Ce n’est pas le moindre des paradoxes de l’œuvre d’Hergé : celui qu’on nous avait vendu longtemps comme un grand auteur catholique, un parangon de la bienpensance, ne croyait probablement pas en Dieu mais plutôt aux gourous en tout genre et de toutes obédiences. Sa ligne d’une clarté éblouissante, cette interprétation du réel d’une grande rationalité, se nourrissait de forces obscures, effluves de l’enfer ?, au point de perdre contact avec la réalité, du moins est-ce peut-être ce que l’on veut nous faire croire...
Le rêve, la voyance, l’hypnose, la radiesthésie, le paranormal, la télépathie, les extraterrestres, les superstitions, les sectes, le spirituel ou la folie sont autant de sujets au sommaire de ce hors série Historia-Le Point concocté par Jacques Langlois, conseiller éditorial de ce numéro. Ils structurent les récits d’Hergé et sont ici déclinés avec force contextualisation de la part d’historiens qui multiplient les appels de note à Paracelse, à Nostradamus, aux mystiques comme Bernard de Clairvaux et Sainte Thérèse de Lisieux, à l’abbé Faria, à Alexis Carrel, à Jean Martin Charcot, à Sigmund Freud, à Carl G. Jung, à Madame Soleil, aux fakirs, aux moines bouddhistes, au Temple Solaire, et on en passe...
Le voyage est vertigineux et ouvre de nouvelles perspectives à une relecture des albums de Tintin. Ainsi, la crédulité d’Hergé était sans limite, sa perception de la réalité à ce point affectée par les avatars d’un atavisme familial proche de la folie ? Cette thèse, qui ressemble à celle de Jung selon laquelle le nazisme aurait été une "maladie mentale" de la société allemande, ce qui exonère cette dernière de toute responsabilité dans le génocide des Juifs, doit avoir ses limites : Hergé était un auteur conscient, vivant dans un environnement fasciste jusqu’à la fin de la guerre, véhiculant des valeurs conservatrices et coloniales et s’il a pu exorciser ses démons en prenant à son compte les frissons de l’ignorance, sa responsabilité n’en est pas éludée pour autant, les zones d’ombre ajoutant seulement du relief à sa légende noire.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Hors série Le Point-Historia, Tintin et les forces obscures, 130 pages, 8.90€. En kiosque et en librairie.
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