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Hautière & François : "L’intrigue a des interactions avec l’expérience menée par Godin, sa communauté et son fonctionnement."

Par Laurent Boileau le 24 mars 2011                      Lien  
Les auteurs de {L'étrange affaire des corps sans vie} (Ed. Paquet) repartent dans une [nouvelle (remarquable) intrigue avec pour décor, le fameux familistère édifié à Guise->art11338], dans l'Aisne, par l'industriel Jean-Baptiste-André Godin. Ce fils d'artisan serrurier deviendra un chef d'industrie innovant, à la réussite considérable: Son entreprise comptera jusqu'à 1.500 salariés en 1880, elle sera le leader mondial dans la production de poêles en fonte à la fin du XIXème siècle.

Que connaissiez-vous du familistère de Godin avant de travailler sur l’album ?

Régis Hautière : J’en avais juste vu des images dans un beau livre sur le patrimoine industriel français qui était chez mes parents. J’avais trouvé le bâtiment impressionnant et comme je venais de m’installer en Picardie, je suis allé le voir. C’est en visitant ce fameux familistère que j’ai découvert l’expérience qu’il avait abritée.

Et de Jean-Baptiste-André Godin ?

RH : Je connaissais les poêles, mais cela s’arrêtait là ! J’ai donc appris ce qu’il avait fait, l’expérience qu’il avait menée. Ce qui m’a surtout impressionné, c’est la durée de cette expérience et le fait qu’elle soit quasiment inconnue du grand public.

David François : Je ne connaissais moi aussi que les poêles. Et pour le bâtiment du familistère, j’en avais juste des réminiscences. J’avais dû voir ça à l’école, en cours d’histoire je crois. Quand Régis m’en a parlé, je n’ai pas percuté de suite. C’est en y allant, quand je l’ai vu, que je me suis dit « oui, ça me dit quelque chose ».

Hautière & François : "L'intrigue a des interactions avec l'expérience menée par Godin, sa communauté et son fonctionnement."
Est-ce le lieu qui est à l’origine de votre album ? Est-ce lui qui a façonné l’intrigue ?

RH : Oui, tout à fait. Le familistère est plus qu’un élément de décors, c’est le personnage principal de l’album. Une fois d’accord avec David pour que l’histoire se déroule autour du familistère, j’ai cherché une histoire qui pouvait se dérouler dans ce lieu et uniquement dans ce lieu-là. Donc l’intrigue a des interactions avec l’expérience Godin, sa communauté et son fonctionnement. L’architecture du lieu est aussi intégrée à notre histoire car elle est très particulière. C’est d’ailleurs pour cela qu’on étudie beaucoup le familistère en école d’architecture.

Etait-ce difficile de naviguer entre l’aspect architectural du lieu et l’aspect social de cette communauté ?

RH : Ce qui était difficile, comme pour tous les lieux historiques, c’était de ne pas se laisser avaler par le lieu en lui-même, par l’élément historique que l’on allait mettre en scène dans l’histoire. Nous ne voulions pas faire un documentaire, nous voulions vraiment rester dans la fiction. Ce qui nous intéressait, c’était le polar et faire découvrir ce lieu et toutes ses richesses. L’histoire du familistère est tellement fascinante, que le danger est de vouloir raconter plein de choses, de tout mettre. J’ai donc d’abord écrit l’intrigue, et seulement après je l’ai enrichie d’éléments historiques et sociaux, qui venait à la fois de l’histoire du familistère et de l’époque...

Quel regard vous portez sur cette expérience sociale ?

RH : C’est un regard plutôt fasciné que j’ai à la fois sur l’homme et sur son expérience. C’est unique au monde. Quand on replace ça dans l’époque, on se rend compte à quel point Godin était un visionnaire. N’oublions pas que nous sommes en 1860 et que Godin met en place une crèche, un système de sécurité sociale (certes embryonnaire par rapport à ce que nous connaissons maintenant), un système de retraite… J’ai une sorte de fascination pour l’homme et son œuvre. À l’époque, l’usine Godin était numéro 1 mondial de la fabrique de poêles. Godin aurait pu accumuler les millions et s’offrir tout ce que pouvait offrir la richesse. Il a choisi d’offrir à ses employés ce que lui appelait "les équivalents de la richesse " : le confort, l’hygiène, l’éducation, les loisirs, la consommation…. C’est-à-dire des théâtres, des piscines, des écoles et des économats qui étaient les magasins du familistère. Même les gens de l’extérieur pouvaient acheter à tarif préférentiel, tout ce dont ils avaient besoin pour vivre.

Etait-ce un challenge d’aborder graphiquement le familistère ?

DF : C’était un défi de m’attaquer à tel décor et de le mettre en scène. Mais c’était naturel dans mon parcours de dessinateur, car je suis tout le temps en train d’apprendre, notamment tout ce qui est perspective, construction de case, de champs… Là, c’était l’occasion de me frotter à un lieu et de le mettre en scène avec des personnages. C’était très excitant.

Quel travail de documentation avez-vous effectué ?

DF : Je voulais surtout retranscrire l’ambiance ressentie là-bas, ce côté un peu pesant, l’esprit de vie en communauté. Je voulais aussi qu’on sente le huit clos parce que je ne voulais pas faire de la reconstitution photographique, ça n’avait aucun sens. Comme le dessin est toujours au service de l’histoire, il fallait que l’ambiance polar se ressente dans le lieu. Donc je suis allé 4 ou 5 fois sur place, j’ai pris énormément de photos mais j’en ai utilisé seulement un centième ! J’ai eu aussi des documents d’époques, j’ai lu des livres, j’ai cherché sur internet… Les personnes du familistère, le syndicat mixte et le conservateur nous ont ouverts leurs archives, même ce qui n’a jamais été publié. J’avais tout ça à ma disposition... Mais ce qui m’a surtout aidé à tenir le projet de bout en bout, pour qu’il soit crédible, c’est la modélisation du familistère sur un logiciel de 3D, avec des images très succinctes pour souligner les masses. Cela m’a servi pour créer l’ambiance et rester crédible afin que la taille d’un bâtiment ne varie pas d’une case à une autre… Je ne me sentais pas capable de gérer ça tout seul avec juste le talent de dessinateur. J’ai eu besoin de cette béquille pendant tout le projet pour maintenir cette ambiance que je voulais donner.

Régis Hautière & David François

Quelle a été votre réaction à votre sélection lors du dernier festival d’Angoulême ?

RH : Ce fut une grosse surprise pour moi, une excellente surprise même si on a aucune chance d’avoir un prix ! Mais faire partie de la sélection officielle, pour l’égo ça fait beaucoup de bien ! Quand on est auteur, on doute constamment de ce que l’on fait, même si on a des critiques positives. On a plutôt tendance à croire la moindre critique négative... Donc être dans la sélection officielle du festival d’Angoulême, c’est une reconnaissance de notre travail : il n’y a qu’à peu près 80 albums qui sont retenus sur les 5000 qui sont sortis dans l’année.

DF : Pour moi, c’est vraiment une grosse surprise, une belle aventure car ce n’est que mon deuxième album... C’est génial parce que ça donne une visibilité supplémentaire, c’est vraiment là le gros intérêt de cette sélection.

(par Laurent Boileau)

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