Shuzo Oshimi n’est pas un inconnu chez nous. On lui doit notamment deux récits de grande qualité : Les Fleurs du Mal, chez Ki-oon, et Dans l’intimité de Marie, chez Akata. Et l’on retrouve immédiatement dans Happiness le même goût pour les passions troubles et les sentiments inavouables, pour une forme de perversion légère qui fonde notre intimité la plus profonde, notre identité la plus authentique.
Et nous voilà une fois encore plongés dans un cadre scolaire avec pour héros un personnage souffre-douleur de ses camarades de classe. Loin de l’image que Makoto Ozaki se faisait de sa vie de lycéen. Lui plutôt du type otaku, benêt aux entournures, et ayant le plus grand mal à ne serait-ce que lever les yeux vers une fille, si ce n’est de loin, en coin, subrepticement. Au premier abord un portrait d’adolescent mêlant tourment, émoi, cruauté et un certain réalisme psychologique.
Mais voilà qu’un soir tout bascule, pour lui et pour le récit, avec l’irruption d’une jeune vampire qui fond pour s’abreuver de son sang. Repue, la créature de la nuit lui laisse le choix entre la mort et une existence nouvelle, d’immortel. Croyant d’abord avoir imaginé cela à la suite d’une agression classique, Makoto se rend vite compte d’importants changement en lui.
La lumière le blesse et le jour l’engourdit, mais il se découvre de nouvelles capacités physiques qui changent sa position au sein de l’établissement. Les aliments de dégoutent mais son odorat, affiné, le rend sensible à l’odeur du sang, en particulier aux menstrues des jeunes filles qu’il côtoie au lycée. Et une soif, nouvelle, impérieuse, le pousse peu à peu à vouloir plonger ses crocs dans le cou de ces dernières...
Happiness se démarque avant tout par sa manière intimiste d’aborder le motif du vampire, en intriquant la thématique à celle de l’adolescence, presque comme une métaphore de celle-ci. Un peu à la manière de Morse, film de Tomas Alfredson. De quoi insister sur la nature pulsionnelle des personnages et travailler autrement les relations qui se tissent entre Makoto et les autres protagonistes, notamment féminins.
La justesse de Shuzo Oshimi dans la peinture de cet âge de la vie fait mouche et l’on attend déjà la suite avec un réel intérêt, en se demandant où nous conduira le versant fantastique, inattendu, de cette intrigue.
(par Aurélien Pigeat)
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