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Hara Kiri : Les années « bête et méchant »

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 16 octobre 2008                      Lien  
De 1968 à 1986, il y a eu comme un moment « bête et méchant ». Il commence en 1960 avec la création d’Hara Kiri, atteint son zénith avec la première formule de Charlie Hebdo (1969-1981), et se termine avec les disparitions de Reiser (1983) et de Coluche (1986). Depuis, toutes les composantes intellectuelles de la gauche, voire même de la droite, se disputent l’héritage.
Hara Kiri : Les années « bête et méchant »
L’humour 1968 de Hara Kiri : Des excréments en une
Editions Hoëbeke

On a beaucoup planché sur Mai 68 en cette année anniversaire. Mais s’il y a une chose que l’on n’a pas vue à la télé ou sur les tables des libraires, c’est le ton irrévérencieux et anar de Hara Kiri. Il faut imaginer pourtant ce qu’était ce journal qui prospéra en pleine France gaulliste, colonialiste, issue de la Résistance. Impérialiste, parfois raciste et souvent profondément ennuyeuse, cette France en gris pratiquait une censure même pas insidieuse et offrait une télévision d’état aux pratiques dignes d’une dictature communiste. Elle avait besoin d’un sérieux coup de pied au cul. Une bande de joyeux trublions autour de François Cavanna et du Professeur Choron mena cette révolution.

On commence à Zéro

Les éditions Hoëbeke viennent de publier un fabuleux ouvrage intitulé « Hara Kiri – Les belles images 1960-1985 ». Ce fort volume de 318 pages bourré de documents jusqu’à la gueule rappelle les circonstances de la création d’ Hara Kiri : la rencontre de Georges Bernier –le futur « Professeur Choron »-, directeur des ventes pour le magazine d’humour Zéro (un journal vendu par colportage) avec François Cavanna qui en est le rédacteur en chef adjoint depuis 1954. Dans l’équipe, il y a aussi le dessinateur Fred, un copain de Cavanna. Soudain, Jean Novi, le fondateur de la revue, meurt. Nos trois complices décident de lancer leur propre journal en 1960, avec en ligne de mire Mad Magazine d’Harvey Kurzman. Le titre, c’est Hara Kiri. Le dessin du logo est de Fred. Il représente un japonais se faisant seppuku laissant apparaître dans la plaie un personnage hilare. Métaphore filée à peine compréhensible. Bien vite, l’équipe s’entoure de jeunes collaborateurs à tête de collégiens : Reiser, Cabu, Wolinski,… qui vont faire de cette revue le rendez-vous de la subversion.

On connaît la suite : les combats contre la censure, la bande de copains amenée par Coluche et Gainsbourg, la création de titres complémentaires comme l’hebdomadaire Hara Kiri Hebdo puis Charlie Hebdo, le mensuel Charlie, les albums des éditions du Square…

Les fameuses fiches bricolage du Professeur Choron
Editions Hoëbeke

Une figure emblématique des années 60-70

Ce qui caractérise cette publication, c’est son sens de l’outrage dénué de toute ligne politique. Si l’on sent bien ses origines populaires, notamment dans la langue qui y est pratiquée, la revue ne s’attache à aucun parti. La France issue de la Résistance se partage entre la droite gaulliste et une gauche entraînée par un Parti Communiste aussi puissant par ses nombreux adhérents qu’influent grâce à l’aura de ses intellectuels (Aragon, Picasso, Sartre…). Les Trente Glorieuses ne rigolent pas. Hara Kiri se pose comme une « vaste révocation de son époque ». Contre l’autorité, la censure, mais aussi contre les attributs de la société de consommation comme la publicité, cette « pute violeuse », la sexualité mythifiée et le dessin d’humour léché et convenu à la Faizant.

Reiser à la Une à paraître chez Glénat

Car l’apport fondamental de cette génération qui se prolonge encore jusqu’à nos jours est d’avoir décoincé une forme de journalisme sérieux –il est devenu déconnant- et un dessin-croquis relâché, spontané comme une écriture, « vite fait » disaient et disent encore les cons. La ligne humoristique impulsée par Cavanna dont les mots d’ordre étaient : ni calembour, ni gag, ni rosserie, ni allégorie, favorise l’humour direct –poing dans la gueule-, l’outrage, la destruction de tous les tabous jusqu’à la scatologie. C’est un combat de rebelle sans cause –nihiliste pourrait-on dire- qui interpelle aujourd’hui alors que les idéologies ont fait faillite et que la finance mondiale semble suivre le même chemin. Il est dans la tradition –et l’introduction historique de l’ouvrage manque à le souligner- des mouvements dadaïste et surréaliste, une forme de Situationnisme appliqué à la presse satirique.

Cette publication des éditions Hoëbeke intervient au moment où Glénat publie un recueil des Unes de Reiser pour Charlie Hebdo : « Reiser à la Une », le même se trouvant actuellement exposé au Bourget au Musée de l’Air et de l’Espace. Justement, dans l’ouvrage sur Hara Kiri, les belles images, Cavanna raconte comment Air France leur avait collé un procès suite à une fausse publicité faite à ses dépends.

Choron, Cavanna, Reiser et Coluche,… sont maintenant des idoles qui assurent des entrées au box office, tandis que l’humour con entre au musée... Les temps ont assurément changé !

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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9 Messages :
  • A propos du logo
    16 octobre 2008 10:46, par Yassine

    A vérifier.
    Mais il me semble que logo a été dessiné par Cavanna.
    Car ce dernier au début de sa carrière était dessinateur,
    médiocre de son aveux. J’ai lu ça dans un de ses livres autobio (dont j’ai oublié le titre) ou il parle des débuts d’ Hara-kiri.

    Voir en ligne : A propos du logo

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    • Répondu par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 16 octobre 2008 à  10:51 :

      Le logo a peut-être été dessiné ensuite par Cavanna (qui dessine très bien) mais le N°1 tel que décrit dans l’article et les numéros suivants sont bien de Fred.

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  • Hara Kiri : Les années « bête et méchant »
    16 octobre 2008 10:54, par steak

    Je pense aussi que le logo est de Cavanna, c’est d’ailleurs pour cela qu’on le retrouve au dos du Charlie Hebdo actuel.

    Répondre à ce message

  • l’apparition du terme logo (vers 1970 si j’en crois le Petit Robert)est postérieur à la naissance d’Hara Kiri (septembre 1960) et ne peut que prêter à confusion. Les 31 premières couvertures sont de Fred. Le petit personnage fétiche aux deux incisives proéminentes qui se tranche le ventre apparait au n°38 d’avril 1964. La polémique me semble confuse.Visitez le site www.harakiri-choron.com : vous serez comblés !

    Répondre à ce message

    • Répondu par hubert le 20 octobre 2008 à  21:38 :

      l’ébauche du futur logo apparait dès le numéro 1, dessiné par SEPIA ( CAVANNA ) ; le petit personnage n’a pas encore l’abdomen fendu mais une fermeture éclair fermée ;
      on peut donc donner à CAVANNA la paternité du personnage

      Voir en ligne : http://www.harakiri-choron.com

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  • Hara Kiri : Les années « bête et méchant »
    24 octobre 2008 22:48, par Akineton

    Et DELFEIL DE TON !!! même pas cité..
    il n’y avait pas que des dessinateurs.. dans Hara-Kiri mensuel,
    sans parler de Hara-Kiri-hebdo/ Charlie-Hebdo

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  • Hara Kiri : Les années « bête et méchant »
    24 octobre 2008 23:01, par Akineton

    Et Gébé ? Encore un oublié !!

    Vous évoquez Charlie mensuel sans savoir vraisemblablement que c’est Delfeil de Ton qui en est le fondateur et qu’il en a été le rédacteur en chef pendant un an avant de passer la main à Wolinski.

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    • Répondu par Dominique le 25 octobre 2008 à  14:48 :

      Charlie mensuel était simplement la copie du Linus italien, paru quatre ans avant.

      Voir en ligne : http://champignac.hautetfort.com

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      • Répondu par Alex le 25 octobre 2008 à  23:23 :

        Pas d’accord avec votre post Dominique. S’il est vrai toutefois que Choron, Cavanna et leur bande ont toujours su profiter avec un flair de businessmen de l’air du temps, cela serait bien trop réducteur que de cantonner Charlie-Mensuel à une simple copie de Linus. Choron le reconnaissait sans peine : Charlie-Mensuel était né à la lecture de Linus- en cela je vous donne raison (le mot mensuel fut d’ailleurs ré-ajouté car l’auteur des "Peanuts" ne souhaitait pas que le nom d’un de ses personnages soit associé au contenu du magazine, qu’il désapprouvait)

        Il y eu longtemps un phénomène de "vases communiquants" entre Linus et Charlie. Et vous accorderez au moins ce crédit à Cavanna : il n’a jamais eu besoin de personne pour compléter sa connaissance en classiques de la bd Outre-Atlantique. Dire que Charlie-Mensuel était simplement une copie de Linus est une erreur. Choron témoignait aussi qu’avec Hara-Kiri il voulait faire un "super-Mad". Vous reconnaîtrez vous-même que les affiliations sont assez eloignées même si l’esprit est le même. Là où vous voyez des copies-carbones je vois des hommes ouverts aux influences internationales (dans les années 60 !!!?) et soucieux de faire partager leurs découvertes à un public francophone très ethno-centriste à l’époque.

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