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Hermann & Yves H. : « Nous pourrions continuer Bernard Prince … ou Comanche »

Par Charles-Louis Detournay le 23 octobre 2010                      Lien  
Trente-deux ans après Le Port des fous, Hermann revient à Bernard Prince, avec son fils au scénario. Un bon respect de l'univers de la série qui fait cependant légèrement vieillir les personnages et qui accorde plus de place au personnage de Barney Jordan.

Après le Diable des sept mers, Hermann retrouve son fils Yves H. au scénario pour la reprise de Bernard Prince, ainsi que nous vous l’avions annoncé précédemment.

À l’époque, vous aviez quitté Bernard Prince, c’est donc un peu le retour aux sources après les commentaires que Greg avait fait à l’époque ?

Hermann : Greg avait effectivement jeté un coup d’œil sur mes premières histoires, et m’avait confié : « Au point de vue du dessin, vous ne devez pas vous inquiéter pour votre avenir », me disait-il, « Par contre, vous ne serez jamais un scénariste ! ». Cela m’était tout de même resté un peu en travers de la gorge, et je me suis dit que ce n’était pas à lui à m’imposer son avis, mais je devais moi-même découvrir si j’en étais capable ou pas. Greg a donc préparé le terrain, vers lequel je me serais sûrement tourné quoiqu’il arrive.

Hermann & Yves H. : « Nous pourrions continuer Bernard Prince … ou Comanche »
Voulant réaliser vos propres histoires, vous aviez demandé à Greg ce qu’il préférait abandonner ?

Hermann : En entamant Jeremiah, je ne pouvais plus assurer de front Bernard Prince et Comanche. M’en ouvrant à Greg, il a préféré maintenir cette seconde série. Il faut avouer que, comme Greg courait beaucoup à Paris et aux États-Unis, ces derniers scénarios étaient un peu bâclés. Les récits dessinés par Aidans et Dany sont plus pauvres à mes yeux que les premières aventures. Je pense qu’affectivement, Greg a peut-être un peu souffert lorsque je l’ai quitté. Mais je trouvais normal que je sois libre pour me revendiquer à part entière.

Plus de trente années après, comment cette reprise de Bernard Prince s’est-elle effectuée ?

Yves H. : Même si c’est moi qui ai pensé le premier à cette reprise, l’idée provient réellement des lecteurs qui n’ont eu cesse pendant des années de demander cette reprise. Sera, avec qui je travaillais sur ma trilogie des vampires, a catalysé cette envie, en tant que grand fan de Bernard Prince. J’ai fini par en parler avec mon père, qui a finalement accepté, pris au défi par cette gageure.

Hermann : Je n’ai pas longtemps hésité, car lorsque je prends une décision, cela vient normalement assez rapidement, et je m’y tiens.

Mais vous ne voulez pas relancer la série ?

Hermann : Non, je ne voulais faire qu’un seul album, mais j’avoue y avoir pris un certain plaisir. Et si le lecteur embraye et que les résultats sont bons, il pourrait toujours être envisageable d’en faire un second...

Yves H. : … ou un Comanche ! Le public est très demandeur qu’on relance aussi cet autre classique.

Hermann : … oui… Comanche, mais je ne veux pas rendre Rouge malheureux !

Mais il n’y a pas eu de nouveau Comanche depuis quinze ans !

Yves H. : De toute façon, pour les James Bond, Sean Connery et Roger Moore ont chacun sorti un film dans la même période, sans que cela fasse de l’ombre pour l’un ou pour l’autre ! Le même exemple est applicable à Blueberry et Marshall Blueberry

Le série renoue avec l’exotisme qui a fait sa renommée, mais aussi ses personnages secondaires caractéristiques.

Quels étaient les divers synopsis auxquels vous ayez pensé pour cette reprise de Bernard Prince ?

Yves H. : J’avais tout d’abord imaginé un récit au Proche-Orient, mais l’introduction du récit était trop lourde, près de vingt pages, et j’ai donc changé mon fusil d’épaule. Les héritiers de Greg avaient été aussi explicites que flous : nous devions conserver l’esprit de la série. J’ai donc pensé revenir dans les contrées sud-américaines que Bernard Prince a souvent côtoyées.

Hermann : De toutes façons, il ne me serait jamais venu à l’idée de dévoyer la série !!! Nous avons bien entendu très légèrement modernisé quelques points, mais nous voulions demeurer au plus près des scénarios de Greg.

Vous nous gratifiez donc d’un cinquante-deux pages, plus imposant que le format d’origine, ce qui permet de placer quelques très belles vues d’ensemble…

Yves H. : Je ne suis pas un adepte du 44 ou 46 pages, car je trouve cela souvent trop court pour présenter un récit complet. J’aime donc m’étaler plus pour qu’on puisse aller au bout du potentiel de l’histoire.

Hermann : Concernant les grandes cases, ce n’est pas moi qui les impose, elles sont dans le scénario découpé d’Yves. Parfois, je bouscule légèrement la mise en page pour donner plus d’importance à telle vue, mais je ne dépasse jamais la limite de la planche pour éviter d’arriver trop court à la fin de l’album. Par exemple, s’il me propose une grande case avec deux têtes, l’une répondant à l’autre, je trouve que cela fige l’action. Je préfère alors la diviser en deux cases indépendantes, dans un procédé plus cinématographique. Il faut bien entendu que la planche demeure lisible.

La troisième intégrale de Bernard Prince paraîtra dans quelques semaines.

Si vous avez donc suivi son scénario et son découpage, vous êtes intervenus dans les dialogues !

Hermann : Une des caractéristiques d’Yves est d’écrire de manière très classique. Pour ma part, sans me hisser au niveau du talent de Greg, j’ai des dialogues plus piquants et colorés. Avec des personnages comme Prince, mais surtout Jordan, le texte classique détonnait, j’y ai donc ajouté un peu de piment.

Yves H. : Selon moi et dans ces dialogues, mon père est le fils spirituel de Greg, je ne serais pas parvenu à faire mieux.

Hermann : Au début de ma carrière, revenant du Canada, j’étais dans le bureau de mon beau-frère Philippe Vandooren, et je suis tombé sur un gag d’Achille Talon et je me suis esclaffé ! Selon moi, Greg est le meilleur, loin devant des Goscinny et autres, car il possède un humour abrasif doublé d’ironie. Quelques temps plus tard, j’étais aux anges lorsque Greg lui-même m’a contacté après avoir lu mon récit sur les scouts. LE Greg dont les gags m’avaient tellement impressionné me demandait de faire partie de son studio, c’était un rêve formidable !

Photo : © CL Detournay

Je ne dirais pas que Jordan a pris de la bouteille, mais les personnages ont tout de même légèrement vieilli.

Hermann : Djinn a toujours été un boulet dans le trio. D’ailleurs, dans le Port des fous, Greg l’avait carrément laissé en pension pour ne pas avoir à s’en soucier.

Yves H. : Ce personnage était surtout un appât pour les jeunes lecteurs. En le vieillissant un petit peu, on le rend plus crédible dans cette aventure moderne, même si on lorgne toujours vers les années 1970.

Barney Jordan a également pris plus de place, prenant souvent le pas sur Prince. C’est la vengeance de l’oreiller que vous lui fîtes balader dans Tonnerre sur Coronado ?

Hermann : Selon moi, c’est surtout le personnage le plus attachant.

Yves H. : Dans les idées que nous avions lancées lors de la réflexion globale sur le récit, nous avions envisagé réaliser une aventure centrée sur Barney, et c’est cette part de l’iceberg qui remonte de temps en temps dans Menace sur le fleuve. C’est donc plutôt un duo qui opère alors que précédemment, Jordan était souvent à la traîne. Plutôt que de le faire uniquement râler, j’ai voulu le rendre plus actif dans l’intrigue.

Hermann : Je suis réticent à l’idée de réaliser un album uniquement avec Barney. J’ai peur qu’il n’épuise ses réserves, alors qu’en émaillant régulièrement le récit, il conserve toute sa fraîcheur.

Les éléments naturels rentrent comme d’habitude en ligne de compte. Même si dans ce cas, Barney semble l’égal de Bernard Prince.

Ce Menace sur le fleuve serait donc votre dernier album en couleur directe ?

Hermann : Oui, car j’ai l’impression d’être trop habitué à mes couleurs, et je voudrais me remettre à l’encrage pour retrouver la force du noir et du blanc. Cela me procure à nouveau du plaisir et des surprises. Pour autant, je garde mes couleurs, mais en travaillant à l’ancienne, avec des bleus, ce qui me permet de ne pas perdre la profondeur des noirs. J’essaye d’allier les avantages de deux techniques, en jouant de l’une ou de l’autre selon l’effet que je désire souligner.

Quels sont les futurs albums qui seront travaillés avec cette nouvelle technique ?

Hermann : Entre autres, le prochain Jeremiah, l’Ami fifty-fifity qui est déjà terminé. C’est donc le récit d’un partage qui ne se déroule pas comme il faudrait. Je travaille aussi sur un one-shot qui paraîtra en 2011 chez Glénat. Nous devrions faire paraître une version en noir et blanc en même temps qu’une version en couleurs.

Yves H. : Cela s’appellera Une nuit de pleine lune, mais sans aucun vampire ni loup-garou. Ce sera une histoire réelle et contemporaine, mais tout de même assez sanguinolente. On peut voir la réalisation d’une planche sur notre site Internet.


Mais le fait de travailler la couleur sur les bleus en petit format doit vous changer des couleurs directes sur la planche même ?

Hermann : Effectivement, c’est beaucoup plus jouissif de mettre en couleurs de grandes surfaces. Je réfléchis donc à un système pour gagner sur les deux tableaux : scanner le noir et blanc pour pouvoir l’imprimer sur une feuille afin de mettre en couleur. Il faut juste que je puisse imprimer sur une feuille adéquate pour l’aquarelle. C’est pour moi une façon ne façon de me renouveler.

Pour revenir à Jeremiah, la conclusion de vos derniers albums était souvent assez abruptes, soit presque en plein combat, ou alors avec une allusion retorse à votre titre…

Hermann : J’ai une certaine aversion pour les happy end au cours desquels tout le monde s’embrasse. Il faut que la scène finale revête une certaine forme d’humour ou d’ironie qui donne une autre dimension à l’ensemble. Dans Le Petit chat est mort, il y a aussi une certaine forme de cruauté, mais qui éclaire enfin le titre de l’album tout en apportant un autre message : la cruauté est tout aussi omniprésente que l’affection dans le cœur de l’Homme. C’est la même question qui se pose pour Jeremiah : en voyant Lena, il retrouve le seul amour qu’il n’ait jamais eu. Mais ils sont incompatibles : lui est un infatigable voyageur, tandis qu’elle désire se retrouver dans son foyer.

On sent qu’une part de Jeremiah désire se poser !

Hermann : Oui, il en ressent l’envie, mais il n’y parviendra jamais !

Une des planches du futur Jeremiah, avec la reprise de l’encrage par Hermann

Pour conclure, vous attendez l’avis du public pour continuer Bernard Prince… ou reprendre Comanche ?

Hermann : Oui, mais pour Comanche, je ne sais pas si Yves sera à l’aise avec du western. Car j’ai fait un western réaliste avec On a tué Wild Bill, que je considère comme mon meilleur album du genre. Mais pour Comanche, on se glisse dans les codes institués par Hollywood, et il faut donc suivre ces lignes directrices pour coller à la série !

Yves H. : Et je te réponds que je me sentirais d’ailleurs plus à l’aise avec du western comme Comanche qu’avec Bernard Prince !

(par Charles-Louis Detournay)

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Photo : © CL Detournay

 
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6 Messages :
  • Hermann revient au noir et blanc et ça lui procure du plaisir et des surprises. Ce n’est pas une petite nouvelle.

    Attention les yeux ça promet...

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    • Répondu par alain z le 25 octobre 2010 à  08:40 :

      Dans ce bel entretien vous avez oublié de parler de la qualité du scénario. On dirait un best of des scénario de Greg. Absolument rien de neuf à l’horizon.
      Et il faut également parler de la prestation de Hermann.On le sent fatigué par la couleur directe et peu inspiré tout le long de ces 52 pages.Ou est passé le coloriste de génie qui nous émerveillait sur CAATINGA ?

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      • Répondu le 26 octobre 2010 à  15:17 :

        un best of de Greg, mais aussi et surtout des ambiances à la Jérémiah, qu’Hermann se réserve toujours. J’ai l’impression qu’Yves H a pris Bernard Prince comme alibi pour faire un pseudo-Jérémiah

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  • Yves H est bien pédant dans cet entretient. "Je serait faire du Commanche" "je suis content de mon travail sur Bernard Prince". A un moment il lance sa super idée (bidon ?) de placer Barney au centre d’un récit de Bernard Prince et bam le père le rembarre en lui disant que ce n ’est pas une idée intéressante.
    Yves H n’a jamais fait de grand scénario, en tout cas rien qui ne me vienne à l’esprit.
    Je trouve dommage que Hermann qui est au sommet de son talent ne dessine que des scénarios banals de son fils.
    Il devrait aller vers d’autres scénaristes plus novateurs et quitte à choisir un mauvais, ça vaudrapas moins qu’un Yves H ;

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    • Répondu par JLay le 29 janvier 2013 à  12:19 :

      Tout à fait d’accord, Hermann n’est jamais aussi bon, que lorsqu’il travail seul.

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  • Moi je trouve leur travail très intéressant et l’histoire écrite par Yves me plaît beaucoup. Vivement le suivant et pourquoi pas, le retour de Comanche également.

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