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Guy Delcourt prépare la "French Invasion" du marché US avec ComiXology

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 18 juillet 2015                      Lien  
Guy Delcourt revient de San Diego, la "Mecque" de la BD américaine, avec la ferme intention d'y imposer la BD francophone avec l'aide du leader US de la BD numérique ComiXology. Il nous explique les tenants et les aboutissants de son "équipée sauvage".

Guy Delcourt prépare la "French Invasion" du marché US avec ComiXologyCela ne s’était jamais vu à San Diego, la grande convention annuelle de la BD aux États-Unis qui décerne les fameux Eisner Awards où les Français ont brillé par leur absence cette année (seul Blacksad des Espagnols Juan Díaz Canales et Juanjo Guarnido a été récompensé) : À côté d’une immense affiche vantant la nouvelle saison de Games of Throne, une autre annonçait une "French Invasion" sous la bannière de ComiXology et des éditions Delcourt-Soleil.

"Go west young man, and grow up with the country..." Guy Delcourt connaît ses classiques et la Côte Ouest en particulier : fraîchement sorti d’une école de commerce, il y avait fait un stage dans une banque. Passionné de BD et de cinéma, il y écrivit des articles pour plusieurs journaux français dont Pilote et avait même réussi à décrocher une interview exclusive d’Harrison Ford au moment de la sortie de Star Wars. Il ignorait que bien des années plus tard, devenu éditeur de BD, il éditerait la saga en français sous forme de bandes dessinées et de magazines...

Guy Delcourt continua longtemps à cultiver son intérêt pour la bande dessinée anglo-saxonne dont il est aujourd’hui l’un des principaux porte-drapeaux en France, affichant dans son catalogue aussi bien Alan Moore, que Mike Mignola, The Walking Dead et Chris Ware, excusez du peu ! Mais en dépit de sa bonne connaissance du marché américain et de ses acteurs, le sémillant éditeur parisien n’a jamais jusqu’ici réussi à imposer son catalogue outre-Atlantique.

A la ComicCon de San Diego la semaine dernière, la "French Invasion" voisinaot avec "Game of Thrones"...
Photo DR

Une entrée par le numérique

"Si on prend la situation telle qu’elle est aujourd’hui, analyse Delcourt, la bande dessinée européenne, francophone reste très anecdotique. La vaste masse du public américain n’en a pas connaissance et n’y prête pas d’intérêt, par définition. On cherche tous à vendre nos droits d’édition en langue anglaise. Nous avons vendu il y a quelques jours les droits de "À la recherche du temps perdu", notre adaptation de Proust, à un gros éditeur, de là à dire que cela a un impact majeur sur la présence de la bande dessinée française aux États-Unis, ce serait exagéré ! Cela reste pour l’instant quelque chose de très disséminé et qui n’a donc pas une présence significative." De fait, cette année encore aux Eisner Awards à San Diego, c’était Tintin ! en Amérique...

Il y eut pourtant des tentatives d’alliance : "Le deal entre Soleil et Marvel a duré très peu de temps et n’a pas bien fonctionné, constate Guy Delcourt. Quant aux Humanos, je sais qu’ils ont une présence. Je ne suis pas capable de la jauger. Tout ce que je peux dire, c’est que quand on se promène dans le Comic Con à San Diego, c’est d’une très grande discrétion, tout ça..."

Ce qui étonne dans sa nouvelle approche du marché américain, c’est qu’elle se fait par le biais de la bande dessinée numérique, un segment qui n’atteint pas les 2% de parts du marché français de la BD mais qui, aux USA, a déjà conquis plus de 20% du lectorat : "Les deux marchés sont très différents pour des questions de distribution, notamment en ce qui concerne le maillage des librairies, poursuit Guy Delcourt. En France, on le sait, il y a beaucoup de libraires, solidement implantés et on trouve très facilement de la bande dessinée chez tous les libraires généralistes et dans les grandes surfaces. Elle est extrêmement présente et facile d’accès. Aux États-Unis, c’est l’inverse : le maillage est très faible. Dans la plupart des bookstores, il n’y a pas, ou très peu, de bande dessinée. Il y a en seulement dans les comic shops qui, eux-mêmes, sont très peu nombreux. Il y a donc une carence de visibilité qui, bien évidemment, crée un appel d’air pour le numérique bien supérieur au nôtre, d’où cette disparité de marché. Il faut ajouter aussi qu’un acteur comme Comixology a été extrêmement offensif, avec beaucoup de succès."

Le bandeau d’annonce de la French Invasion. Vous ne perdez rien pour attendre, Yankees !
DR

La vogue du roman graphique a-t-elle pu faire croire que la bande dessinée farncophone avait une chance sur ce marché ou cela a-t-il été un miroir aux alouettes ? "Effectivement, cela a permis une implantation en librairie, mais sur une fraction seulement de la production. C’est très bien que Pénélope Bagieu soit présente aux USA et que Marjane Satrapi y ait obtenu un très gros succès, mais cette représentation relative des romans graphiques dans les librairies généralistes est beaucoup plus faible qu’en France."

Pourquoi cette alliance avec ComiXology et pas avec Izneo, par exemple ? La réplique est sèche : "Izneo n’est pas aux États-Unis, que je sache. En France, mon distributeur de livres imprimés est le même que mon distributeur numérique : Hachette, pour des raisons de cohérence d’action commerciale et de qualité des bases de données. Mais nous travaillons avec le détaillant Izneo. Mais aussi avec ComiXology en France. Nous avons signé avec eux très tôt parce que c’est un acteur particulièrement intelligent au niveau de la vente du numérique, mais l’un n’empêche pas l’autre. Aux États-Unis, ComiXology a la plus grande part de marché dans le domaine du livre numérique, et de loin. C’est un acteur évidemment incontournable aujourd’hui et qui fait bien son travail. C’est le meilleur vecteur sur le territoire américain.
Mon projet est de développer mon catalogue d’édition. La forte présence du numérique aux États-Unis nous ouvre une porte gigantesque. On sait que jusqu’à présent, il était difficile de se faire publier aux USA et que seulement une petite fraction de nos catalogues était traduite en anglais pour des raisons de distribution ; le format album a été très mal accepté aux USA, il n’a pas réussi à s’imposer. Ils restent très attachés au format comics. Il y avait une carence manifeste : l’une des cultures mondiales de la bande dessinée, la bande dessinée francophone, y est très peu présente.
Le digital nous permet d’y entrer directement, de produire nous-mêmes les versions anglophones de nos livres et d’avoir un accès au marché qui soit large, immédiat et dynamique. Toutes ces raisons ont contribué à cette initiative entrepreneuriale. L’intérêt de nos auteurs est que leur œuvre soit distribuée largement. La langue anglaise est un vecteur majeur de ce développement non seulement auprès des lecteurs, mais aussi auprès de professionnels, par exemple des producteurs de séries TV, de films, de jeux vidéo... qui ne parlent pas le français
."

Guy Delcourt, le dessinateur Jean-Luc Sala et Jean Wacquet, directeur général de Soleil, au ComicCon de San Diego la semaine dernière
Photo DR

Près de 300 titres en deux ans

Les auteurs y gagnent car ils sont payés sur le prix public du produit, et non pas sur une cession dont il ne toucheraient que 50% de la redevance. "Ils ont donc une assiette de droits beaucoup plus grande que dans le cadre d’une cession, pour autant qu’elle se fasse parce que, rappelons-le, il y a très peu de bandes dessinées publiées aux États-Unis  !"

Mais pour autant, y gagne-t-on en visibilité ? "Très clairement, le deal -actuellement exclusif- avec ComiXology est qu’ils nous épaulent pour le lancement. Et là, au Comic Con, ils en ont fait la preuve puisque, comme vous avez pu le constater, il y a eu de larges échos dans la presse. ComiXology a fait les choses en grand : ils ont engagé un excellent attaché de presse indépendant, David Hyde. J’ai donné une vingtaine d’interviews entre Paris, New York et San Diego. J’ai participé à deux pannels à Sand Diego et sur leur site, évidemment, notre présence est très visible et ils ont promis de nous accompagner tout au long du développement de notre catalogue. On a vu cette grande affiche, "The French Invasion", un peu surjouée, mais c’est le jeu là-bas. Nous avons eu une belle visibilité et ComiXology, à ce niveau-là, dispose de bons outils."

Près de 300 titres vont être publiés dans les deux ans qui viennent, au rythme de 150 par an, partagés en deux gammes ados-adultes, l’une portant sur des séries de genre : Thriller, SF, etc., publiées à la mode comics : chaque album de 48 pages sera sérialisé en deux "comics" puis fera l’objet d’un recueil de quatre albums pour former un "Graphic Novel", "pour mieux entrer dans leur système" nous dit Guy Delcourt. Les prix sont calqués sur le marché américain : un comics, c’est 3 US$, les recueils tournent autour de 10 US$, les romans graphiques entre 10 et 12 US$.
Dans les premiers titres publiés entre juillet et septembre de cette année : Prométhée, Cross Fire, Les Divisions de fer, Le Souffle du Wendigo, La Chant des Stryges, Hauteville House, Iron Squad, Husk...

Les romans graphiques constituent la deuxième gamme, publiée d’un seul tenant, à un prix plus élevé. C’est le dernier Grand Prix d’Angoulême, Come Prima, d’Alfred, qui ouvre la voie, avec Joséphine de Pénélope Bagieu.

Est-ce qu’il y aura ensuite une édition papier labélisée Soleil-Delcourt pour le marché US : "Ce n’est pas garanti à ce jour, nous répond l’éditeur. Je le souhaite, mais ce sera dépendant du succès. Mais dès à présent, certains éditeurs américains ont marqué leur intérêt. Ils ne sont pas du tout gêné qu’il y ait une édition numérique préalable, bien au contraire : ces éditions numériques serviront en quelque sorte de tests de marché qui peuvent les décider ensuite de lancer des imprimés. Ce n’est pas du tout concurrent dans l’esprit des éditeurs américains. On fait les choses là-bas à l’inverse d’ici : ici, on fait la version papier avant la version numérique ; là-bas, c’est l’inverse. C’est assez rafraîchissant de faire les choses dans l’autre sens, finalement."

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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La page US de Delcourt/Soleil chez Comixology.. Elle devrait se garnir avec le temps...

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4 Messages :
  • Guy Delcourt prépare la "French Invasion" du marché US avec ComiXology
    19 juillet 2015 08:53, par Jean-Luc Cornette

    Sur la photo, ce ne serait pas Jean-Luc Sala plutôt que David Steinberger ?

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  • Iznéo, c’est gentil, mais ils ne font pas leur boulot, il faut le dire. Pour vendre de la BD numérique, il faut avant tout une appli digne de ce nom qui fonctionne parfaitement et qui soit ergonomique. L’appli d’Iznéo sur Android est juste honteuse. Pas mise à jour depuis mai 2014, encore bourrée de bug et absolument pas ergonomique.
    J’ai des comptes et j’ai acheté des BD chez la plupart des acteurs majeurs, Comixology, Iznéo, Kobo. J’ai laché Iznéo (j’ai encore de l’argent sur mon porte monnaie numérique chez eux, mais je n’achète rien). Ils ne me récupéreront pas. Je suis déçu, car j’aurais aimé soutenir cette initiative française. Mais il n’y a pas moyen. Il faut se donner les moyens de ses ambitions.
    On se plaint quand Apple censure de la BD, mais à côté de ça, on ne maintient que l’appli iOS. Soyons cohérent merci...

    Répondre à ce message

    • Répondu par Elisa d’izneo le 6 août 2015 à  11:48 :

      Bonjour Vader,
      Nous sommes conscients des faiblesses de notre application Android et sommes désolés pour le temps que cela nous prends. La bonne nouvelle c’est que nous travaillons actuellement dessus et qu’une nouvelle version est prévue pour la rentrée.
      Serait-il possible que vous remontiez les bugs rencontrés sur l’appli à l’adresse : contact (at) izneo.com.
      Une BD vous sera offerte en dédommagement des soucis rencontrés.

      Bien cordialement
      Elisa d’izneo

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