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Histoire de la bande dessinée gabonaise (2/3)

Par Christophe CASSIAU-HAURIE le 17 mai 2023                      Lien  
En 1997, le collectif BD Boom se constitue, suite à un concours – atelier organisé en 1996 par le Centre Culturel français Saint Exupery et encadré par Jano. Les activités de l’association étaient financées par la Coopération française et encadrées par le Centre culturel français de Libreville. Cette association constituera le principal vecteur de développement de la bande dessinée dans le pays jusqu'au début des années 2000.

La même année, BD Boom lance une revue du même nom spécialisée dans la bande dessinée, avec le soutien de l’Ambassade de France et d’organismes de lutte contre le Sida. Les noms de ces artistes deviendront vite connus des amateurs de BD du pays : Ben Rhodes, Joël Moundounga (Directeur de la publication et président de BD Boom), Ly. Bek, Sophie Endamne, Lin Hervé Evoza (rédacteur en chef et secrétaire général de l’association), Pahé, NGT, Yéno Patinon, Ekomi, Mapland, Mbodet Rubin, Crabbé, Landry Eliwatchango et le Congolais Makonga [1] .

Le premier numéro de BD Boom sort au début de l’année 1997. Il sera suivi de huit numéros jusqu’en 1999 et permettra le redémarrage du 9e art quelque peu moribond dans le pays. Parmi ces jeunes auteurs en herbe, seuls deux continueront dans le 9e art : Pahé et Ly. Bek. Le premier y lancera même le personnage de Dipoula qui fera carrière en Europe par la suite.

Histoire de la bande dessinée gabonaise (2/3)
BD Boom explose la capote (collectif) - Couverture

Trois albums collectifs à vocation éducative réalisés par l’équipe de l’association sortiront également par la suite : Koulou chez les bantu en 1998 [2], BD Boom explose la capote l’année suivante [3], Le Droit d’être enfant (2001) [4].

Le droit d’être enfant (collectif) - Couverture

Ce dernier titre reprenait – à travers des histoires courtes – chaque article de la convention de l’ONU relative aux droits de l’enfant (1989). De l’ensemble des bédéistes de l’association, seuls Joël Moundounga, Lin Hervé Evoza, Mbodet Rubin et Landry Eliwatchango sont intervenus dans cet album qui sera la dernière production de BD Boom.
1998 et 1999 sont marqués par l’organisation des deux premières Journées africaines de la bande dessinée (JABD) qui se sont tenues à Libreville [5] avec le concours de l’Union Européenne, le programme régional bantu, la Coopération française et BD Boom. Ces JABD ne seront pas le premier salon de la bande dessinée organisé en Afrique [6] mais constitueront un réel événement du fait de leur retentissement.
Pour la première édition, en plus de plusieurs dessinateurs européens (Ben Radis, Jano, Berberian, Jean Claude Denis), du directeur du festival d’Angoulême et des artistes de BD Boom, pas moins de dix pays africains étaient représentés [7].

Ces Journées seront l’occasion d’échanges, de rencontres entre des créateurs à l’époque très isolés et dont certains seront édités par la suite en Europe. Pendant ces quelques années, Libreville était la « capitale » de la BD africaine.

Certains continuèrent une belle carrière individuelle. Le cas le plus emblématique est celui de Ly. Bek (de son vrai nom Yvon Landry Bekale, né en 1966 à Lambaréné) qui produisit cinq albums individuels de bonne facture, tous financés par des programmes de coopération. Sortis en 1998 et 1999, L’Empreinte de la tortue et La Merveilleuse Aventure de Joao (financé par le programme Ecofac de l’Union Européenne) traitaient de l’utilisation rationnelle des ressources naturelles.
Le deuxième album évoquait plus particulièrement la ponte des tortues marines sur l’île de Sao Tomé et la nécessité de constituer une aire naturelle afin de les protéger.

Ly. Bek - La merveilleuse histoire de Joao (couverture)

Bien illustré et scénarisé, cet album – de bonne facture pour une œuvre de commande - obtiendra le premier prix des journées africaines de la BD 1998.
En 2000, Ly. Bek sortira Défense d’Ivoire (publié par Ecofac) sur la protection des éléphants et Plongé dans l’alcool (avec Joël Moundounga) sur les ravages provoqués par l’alcool.

Ly. Bek - Défense d’Ivoire (couverture)

Puis, en 2004, nouvel album avec Toutou et les braconniers : alerte à Djinga (WWF) sur l’exploitation forestière et le braconnage. Ly. Bek participa également, avec Mapland, à la revue Le réveil au début des années 2000.
Ly. Bek a aussi été invité aux festivals d’Angoulême et de Kinshasa (1999) et de Blois (1998).

Ly. Bek - Alerte à Djinga (Couverture)

En parallèle, Joël Moundounga a réalisé deux bandes dessinées : tout d’abord, en 2000, Matinda ou la désobéissance, financée par l’Agence Intergouvernementale de la Francophonie puis en 2001 avec une bande dessinée pour les enfants Super savon la propreté c’est la santé !, soutenu par l’ONG italienne Aliséi. Il a aussi publié Kengué dans l’album collectif À l’ombre du baobab (2001).
Yéno Patinon, autre membre de BD Boom, a dessiné en 2003 Présumé non voyant dans le N° 2 de la revue collective lilloise Afro bulles (Ed. du palmier vert).

Puis, par la suite, ce fut un quasi-désert durant plusieurs années, il n’y eut malheureusement pas d’autres JABD et BD Boom se mit en veille quasi définitivement.

Les raisons ont été évoquées par P’tit Luc dans une interview datant de 2001, parue dans la revue Africultures : « À une époque, un festival de BD s’est monté au Gabon. […] Je me suis rendu compte de ce que l’ambassadeur, le premier conseiller, le bibliothécaire et le directeur du Centre culturel étaient tous fanas de BD. Donc, quand ils se sont concertés pour définir leur ligne, ils ont tous dit : la BD. Et puis, quand ces gens ont terminé leurs contrats, tout s’est arrêté très brutalement. On a dit aux suivants : vous reprenez le truc, et personne n’a repris le truc… C’était des lubies plutôt bien. […] Ils ont lancé une expérience BD sans qu’il y ait une culture BD, juste parce que eux aimaient la BD. Je ne vais pas leur en vouloir, ça a quand même provoqué d’autres choses ailleurs, mais c’était une mauvaise idée.  [8] »

Ce constat est confirmé par Pahé (nom de plume de Patrick Essono) interviewé à Angoulême en 2007 : « La BB gabonaise est quasi inexistante. Et dire qu’une nouvelle scène est en train d’émerger serait une bonne blague, voire de l’humour noir ! Les dessinateurs que je connais bossent plutôt pour des journaux de presse écrite locale. [9] »

Ce dernier fut le seul à se faire remarquer durant cette époque. Il a continué dans le dessin de presse et la caricature et a publié dans plusieurs de journaux du pays (La Griffe, Le Moustik, La Cigale enchantée, Le Scribouillard, etc.). Il a également travaillé pour la chaîne de télévision TV+ où il animait une émission satirique Les n’infos de Pahé tous les samedis ainsi que sur le défunt site assala.com.
Mais, Pahé s’est surtout fait connaître à l’étranger pour sa production en matière de bande dessinée.

Il a participé à l’édition 2005 – 2006 de l’album italien Africa comics (Laï momo) et a fait partie en 2006 de l’équipe de dessinateurs [10] du journal numérique de BD Equato-guinéen Para jaka où il continuait les aventures de son personnage de petit albinos nommé Dipoula.

Page introductive de la revue numérique équato-guinéenne Para-Jaka !

Il a aussi édité plusieurs albums de caricatures : Les choses du pays et Ces bouilles célèbres de Gabao (2008 et 2009, éd. Raponda Walker), Gabonaises… gabonais... (2006, éd. Papa Maurice Entreprises) [11] puis Best of Pahe (2012, Maison de la presse). Il n’hésitera pas non plus à s’autoéditer avec Ali 9, Roi de la République Gabonaise (2010, préfacé par le président Ali Bongo) et 5 ans déjà (2015).

En 2005, la rencontre avec Pierre Paquet, des éditions suisses Paquet lors d’un festival de bandes dessinées lui permet de sortir son premier album, d’essence autobiographique (l’auteur y racontait son enfance entre le Gabon et la France) : La vie de Pahé, T.1 : Bitam qui fut très bien accueilli par les critiques et le public [12]. Ce premier tome sera suivi par un second, Paname, deux ans après, qui racontait les débuts de l’auteur dans la bande dessinée [13]. Prévue pour constituer une trilogie, la série s’arrêtera après ce second tome, en dépit de son adaptation en dessins animés.

Pahé et le dessinateur René Pétillon en novembre 2008.
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

Par la suite, toujours chez Paquet, Pahé dessinera les trois volumes de son petit personnage favori, Dipoula, petit garçon albinos auquel il arrive tout un tas d’aventure. Aidé par des scénaristes européens, l’auteur a fait le choix du mode humoristique pour décrire la situation dramatique que constitue la vie des albinos sur le continent [14].

Pahé - Dipoula l’albinos contre le petit Pahé (couverture)

Pahé participera également à un collectif sur la découverte de la paternité, chez le même éditeur : Un papa est né  [15].

Pahé vient d’annoncer son grand retour sur Twitter : il travaille en ce moment sur le tome 3 de La Vie de Pahé, toujours aux éditions Paquet.

(par Christophe CASSIAU-HAURIE)

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Code EAN :

[1Emmany Makonga participait déjà à l’aventure de la revue congolaise Afro BD, lancée par Barly Baruti en 1990. Il se fera remarquer lors du premier concours pour les bédéistes africains lancé par Calao en 1991 et qui donnera lieu à l’album Au secours !. Il vit aujourd’hui aux États-Unis.

[2Koulou chez les Bantu. [Contributions de : Lybek, Joël Moundounga, et alii ; dir. Jano]. Libreville : Éd. du Luto, 1998, 64 p., ill., 30 cm [pas d’ISBN

[3BD Boom explose la capote. [12 dessinateurs différents et préface par le Ministre de la Santé publique et de la population] [Contributions de : Ly. bek, Joël Moundounga, et alii ; dir. Jano]. Libreville : BD Boom, 1999, 47 p., ill., 30 cm [pas d’ISBN].

[4Pour une critique des deux premiers albums, cf. Alain Mabanckou, Pédagogie par la BD : quels messages ?, Notre librairie, N° 145, juillet – septembre 2001.

[5Cf. Sébastien Langevin, Libreville : des bulles plein l’Afrique, Africultures N°25, février 2 000.

[6Nairobi en 1983 et Kinshasa en 1991 l’ont précédé.

[7Mauritanie (Mamadou Ba), Tchad (Adji Moussa et Sakom Titimta), Burundi (Joseph Nduwimana), Togo (Jo Palmer), bénin (Hector Sonon), Niger (Alassane Aguelasse), Centrafrique (Clotaire M’bao et Didier Kassaï), Cameroun (Sylvestre Kemegne et Chrisany), Madagascar (Didier Mada BD et Rakotosolofo), Sao Tome et RDC (Barly Baruti).

[8L’histoire de « BD Africa » du Gabon à Madagascar. Interview de P’tit Luc par Pierre Maury.

[10Des auteurs Camerounais et équato-guinéens ont également participé aux 5 numéros de la revue

[11Une deuxième édition a été publié en 2012 sous le titre Gabonaises… Gabonais… [Bongo de A à Z]

[12La Vie de Pahé. T. 1 : Bitam. Dessin et scénario de Pahé, coul. de Christophe Bouchard. [Genève] : Paquet, 2006, 58 p., ill., 22x30 cm – ISBN : 978-2-888-90133-1.

[13La Vie de Pahé. T. 2 : Paname. Dessin et scénario de Pahé ; coul. de Christophe Bouchard. [Genève] : Paquet, 2008, 71 p., ill., 22x30 cm, cartonné – ISBN : 978-2-888-90242-3.

[14Dipoula, l’albinos. T. 1 : Mbolo. Dessin de Pahé, scénario de Sti, couleurs de Callixte. Genève : Paquet, 2008, 46 p., ill. – ISBN : 978-2-940-33493-3.
Dipoula, l’albinos. T 2 : Dipoula contre le Petit Pahé. Dessin de Pahé, scénario de Louis Bertrand Devaud, couleurs de Louis-Bertrand Devaud. Genève : Paquet, 2010, 46 p., ill. – ISBN : 978-2-888-90383-3.
Dipoula, l’albinos. T.3 : La Vie gabonaise. Dessin de Pahé, scénario de Sti, couleurs de L. B. Devaud. Genève : Paquet, 2012, 48 p., ill. – ISBN : 978-2-888-90442-7.

[15Un papa est né. [Collectif. Auteurs : Sti, Pahé, Mic, Sualzo, Joël Alessandra, Thorsten Kiecker, Louis-Bertrand Devaud, Walther Taborda, Azim, Pepeto]. Genève : Paquet, 2010, 58 p. – ISBN : 978-2-888-90334-5

Paquet ✏️ Pahé Marché de la BD : Faits & chiffres
 
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