D’où vous est venue l’idée d’adapter ce roman ?
Hector Sonon : En fait, l’idée ne vient pas de moi. À l’origine, j’avais publié une histoire dans la collection "Les Carnets de la création", aux éditions de l’Oeil à Paris. Mon livre est tombé entre les mains des gens de chez Casterman et ceux-ci ont aimé mon dessin. Ils m’ont alors contacté pour me proposer d’adapter graphiquement un des romans de Jean-Claude Derey, car cet auteur a beaucoup écrit sur l’Afrique. Casterman m’a fait parvenir trois romans. Il y en avait deux que j’avais déjà lus, mais le troisième, Toubab or not toubab m’était inconnu. Je l’ai lu et j’ai particulièrement aimé cette histoire. J’ai fait part de mon choix à l’éditeur. Ce qui est drôle, c’est que Casterman avait procédé exactement de la même manière avec Mathias Mercier, le scénariste qui a adapté ce roman en BD, et il se trouve que lui aussi a porté son choix sur ce roman. C’est comme cela que le projet est né.
L’histoire de Toubab or not toubab est assez pessimiste. En tant qu’auteur béninois, cela nous vous a-t-il pas dérangé de mettre en image un récit sombre sur l’Afrique et qui, d’une certaine manière, entretient certains clichés sur ce continent ?
Cela ne m’a pas dérangé pour plusieurs raisons : D’abord, Jean-Claude Derey est un auteur que j’apprécie, et je me suis fait plaisir en adaptant un de ses livres. Il a beaucoup voyagé, notamment en Afrique et il a aussi beaucoup publié sur notre continent. C’est un auteur qui connaît son sujet. Les fictions qu’il a écrites sont toujours basées sur des faits réels. Et puis, ce n’est pas parce que je suis africain que je dois nier les problèmes de l’Afrique. C’est vrai qu’il y a aussi des bonnes choses en Afrique et que l’on ne le dit pas assez. Je le sais, j’y vis. Mais il y a encore beaucoup de problèmes et les Africains veulent que les choses changent. Même vous, qui vivez ici en Europe, je suis sûr que vous voulez que l’Afrique aille mieux. Puis-je vous demander votre nationalité ?
Je suis belge d’origine congolaise, de Kinshasa.
Je connais un peu Kinshasa, je m’y suis rendu à deux reprises. Je comprends votre sentiment et j’ai bien conscience que les Africains et les personnes d’origine africaine vivant en Europe n’aiment pas que les médias occidentaux montrent inlassablement des images négatives de l’Afrique. Mais si je prends l’exemple de votre pays d’origine, la République Démocratique du Congo (RDC), c’est un pays au potentiel fabuleux à tous les niveaux mais il peine à décoller. Résultat : sa population souffre depuis trop longtemps ! Et, depuis 1996, ce formidable pays est traversé par la guerre, en particulier à l’Est. Je ne suis pas un expert de la RDC mais j’ai des amis congolais et je suis les informations. Je pense aussi qu’il est temps que NOUS, Africains, cessions de renvoyer cette image négative de l’Afrique. C’est nous qui devons en premier lieu dénoncer les dérives dans nos pays et surtout, faire en sorte que les choses changent durablement, car nous sommes les premiers concernés. Tout cela pour dire que faire cette adaptation ne m’a pas dérangé. Je suis un artiste et un conteur. Mon travail est de raconter des histoires.
Il est vrai que j’ai traité des sujets graves dans mes livres, notamment sur la traite négrière, mais j’ai consacré aussi beaucoup d’ouvrages sur la culture béninoise, des choses positives que nous devons transmettre aux jeunes générations. Par exemple, dans l’un de mes livres, je parle du vaudou car le Bénin est l’un des berceaux de cette religion. Je me rends souvent en Europe et, à travers mes voyages, je me suis rendu compte à quel point les gens ne connaissent pas le vaudou. Cette religion a une image très négative, notamment à cause du cinéma. Pourtant, cette religion est un élément culturel important au Bénin, au Ghana et au Togo, sans compter toute l’influence qu’elle a dans les Caraïbes et dans certains pays d’Amérique du Sud comme le Brésil. Étant donné que j’ai grandi dans cette culture, que je la connais bien, j’ai décidé de lui consacrer une série de BD afin de mieux faire connaitre cette croyance.
Votre entreprise semble ardue car cette religion a une image très négative, y compris auprès des autres Africains !
Tout à fait et c’est une des raisons pour laquelle j’ai envie de mener à bien mon projet.
Pouvez-vous nous parler de votre style graphique ?
J’ai acquis ce trait tout au long de ma carrière de dessinateur de presse. J’utilise beaucoup le noir car j’aime beaucoup dessiner en noir et blanc. Et puis, cette histoire est un polar, l’usage du noir me paraissait évident. J’aime aussi le style caricatural car j’aime la disproportion physique. Je joue souvent avec cela car ça me permet de mieux exprimer la personnalité de mes personnages. Enfin, je m’inspire aussi de photos pour créer mes décors.
Vous faites partie de ces rares auteurs africains qui vivent de la BD. Que pensez-vous du développement de la BD en Afrique ?
La BD en Afrique souffre de trois maux. Tout d’abord, il n’y a pas, ou très peu, de structures d’édition de bande dessinée en Afrique subsaharienne. Pourtant, il y a énormément de dessinateurs et de scénaristes, mais la plupart ne sont pas publiés et donc personne ne voit leur travail. Les dessinateurs font d’autres travaux, comme des affiches par exemple, mais il y a très peu de bouquins.
Cela nous mène au second problème : comme il n’y a pas de structures d’édition, il n’y a pas de livres édités et donc pas de marché. Je pense d’ailleurs que nous devrions arrêter d’organiser des festivals de BD en Afrique, car on dépense des sommes folles pour des résultats dérisoires.
Le troisième problème c’est que la plupart des Africains ne lisent pas de bande dessinée et ceux qui l’aiment n’ont pas les moyens de se payer des bouquins car cela coûte cher une BD à la façon européenne. Leur seule solution, c’est de les emprunter dans des bibliothèques... et nous savons, vous et moi, qu’il n’y a pas assez de bibliothèques sur notre continent.
Pour résumer, il faudrait d’abord trouver le modèle économique pour développer le secteur de la BD, adapté au pouvoir d’achat des Africains. Ensuite, il faudrait familiariser le jeune lectorat avec la BD. En donnant le goût aux jeunes, on créera de nouveaux lecteurs qui auront envie d’acheter des BD. Dans plusieurs pays d’Afrique, il y a des classes intermédiaires qui se développent, les gens travaillent et gagnent de l’argent. Tôt ou tard, le grand public consommera des bouquins en masse.
(par Christian MISSIA DIO)
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