, la métaphore de l’histoire soulève l’éternel débat de l’adulte consensuel et castrateur face à l’imaginaire débridé de l’enfance. Aujourd’hui, dans notre société, être adulte et responsable, c’est être triste et sérieux. Je pense que l’enfant que nous avons été hier est toujours là au fond de nous aujourd’hui, et qu’il ne sert à rien de l’étouffer, de le tuer... Tout cela n’apporte que souffrance et déséquilibre psychologique. Un adulte, tout en étant sensé et responsable, a aussi le droit de faire des bêtises, de tirer la langue et de dire des gros mots. Par exemple, les Britanniques aiment l’excentricité, ils en font une force et les traits de caractère un peu saugrenus sont perçus selon eux comme une qualité. Être libre, pour moi, c’est lâcher prise, rigoler, jouer, et laisser place à une certaine forme d’excentricité au sein de sa vie de tous les jours. Je retrouve cette qualité dans le travail de Ciou qui revendique pleinement ce qu’elle est.

Votre texte est en vers, je suppose que c’est pour donner une dimension plus poétique au récit ?

Lors de la première strophe, la rime s’est imposée toute seule ! Il a donc fallu que je continue comme ça, mais je ne me suis pas arrêté sur le nombre de pieds, faisant confiance à la musicalité des mots lorsque je lisais le texte dans ma tête. Pour moi l’écriture, c’est comme de la musique : il faut que cela soit joli, puis si ça a du sens, c’est encore mieux.

Comment Ciou a-t-elle imaginé le « jouet » lié au livre ?

Le jouet a été conçu en équipe autour du personnage principal du livre. Ciou a réalisé des dessins, puis la 3D et une équipe a sculpté le prototype. Avec l’aide de tout Venusdea, les choix des matériaux et couleurs ont été conceptualisés. Le jouet est encore aujourd’hui sous forme de prototype et sortira en 2010.

Une autre rencontre importante, c’est celle de Jérémie Almanza !

Je me suis donc inspiré de divers dessins de Jérémie. Puis je lui ai soumis un texte quasi définitif, ainsi qu’un story-board dessiné assez précis. Jérémie l’a réinterprété à sa façon, nous avons supprimé les dessins en trop, rajouté des paragraphes. Enfin, aidés de Barbara Canepa pour la mise en page et la maquette, nous sommes parvenus à ce résultat final.

Pour rappel, vous mêlez dans ce premier tome votre propre récit avec celui de Jack et le haricot magique. Comment vous est venue cette idée ?

Je voulais faire un hommage aux contes qui m’ont fasciné étant enfant. Les contes populaires du monde entier sont toujours construits sur le même modèle, comme s’il y avait un mystérieux nombre d’or à respecter. J’ai instinctivement suivi celui de Jack et le haricot magique pour me guider (conte que je projetais à l’époque d’illustrer). Puis j’ai cru bon de le citer en tête de chapitre, pour lui rendre justice...

Vous illustrez d’ailleurs ces passages vous-même, afin de bien distinguer ce fil rouge du reste du récit. Quelles sont les autres fables utilisées dans les deux livres ?

C’est Jérémie qui souhaitait que je réalise les dessins des têtes de chapitre. J’ai d’abord été un peu réticent, puis j’ai fini par trouver l’idée sympathique. Le conte du second opus sera celui du Petit chaperon rouge, car Eco, adolescente fera de bien curieuses rencontres dans la forêt, et nous aimerions que la métaphore de ce livre soit la découverte de la sexualité, ainsi que l’acceptation de son corps, de son être, et de son devenir. Le troisième et dernier tome sera celui de l’accomplissement, de la sagesse, de la vieillesse, de la mort et de la renaissance. Je ne vous dévoilerai pas le conte en question au risque de trop vous en dire sur la conclusion de l’histoire...

Guillaume Bianco illustre lui-même les débuts de chapitres avec le conte de Jack et le haricot magique

Une fois de plus, un enfant est le personnage principal de votre récit. Sont-ils pour vous les seules sources intéressantes de construction ?

Nous sommes tous des enfants ! On a beau avoir des moustaches et jouer à l’adulte sérieux, nous avons toujours peur du noir. Nous sommes tous contents d’avoir une jolie maman qui nous rassure en nous racontant des histoires, on aime tous rigoler et faire des bêtises ! L’enfant est donc une métaphore absolue. Je pense qu’il faudrait retourner à une sorte d’insouciance, d’espérance et d’imagination débridée propre à l’enfance pour être accompli spirituellement. Lorsque l’on est enfant tout est possible. Le meilleur de l’être adulte que nous sommes aujourd’hui est d’ailleurs parti d’un rêve d’enfant.

Comme Billy Brouillard, Eco se construit aussi son petit monde dans un endroit reclus, plutôt sombre. Le noir sera-t-il apaisant, rassurant pour les enfants selon vous ?

Je ne sais pas. L’obscurité fait peur, car il représente l’inconnu et le mystère. C’est une peur inhérente liée à la naissance et à la mort je pense. Mais le noir laisse également la place aux songes, aux fantasmes et à l’imaginaire. Donnez une craie à un enfant et laissez le devant un tableau noir. Vous serez surpris du résultat.

Le lecteur est encore confronté à la faute d’un enfant, comme pour Chat Siamois, mais qui prend ici des dimensions dramatiques pour sa famille. Bien entendu, il faut démarrer le récit, mais comment pensez-vous que les jeunes lecteurs vont interpréter le récit : qu’il faut toujours écouter ses parents, ne pas les décevoir ? Ou qu’il arrive de faire des erreurs, l’important étant d’essayer de les rattraper ?

Je pense que les enfants s’identifieront à Eco et prendront son parti, car ils subissent eux aussi trop souvent l’incompréhension des adultes trop occupés pour prendre le temps de les écouter. Eco n’a pas fait de bêtise ! Elle a fait preuve de générosité en désobéissant à ses parents. Ce sont ceux-ci qui sont dans l’erreur et la folie, aveuglés par leurs futiles problèmes d’adultes. Si des enfants ont le sentiment que leurs parents sont dans l’erreur, j’aimerais que grâce à ce livre, ils aient le courage d’en parler à leur papa ou leur maman pour essayer d’arranger les choses...

La magie et une grande émotion apparaissent quand Eco se crée des petits êtres pour l’accompagner dans la solitude.

Je pense que dans la détresse, un enfant se réfugie dans son monde intérieur. Miyazaki disait lors d’une interview : « qu’un enfant, face a un problème ou un petit chagrin a une faculté incroyable à s’endormir, comme pour fuir la réalité afin de puiser du réconfort dans le monde des rêves. Au réveil tout va mieux. » Eco est solitaire comme Alice, elle se recrée, à sa façon, son propre pays des merveilles.

Pourquoi avoir donné des noms de philosophes à ces quatre êtres, malgré leurs caractéristiques propres ?

J’aime les philosophes grecs et orientaux. J’aime ce qu’ils ont dit ou écrit, mais surtout, je trouve qu’ils ont des noms rigolos ! Vu qu’Eco passe sa journée à feuilleter des livres, je trouvais logique qu’elle s’inspire des grands classiques pour baptiser ses petits copains de chiffon.

Difficile de ne pas faire le lien avec votre autre album qui vient de sortir : Epictète !.

Belle transition, bravo !

N’avez-vous pas eu la crainte d’un amalgame lorsque vous avez appelé deux personnages d’un nom du même philosophe ?

Non, car je ne pense pas m’adresser au même lectorat.

Lequel est vraiment apparu le premier dans vos scénarios préparatifs ?

Tout d’abord, l’Épictète des strips avec Sergio Algozzino. Je ne pensai pas un jour en faire un album. C’était juste comme ça, pour rigoler. Épictète était un esclave de la Grèce antique qui supportait tous les maux. Son maître, sot et cruel, lui cassa un jour la jambe, car son philosophe d’esclave avait toujours réponse à tout. Épictète lui dit alors :« Et bien, cher maître, te voilà bien avancé. Désormais tu as un esclave boiteux qui sera moins efficace pour te servir... » Ce côté souffre-douleur me plaisait bien, et vu que notre petit chien bleu en prend plein la gueule et qu’il garde toujours le sourire, j’ai cru bon de le baptiser ainsi...

On a déjà eu quelques petits personnages de bande dessinée qui s’interrogeaient sur leur devenir ou leur rôle dans un album, mais Epictète est sans doute le plus particulier : toujours un peu triste, un peu bougon, on sent qu’il doit être compliqué de le rendre heureux à long terme ? En même temps, n’est-ce pas une gageure permanente d’écrire des gags dans un schéma aussi restreint ?

Epictète représente un peu l’être humain en général. Paumé et avide de liberté. Il se pose des questions sur le pourquoi de son existence, et surtout sur son sens profond. L’absurdité de tout ça, c’est qu’il ne semble ne pas y en avoir. Il essaye constamment de s’échapper de cette prison que représentent les cases de sa BD... Pour aller où ? La liberté ne serait elle pas l’acceptation de sa condition ? Mystère...

Mais comme Epictète, nous sommes râleurs, insatisfaits, tristes et colériques. Cette série, si elle possède une prétention, n’est pas tant celle de faire réfléchir, que de faire rire. C’est d’ailleurs très stimulant de composer avec les mains liées. Je crois que c’est Schultz qui disait « Plus on est limité par les codes ou les contraintes d’une bande dessinée, plus on doit redoubler d’inventivité pour s’en échapper et trouver quelque chose d’original. » À l’école, lorsque j’étais plus jeune, une rédaction ayant pour thème : "sujet libre" me laissait dubitatif car c’était trop vaste : je ne savais pas quoi raconter ! En revanche, un thème imposé me stimulait, car me sentant contraint, j’avais envie de m’en échapper et, tout comme Épictète, j’étais obligé de trouver des astuces pour continuer à avancer. Un peu comme dans la vie...

Algozzino a modifié son trait en cours de route ? Quelle en est la raison ?

Sergio dessinait de manière assez traditionnelle, avec un trait bien propre fait à la plume, mais il commençait à en avoir assez. Lors de nos longues discussions, je l’incitais parfois à se lâcher un peu plus, et ce qu’il finit par faire en y prenant un plaisir fou. Je lui ai dis que ça ne posait pas de problème et qu’il devait dessiner comme il avait envie. Nous avons donc continué avec ce nouveau style plus frais, et Sergio à trouvé l’idée de faire croire au lecteur qu’il s’était cassé le poignet, ce qui déprimait d’autant plus notre pauvre Épictète...

Comment ne pas parler de cet album aussi format si typé ? Qui en a eu l’idée ? Quelle en est la raison principale (mise à part un concept marketing assumé, j’imagine) ?

C’est la talentueuse Clotilde Vu, directrice éditoriale chez soleil, qui nous a proposé de faire ce livre. Elle est fan de nos strips depuis le début et trouvait original d’utiliser un format différent. Comme nous, Clotilde a un réel amour pour le livre aussi bien en tant qu’objet, qu’au niveau de son contenu. L’idée de ce format l’amusait donc beaucoup, et je crois important de fonctionner à l’enthousiasme. Généralement les lecteurs le ressentent et le livre a plus de chance de marcher. Et puis, si le livre ne vend pas, eh bien, nous nous serons bien amusés et n’aurons aucun regret.

Le livre possède un format de 400 sur 70 mm !

Vous lui avez ajouté une petite glissière cartonnée.

Pour empêcher en effet que l’album s’abîme ! Vu sa longueur, ça évite qu’il ne s’ouvre et que les pages ne se tordent. C’est une sorte de protection nécessaire à ce genre de format. Nous en avons profité pour la décorer avec un petit Épictète. Concernant les gags eux-mêmes, nous avons bien entendu du faire des choix, supprimant ceux qui nous plaisaient le moins, faisant des nouveaux pour donner une cohérence à l’ensemble.

Allez-vous continuer votre délire, contraint et heureux ?

Je ne sais pas s‘il y aura une suite à Epictète, cela dépendra de nos envies. Pour le moment j’ai envie de me consacrer à Billy Brouillard et à Ernest et Rebecca, mon autre série avec Antonello Dalena aux éditions du lombard.

(par Charles-Louis Detournay)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Visiter le blog de Guillaume Bianco et celui d’Epictète

Lire l’interview de Bianco & Danela où il nous parle d’Ernest & Rebecca, ainsi que de Billy Brouillard

Découvrez les premières pages d’Epictète, de Chat Siamois, du premier tome d’Eco et du "T2" de Billy Brouillard.

 
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