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Hergé inspiré par un pamphlet antisémite de Céline ?

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 7 juillet 2004                      Lien  
Le magazine « Lire » annonce cet été un ouvrage à paraître d'Emile Brami défendant la thèse que les jurons du Capitaine Haddock auraient été recueillis dans « Bagatelles pour un Massacre », un pamphlet antisémite de Céline.

Ce pamphlet interdit de publication depuis la guerre, et on le comprend tant il déverse une haine antisémite irraisonnée et d’une rare violence, sert de point de comparaison à un spécialiste de Céline, l’auteur de Voyage au Bout de la Nuit, pour étayer une conviction que l’auteur exprime dans une interview publiée par le magazine Lire de cet été : Celle que le père de Tintin a mis dans la bouche du capitaine Haddock plusieurs jurons inventés par Louis-Ferdinand Céline pour son livre Bagatelles pour un massacre.

Brami commence par faire des comparaisons de date : 1938 entre la publication du livre de Céline et 1940 pour Haddock. Il ajoute : « Si l’on exclut ceux relevant du lexique de la marine (’Marins d’eau douce !’, ’Mille sabords !’, etc), propres à la profession du capitaine, on s’aperçoit que, sur les 35 jurons restant, 14 se trouvaient dans ‘Bagatelles’. » Il poursuit : « Si certaines de ces injures communes à Céline et à Hergé sont assez classiques (’Parasite’, ’Renégat’), d’autres coïncidences sont vraiment troublantes : ’Aztèque’, ’Noix de coco’, ’Iconoclaste’... On trouve déjà le célèbre ’Sapajou’ dans ’Bagatelles’, qui fera son apparition dans la bouche du capitaine Haddock dans ’L’Etoile mystérieuse’, l’aventure suivant immédiatement ’Le Crabe aux Pinces d’or’ ». Il remarque que l’emblématique ’Ornithorynx’ apparaît à la page 68 de ’Bagatelles’ . Il souligne notamment le caractère raciste de ces injures.

Nous ne sommes pas convaincus par la thèse de M. Brami. Comparaison n’est pas raison. Il est même douteux qu’un homme dont un de ses collaborateurs proches de cette époque, Jacques Van Melkebeke, disait qu’ « il n’avait pas lu trois livres dans sa vie  » ait jamais lu un écrivain comme Céline dont la verve éructée, l’écriture-crachat, étaient à mille lieues d’un Hergé sans cesse à la recherche du compromis.

En fait, cette recherche des analogies ressemble pas mal au travail fait par Tomasi et Deligne (Tintin chez Jules Verne)) qui trouvait plus de 200 points de comparaison entre l’auteur de Vingt Mille Lieues sous les Mers et celui du Secret de la Licorne. Il concluait sur le fait que ces influences étaient surtout dues à Jacques Van Melkebeke, son scénariste de l’ombre, dont le lumineux livre de Benoit Mouchart (A l’ombre de la Ligne Claire) a montré le tortueux parcours à l’ombre des maîtres de l’Ecole belge.

Bien entendu, Hergé est une cible facile : il a commis en 1942 un dessin antisémite inacceptable (absent de l’album pourtant publié en 1943), dans un journal -Le Soir « volé »- porte-parole nazi sous l’Occupation. Il y a chez lui, c’est vrai, des traces d’antisémitisme ordinaire propre à un habitus belge dont nous aurons l’occasion de reparler. Mais il porte un peu seul le chapeau d’une génération toute entière contaminée par l’idéologie raciste antisémite. Cette nouvelle analyse constitue une nouvelle preuve à charge qui ne manque pas de pertinence, à défaut de clairvoyance, mais qui nous semble davantage encline à profiter de la notoriété de Tintin que de restituer une analyse objective du contexte culturel de l’époque.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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En médaillon : Dessin de Hergé. (C) Moulinsart.

 
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8 Messages :
  • > Hergé inspiré par un pamphlet antisémite de Céline ?
    7 juillet 2004 19:55, par J.Langlois

    Le rapprochement politique, à défaut de littéraire, entre Céline et Hergé avait déjà été tenté naguère dans le pauvre pamphlet "Le Mythe Hergé".
    Ici, ce sont des céliniens qui se raccrochent à Hergé, sans doute en effet pour "profiter" de sa notoriété persistante et faire sortir Céline de son "ghetto" (si l’on peut dire).
    Certes, il y a dans la thèse de Brami des éléments troublants, comme l’amitié d’Hergé pour Poulet, lui-même grand connaisseur de l’oeuvre de Céline.
    De là à penser qu’à défaut d’avoir emprunté à Céline qu’il n’avait sans doute pas lu à l’époque, Hergé se soit fait "fourguer" à son insu par Poulet ou Van Melkebeke des idées trouvées par ceux-là sous la plume de Louis-Ferdinand. Attendons la suite en espérant que tout ça n’est qu’une construction de l’esprit.

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    • Répondu par xian le 8 juillet 2004 à  18:33 :

      Tout cela est fortement douteux, il est par trop facile lorsqu’un auteur a disparu d’éructer contre lui qui n’en peut mais...
      On finira bientôt par trouver que l’auteur de Tintin n’a rien écrit lui-même et que tous les malheurs du siècle lui sont imputables.

      Comme il me serait agréablede lire un de ces quatre matins une critique ou un avis circonstancié de la part d’un auteur de qualité au moins égale à celui qui est critiqué...

      Xian

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      • Répondu par Flocon le 9 juillet 2004 à  10:31 :

        Hergé était rexiste et ami de Degrelle c’est un secret de polichinelle,pourquoi toujours tenter d’enfoncer des portes ouvertes ?
        La seule raison légitime pour laquelle on s’acharne contre Hergé provient de sa décision scélérate d’entrainer Tintin avec lui dans la tombe et de s’être approprié sans vergogne les diverses collaborations de ses assistants pour sa propre gloire.
        On n’a plus de nouvelles aventures de Tintin alors on se venge comme on peut ( et on a bien raison de le faire)

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        • Répondu par Didier Pasamonik le 9 juillet 2004 à  12:03 :

          Rien ne prouve qu’Hergé était rexiste, sauf les dires de Degrelle qui sont loin d’être parole d’Evangile. Hergé, ami de Degrelle ? C’est loin d’être sûr et ce dernier envoyait ses amis (comme Vroylande) à Dachau.

          Benoit Peeters a révélé (dans "Hergé, fils de Tintin") que dans ses conversations privées avec le cinéaste (juif) qui a réalisé le premier documentaire sur lui, il regrettait amèrement ces errements antisémites. En revanche, frappé du "syndrôme de Nestor" pour utiliser un néologisme forgé par benoit Mouchart ("A l’Ombre de la Ligne Claire"), il n’a jamais compris pourquoi la foudre était tombée sur lui plus que sur les autres, tout aussi coupables, pour certains jusqu’au crime, alors qu’il avait le sentiment d’avoir fait comme tout le monde.

          On n’a aucune raison de se venger de Hergé, ni de quiconque. D’ailleurs, la vengeance n’est pas une expression de l’intelligence.

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        • Répondu par Benoît Peeters le 9 juillet 2004 à  18:05 :

          Ce message appellerait une réponse point par point, que je ne peux faire aujourd’hui.

          Hergé rexiste et ami de Degrelle ? Preuves à l’appui, je me suis longuement efforcé de démonter cette méchante rumeur, dans ma biographie "Hergé, fils de Tintin". Hergé n’aimait pas Degrelle, ne s’entendait pas avec lui, ne partageait nullement cette idée. Mais les deux hommes étaient de la même génération, et avaient dans leur jeunesse fréquenté les mêmes milieux d’Action catholique.

          Quant à l’idée qu’on en voudrait à Hergé de n’avoir pas laissé dessiner de Tintin après sa mort, je la trouve tout simplement stupéfiante. C’est à l’honneur d’Hergé de n’avoir pas voulu que Tintin devienne un simple phénomène commercial. Ce que Tintin a d’unique tient d’abord au fait qu’il s’agit profondément d’une oeuvre d’auteur. Mais cette question appellerait un vrai débat.

          Un mot enfin sur la soi-disant origine des insultes du capitaine Haddock. Albert Algoud et moi-même avons tenté de répondre, dans LIRE, aux hypothèses aventureuses de M. Brami. Rien ne laisse sérieusement penser que ces "mots" du capitaine trouvent leur source dans cet ignoble pamphlet. Algoud l’a parfaitement dit : on trouve de ces insultes un peu partout, y compris chez Proust avec Tonnerre de Brest.

          Bien cordialement à tous

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      • Répondu par David le 20 juillet 2004 à  20:22 :

        Bonjour

        Vous vous méprenez, ce n’est pas une critique d’Hergé, c’est un constat, un rapprochement. Vous verrez dans son livre en novmbre qu’il y a d’autres faisceaux troublants sur Hergé et Céline.

        David Alliot, ami d’Émile Brami et qui a le privilège de chercher avec lui pour étayer son travail...

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    • Répondu par Jules Beaucant le 10 juillet 2004 à  20:16 :

      Je constate qu’ici comme ailleurs, les néo-inquisiteurs-aseptiseurs sont aussi à l’oeuvre, s’acharnant particulièrement sur Hergé qui, soupçonne-t-on, devait être possédé par le démon du racisme. D’où ce passage et repassage au peigne fin de ses textes, ses fréquentations, ses inspirations. Un vrai délire pathologique des refaiseurs de l’histoire

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      • Répondu par Didier Pasamonik le 30 juillet 2004 à  20:49 :

        "Pas de liberté pour les ennemis de la Liberté" (Saint-Just)

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    • Répondu par Ray Schweig le 5 août 2004 à  22:34 :

      On peut aussi se poser la question suivante : N’ est ce pas L. Degrelle qui aurait cherché a se prévaloir d’une ’amitié’ avec Hergé, et ce dans le seul but de tenter de diminuer ses fautes ?
      En se posant la question, c’est déjà trouver une partie de la réponse...

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  • > Hergé inspiré par un pamphlet antisémite de Céline ?
    12 juillet 2004 14:49, par Rastapopoulos

    Et si ce Fameux Hergé n’avait dessiné que Totor CP des hannetons, Fred et Mile, Monsieur Bellum ou Popol et Virginie chez les Lapinos trouverait-on aujourd’hui, cette pléthore d’écrivains et d’éditeurs voulant éclairer le monde sur les sources d’inspiration, le passé, la vie de cet auteur-dessinateur oublié et méconnu du grand public ?
    Sûrement, car à n’en pas douter c’est le souci d’informer seul, qui guide la main de ces Auteurs et non pas l’assurance d’encaisser quelques royalties, résultant de subsidiaires ventes en librairies, reposant sur le seul nom de ce... Hergé !?.

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  • M Brami est-il fou ?

    Ou bien veut-il inciter à lire Celine ?

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    • Répondu par koqebwix le 27 août 2004 à  10:34 :

      Comment faire pour lire toutes les interventions sur ce sujet ? (Il n’y a pas de lien "page suivante" / "page précédente")
      Merci.

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  • Plusieurs des jurons du capitaine sont quand même très "teintés" (anthropophages, cannibales, jus de réglisse, mamelouk, macaque, zoulous, peaux rouges, canaque etc).

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