On a beaucoup planché sur Mai 68 en cette année anniversaire. Mais s’il y a une chose que l’on n’a pas vue à la télé ou sur les tables des libraires, c’est le ton irrévérencieux et anar de Hara Kiri. Il faut imaginer pourtant ce qu’était ce journal qui prospéra en pleine France gaulliste, colonialiste, issue de la Résistance. Impérialiste, parfois raciste et souvent profondément ennuyeuse, cette France en gris pratiquait une censure même pas insidieuse et offrait une télévision d’état aux pratiques dignes d’une dictature communiste. Elle avait besoin d’un sérieux coup de pied au cul. Une bande de joyeux trublions autour de François Cavanna et du Professeur Choron mena cette révolution.
On commence à Zéro
Les éditions Hoëbeke viennent de publier un fabuleux ouvrage intitulé « Hara Kiri – Les belles images 1960-1985 ». Ce fort volume de 318 pages bourré de documents jusqu’à la gueule rappelle les circonstances de la création d’ Hara Kiri : la rencontre de Georges Bernier –le futur « Professeur Choron »-, directeur des ventes pour le magazine d’humour Zéro (un journal vendu par colportage) avec François Cavanna qui en est le rédacteur en chef adjoint depuis 1954. Dans l’équipe, il y a aussi le dessinateur Fred, un copain de Cavanna. Soudain, Jean Novi, le fondateur de la revue, meurt. Nos trois complices décident de lancer leur propre journal en 1960, avec en ligne de mire Mad Magazine d’Harvey Kurzman. Le titre, c’est Hara Kiri. Le dessin du logo est de Fred. Il représente un japonais se faisant seppuku laissant apparaître dans la plaie un personnage hilare. Métaphore filée à peine compréhensible. Bien vite, l’équipe s’entoure de jeunes collaborateurs à tête de collégiens : Reiser, Cabu, Wolinski,… qui vont faire de cette revue le rendez-vous de la subversion.
On connaît la suite : les combats contre la censure, la bande de copains amenée par Coluche et Gainsbourg, la création de titres complémentaires comme l’hebdomadaire Hara Kiri Hebdo puis Charlie Hebdo, le mensuel Charlie, les albums des éditions du Square…
Une figure emblématique des années 60-70
Ce qui caractérise cette publication, c’est son sens de l’outrage dénué de toute ligne politique. Si l’on sent bien ses origines populaires, notamment dans la langue qui y est pratiquée, la revue ne s’attache à aucun parti. La France issue de la Résistance se partage entre la droite gaulliste et une gauche entraînée par un Parti Communiste aussi puissant par ses nombreux adhérents qu’influent grâce à l’aura de ses intellectuels (Aragon, Picasso, Sartre…). Les Trente Glorieuses ne rigolent pas. Hara Kiri se pose comme une « vaste révocation de son époque ». Contre l’autorité, la censure, mais aussi contre les attributs de la société de consommation comme la publicité, cette « pute violeuse », la sexualité mythifiée et le dessin d’humour léché et convenu à la Faizant.
Car l’apport fondamental de cette génération qui se prolonge encore jusqu’à nos jours est d’avoir décoincé une forme de journalisme sérieux –il est devenu déconnant- et un dessin-croquis relâché, spontané comme une écriture, « vite fait » disaient et disent encore les cons. La ligne humoristique impulsée par Cavanna dont les mots d’ordre étaient : ni calembour, ni gag, ni rosserie, ni allégorie, favorise l’humour direct –poing dans la gueule-, l’outrage, la destruction de tous les tabous jusqu’à la scatologie. C’est un combat de rebelle sans cause –nihiliste pourrait-on dire- qui interpelle aujourd’hui alors que les idéologies ont fait faillite et que la finance mondiale semble suivre le même chemin. Il est dans la tradition –et l’introduction historique de l’ouvrage manque à le souligner- des mouvements dadaïste et surréaliste, une forme de Situationnisme appliqué à la presse satirique.
Cette publication des éditions Hoëbeke intervient au moment où Glénat publie un recueil des Unes de Reiser pour Charlie Hebdo : « Reiser à la Une », le même se trouvant actuellement exposé au Bourget au Musée de l’Air et de l’Espace. Justement, dans l’ouvrage sur Hara Kiri, les belles images, Cavanna raconte comment Air France leur avait collé un procès suite à une fausse publicité faite à ses dépends.
Choron, Cavanna, Reiser et Coluche,… sont maintenant des idoles qui assurent des entrées au box office, tandis que l’humour con entre au musée... Les temps ont assurément changé !
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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