Guillaume Lebeau : « Nous avons choisi de montrer la vie réelle d’Agatha Christie par le truchement fantasmé de ses personnages »

Comment vous est venu cette idée de transposer la vie d’Agatha Christie en bande dessinée ?

Agatha - La vraie vie d’Agatha Christie par Alexandre Franc, Anne Martinetti et Guillaume Lebeau.

Ed. Marabulles

Tout simplement parce que nous sommes des fans de son œuvre ! Responsable éditoriale aux Editions du Masque pendant près de dix ans, Anne Martinetti a contribué à l’édition complète en français de l’œuvre d’Agatha Christie : de nous deux, elle est donc la réelle spécialiste ! Pour ma part, je suis arrivé en renfort sur la partie scénaristique pour déterminer l’axe que nous allions privilégier face à une vie si monumentale.

Vous avez choisi de mettre en scène les personnages de la romancière.

Après une longue période de maturation, nous avons décidé de changer l’angle de la caméra, et montrer la vie réelle par le truchement fantasmé des personnages. Cela a changé toute la structure du récit. Nous sommes sortis d’une trame linéaire, un peu monotone, pour aborder une dynamique qui nous a permis d’éclater le récit. Cela nous a également permis de réaliser des choix dans ce que nous voulions raconter. Ce n’est donc plus un livre exhaustif, mais bien une version personnelle d’amoureux d’Agatha Christie, assez proche de la réalité sans représenter une réalité à 100% authentique. Cela ne serait d’ailleurs pas possible car il y a trop de lacunes dans sa vie pour prétendre toucher la vérité. Nous avons donc choisi la subjectivité en optant d’axer le récit sur les personnages pour montrer qui était l’auteure.

On pouvait effectivement craindre une succession de clichés, mais par ces choix, vous donnez de l’épaisseur au personnage historique.

Nous n’en donnons pas, Agatha Christie avait beaucoup d’épaisseur. Il faut quitter l’image d’une vieille dame poussiéreuse de 70 ans, telle que le monde se l’imagine sur base d’une photo d’elle qui a marqué les mémoires. Agatha Christie a eu une vie riche, moderne et même romanesque. Cela doit être une des premières Anglaises à s’être tenue sur une planche de surf, elle avait passé son permis de conduire à une époque où les femmes ne roulaient pas en voiture, elle a divorcé et est partie seule dans le désert irakien, etc. C’est donc une femme moderne qui a écrit des romans modernes.

Elle a libéré sa vie d’un carcan victorien et a pris son destin en main, qui est aussi intéressant que son œuvre, et qui l’éclaire même. En faisant surgir ses personnages dans son quotidien, nous voulions juste rappeler qu’un créateur vit en permanence avec ses créations. Depuis que Mary Shelley l’a démontré dans Frankenstein, on sait que c’est extrêmement complexe de se débarrasser de sa créature, et c’est pour cela que certains auteurs comme Conan Doyle ont tenté de les supprimer !

Vous démontrez bien jusqu’à quel point Agatha Christie était venue à détester son personnage...

Hercule Poirot était une création telle parfaite qu’il est presque impossible de s’en détacher. Pendant le Blitz [le bombardement de Londres pendant la Seconde Guerre mondiale. NDLR], Agatha craignait de mourir et elle a donc écrit la mort d’Hercule Poirot, pour que le roman soit publié après son propre décès, afin que Poirot puisse lui survivre... C’est dire à tel point elle détestait ce bonhomme antipathique, regrettant même de l’avoir inventé. Malheureusement, son petit-fils l’a ressuscité lors d’un nouveau roman paru récemment.

Adroitement, vous débutez votre récit sur un élément qui va autant contribuer à son émancipation qu’au mystère qui va l’entourer : sa disparition pendant dix jours et la suspicion de meurtre que son mari va devoir affronter…

Anne Martinetti voulait entrer dans la vie d’Agatha comme on entre dans ses romans policiers : une possible victime..., mais qui en est le meurtrier ? Et ce dernier aurait pu être son mari, qui la trompait et venait de lui annoncer qu’il la quittait, alors qu’elle avait perdu sa mère peu de temps auparavant ! En même temps, nous voulions aussi évoquer cet épisode assez rapidement, car on en sait peu de choses, outre des théories fumeuses, car Agatha a gommé cela dans son autobiographie, comme si cela n’avait pas existé. Encore une fois, avec cette image d’un complot des personnages, nous voulions juste réaliser une allégorie : celle de l’imaginaire qui se venge de la réalité. Elle devient alors héroïne de sa propre fiction, en brouillant les cartes de la réalité.

Comment s’est réalisé le choix pour le dessinateur Alexandre Franc, par ailleurs un auteur lui-même ?

Le dessin assez « Ligne claire » d’Alexandre lui permettait d’aller de la simplicité à l’évidence. Dans l’œuvre d’Agatha Christie, le détail n’a pas de sens, elle vise toujours l’épure de ses personnages, comme la ligne claire. Son œuvre est universelle (un milliard de livres vendus !), car elle ne s’attache pas aux détails. Nous devions donc coller à son œuvre, en dégageant le sentiment d’être faussement simpliste, tout en allant à l’essentiel.

Marabout s’est donc lancé dans la bande dessinée avec Marabulles. Allez-vous prolonger l’aventure avec eux ?

En effet, je travaille avec une jeune et talentueuse dessinatrice pour adapter mon biopic de Björk. Nous serons donc très loin de la vie ligne claire, dans la transposition d’une vie qui va de sa naissance à la remise de la Palme d’or en 2000. Vous comprendrez à la lecture que, selon moi, sa vie d’artiste s’arrête là, car elle compose avec l’ennemi danois, représenté par Lars von Trier, et elle ne sera jamais plus la même. Cela sortira en 2015. Il n’y a que Marabulles pour accepter des défis aussi affolants !