Dans le domaine de l’histoire culturelle, la diffusion de la bande dessinée franco-belge est un sujet peu traité. Et pourtant, cela a un intérêt de savoir que les planches d’Épinal ont été traduites en Hollande ou aux Amériques, que le Journal de Spirou a connu une version portugaise dans les années 1960 et que le Journal Tintin a connu une version allemande sous le titre MV, -MV comme Michel Vaillant- et que ces pages se sont aussi retrouvées traduites en Scandinavie comme en Turquie, en Italie comme au Brésil. L’économie est souvent laissée de côté par les historiens et pourtant, comment peut-on comprendre le rayonnement d’une culture sans ces paramètres ?
C’est ce qu’a entrepris Nicolas Labarre en se penchant sur un des miracles de l’histoire des années 1970 : la naissance de Métal Hurlant et surtout son rayonnement aux USA dont on mesure mal l’impact qu’il a eu sur une génération de créateurs : de Georges Lucas à Paul Pope, de Guillermo del Toro à Charles Burns…
Le point de contact a lieu en 1975, année-clé pour les relations transatlantiques de la BD puisque Will Eisner, cornaqué par Claude Moliterni et David Pascal, reçut cette année-là le second Grand Prix d’Angoulême, précisément au moment où paraissait, en janvier 1975, le premier numéro de Métal Hurlant. « La Machine à rêver » finit par tirer l’œil de Len Mogel et de Kevin Eastman, l’un des créateurs des Tortues Ninjas qui lancèrent le projet. Sean Kelly, premier rédacteur en chef chez National Lampoon constatait l’enthousiasme de ses rédacteurs pour ce journal bizarre où « Le Seigneur des anneaux rencontre Star Trek et Led Zeppelin… » Une émergence de la culture pop de son temps.
Une équipée unique
Heavy Metal, lancé en avril 1977, qui publie essentiellement du matériel issu des Humanoïdes Associés mais aussi de Pilote, au gré des relations tumultueuses entre l’éditeur français et son complice américain. Car l’expérience ne se passe pas seulement dans le sens Paris/New-York : alors que Moebius, Druillet, Bilal, Schuiten, Tardi, Chaland, Caza, Jeronaton, Macedo, Frank Margerin, Serge Clerc ou Chantal Montellier –bonjour l’éclectisme- trouvent une audience américaine, de grands auteurs de comics, avec Richard Corben en figure de proue, font leur irruption dans les pages de Métal.
Une incroyable idylle
Les tirages respectifs indiquent assez vite le destin de cette équipée : Heavy Metal tire quatre fois plus que sa source française : 250.000 exemplaires aux USA contre 70.000 en France. Jamais la bande dessinée franco-belge, à l’exception des Smurfs, n’auront eu une aussi grande pénétration aux États-Unis, alors que les Anglais et les Espagnols –plus précisément même : les Catalans- y sont présents depuis déjà un certain temps.
Les problèmes éditoriaux des Français, leur amateurisme à tout dire, mais aussi une exigence éditoriale de voir davantage de création américaine dans le journal vont réduire drastiquement la présence franco-belge dans le titre US. La « génération Star Wars » des créateurs US finit par supplanter l’effet de nouveauté et de surprise suscité par les Français.
Heavy Metal –qui fit même l’objet d’un film éponyme (1981) où plusieurs créateurs du magazine français collaborèrent- survivra à la disparition de Métal Hurlant (1987) jusqu’à aujourd’hui, comme les derniers feux d’une étoile morte, du moins quelques mois dans la forme mensuelle originelle pour devenir ensuite un trimestriel qui subsiste jusqu’à aujourd’hui mais qui n’a plus rien à voir avec sa source d’origine. Son souvenir reste cependant vivace des deux côtés de l’Atlantique.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
Heavy Metal : L’autre Métal Hurlant – Par Nicolas Labarre – Presses universitaires de Bordeaux. Préface de Gilles Poussin. Disponible à partir de mars 2017.
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