Nous sommes dans la grande tradition des meilleurs Lefranc de Jacques Martin. Longtemps, la succession de la grande figure de l’École de Bruxelles (selon Hergé, c’est Martin lui-même qui en aurait forgé le vocable) s’était avérée erratique. Soit la fidélité du dessin n’y était pas, soit le scénario brillait par son indigence.
On en peut pas dire que ce soit le cas ici : en dépit de quelques défauts, rarement on aura approché avec une telle acuité le dessin de la meilleure période du créateur de Lefranc : celle du Mystère Borg (1964), au moment où cet assistant d’Hergé se libère de l’influence de Jacobs pour trouver ce trait vériste caractéristique tant imité par ses suiveurs avec un maniérisme parfois affligeant. Il faut dire que le travail de Bruno Wesel sur les couleurs participent à plus de 50% à cette réussite.
Rarement aussi, un scénario aura été documenté avec autant de soin : les lieux sont parfaitement repérés, l’environnement politique et les personnages historiques décrits : Ernest Hemingway, Che Guevara, Fidel Castro (quel casting !) participent à l’histoire de façon plausible. On est même surpris de découvrir les deux grandes figures de la révolution cubaine discuter avec les agents de la CIA en toute décontraction : c’était une réalité avant que Castro ne choisisse finalement de se rallier au camp de l’U.R.S.S.
Il y a un peu d’angélisme à voir Lefranc convoqué par le Prix Pulitzer et Prix Nobel américain de littérature. L’intrigue, qui allie la peur du nucléaire et la découverte de vestiges de l’Atlantide au large des côtes cubaines, est par trop télescopée et un peu trop belle pour être totalement crédible. Le scénariste Roger Seiter s’est un peu trop attardé sur sa documentation et un peu moins sur ses personnages (espions, policiers corrompus, gangsters...) restés engoncés dans leurs stéréotypes.
Dommage parce qu’à un moment, la magie martinienne du Mystère Borg était à l’œuvre... Nous étions à deux doigts de la réussite. Il est clair en tout cas que le duo Régric-Seiter est un des meilleurs jamais intervenus sur la série.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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