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Hugo Pratt au Musée de la franc-maçonnerie

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 14 février 2012                      Lien  
Corto Maltese est-il un initié ? Assurément, et de plusieurs obédiences, son goût pour les matières occultes en atteste. Mais Hugo Pratt ? Une exposition au Musée de la franc-maçonnerie à Paris révèle quelques-uns des secrets du créateur de Corto Maltese, et notamment son appartenance à la Loge.
Hugo Pratt au Musée de la franc-maçonnerie
Le Grand Maître du Grand Orient de France, M. Guy Arcizet, au moment de l’inauguration de l’expo.

Apparemment, la franc-maçonnerie a l’air moins mystérieuse qu’il n’y paraît. ActuaBD a découvert son musée et même rencontré le Grand Maître du Grand Orient de France, Guy Arcizet, dans le lieu-même où se font les tenues rituelles. Cette institution ésotérique visant à l’édification d’une société rationnelle, professant la laïcité et la fraternité entre ses membres organisés en loges, a joué un rôle éminent dans l’établissement de la République Française notamment. Elle a, selon son Grand Maître, conservé une relative discrétion depuis la guerre en raison des persécutions dont elle a été l’objet de la part des nazis et, avec eux, de la plupart des gouvernements autoritaires.

Cette "manie du secret" n’a pu qu’attirer Hugo Pratt qui avait un goût marqué pour les organisations ésotériques. Il résulte de cette exposition l’implication réelle de l’auteur de Corto Maltese dans ce rite. Pourquoi Pratt au Grand Orient de France ? "Je suis un lecteur ancien d’Hugo Pratt, nous dit son Grand Maître. La culture de la franc-maçonnerie est faite de la quête, d’une certaine transcendance et d’une certaine spiritualité. Chez Pratt, la quête est là, la quête d’une certaine altérité surtout : cette manière de se mettre en danger en sortant de sa propre culture."

Corto Maltese : en quête d’altérité...

Le parcours de l’exposition ne manque pas de surprises : après une série d’aquarelles et de planches montrant l’intérêt de Pratt pour l’ésotérisme en général, mises en parallèles avec des masques, des totems et d’autres objets votifs, nous arrivons dans une section où le "frère Hugo Pratt" nous est révélé. "Pratt est entré dans la loge Hermès de Venise en 1976, nous raconte le directeur du Musée, M.Pierre Mollier. Il en a été membre jusqu’à la fin de sa vie. Il a été très assidu de 1976 à 1986. Après, vous savez qu’il habitait à Paris et en Suisse. Il a été un peu moins assidu, mais il venait régulièrement. "

Le directeur du Musée de la Franc-Maçonnerie, M. Pierre Mollier, devant l’une des vitrines de l’expo. On y reconnaît le Baron Corvo, l’une des figures centrales de "Fable de Venise".

Les éléments les plus émouvants sont le tablier et le cordon maçonniques personnels d’Hugo Pratt, ainsi que son brevet d’initiation au grade de Maître des Secrets, quatrième grade du Rite Ecossais Ancien Accepté. Plus loin, une épée maçonnique dite "flamboyante" nous est montrée : elle aurait été dérobée par le père d’Hugo Pratt (ou son oncle, selon les sources) le fasciste Rolando Pratt lors de la mise à sac de la Loge de Venise par les séides de Mussolini en 1924. Pratt l’aurait rendue à la Loge au moment de son initiation.

L’épée dérobée par les factions fascistes auxquelles appartenait le père de Pratt. Son fils la restitua à la loge au moment de son initiation.

Dans la section "La Franc-maçonnerie et les mystères de Venise", on propose une relecture de Corto Maltese : Fable de Venise (Casterman) avec ses grandes figures ésotériques, mises en relation avec les planches : Casanova, le Baron Corvo, Goldoni... Fable de Venise se situe en 1921, à une époque où les "chemises noires" multipliaient les expéditions "punitives" contre les francs-maçons. Plus loin, on découvre le lien de Corto avec le Temple Osiris de la Golden Dawn, une loge maçonnique britannique mêlée au mouvement rosicrucien. Pratt aimait brouiller les pistes...

Dominique Petitfaux devant le tablier et le cordon franc-maçons de Pratt

Le parcours se termine sur le "testament maçonnique" d’Hugo Pratt que constitue Fort Wheeling. C’est un album dessiné en deux parties en 1961-1962, puis en 1981. Mais quelques mois avant sa mort, en 1995, Pratt décide d’y ajouter quelques planches montrant une initiation maçonnique d’accession au grade de Maître des Secrets. C’est le testament maçonnique d’Hugo Pratt dont les planches appartiennent aujourd’hui au Musée maçonnique du Grand Orient de France, acquises auprès de la famille de l’artiste.

Jean-Claude Guilbert. Il a bourlingué 15 ans avec Pratt sans savoir qu’il était franc-maçon.

Cette redécouverte de l’œuvre du grand auteur italien invite sans aucun doute à la relire sous cet éclairage nouveau. Mais qu’en ont pensé les experts patentés de l’œuvre de Pratt ? "Je n’avais évidemment jamais vu le tablier de franc-maçon de Pratt, ni son épée, nous dit Dominique Petifaux qui a écrit deux ouvrages biographiques avec le maître [1]. Quand je l’interrogeais, j’avais des scrupules dans deux domaines : les femmes et les sociétés ésotériques. N’étant pas franc-maçon, je ne me sentais pas habilité à l’interroger et je suis heureux que les francs-maçons l’aient fait. J’apprécie en plus qu’ils ne cherchent pas à s’annexer Pratt. Il était franc-maçon mais il était aussi beaucoup d’autres choses. Il était par exemple intéressé par le culte vaudou. On découvre que Pratt était aussi franc-maçon et pas seulement franc-maçon."

Même satisfaction du côté de Jean-Claude Guilbert qui a accompagné les voyages de Pratt pendant 15 ans dont il a raconté le souvenir [2] : "C’est une exposition formidable. Elle me semble parfaitement juste et surtout justifiée, mais cela aurait été intéressant de tirer le fil plus loin, notamment Salomon et sa clavicule. C’est quand même le père de Ménélik 1er et le fils de la Reine de Saba ! On aurait pu suivre aussi la piste de Jacques Bergier qui a aussi beaucoup apporté à Pratt en matière d’ésotérisme. J’étais l’intime des intimes de Pratt et je ne savais pas qu’il était maçon. On n’en parlait pas. Je n’ai appris réellement qu’il était maçon que là, à l’occasion de cette exposition."

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN :

Corto Maltese ou les Secrets de l’initiation

Musée de la Franc-Maçonnerie - 6 rue cadet - 75009 Paris (M° Cadet ou Grands Boulevards) - Tel : 01.45.23.75.09.

Site Internet du Musée

Entrée : 6€, tarif réduit : 4€. Du mardi au vendredi, de 10h00 à 19h00, fermé à l’heure du midi.

Un catalogue au prix de 10€ est vendu sur le lieu de l’exposition.

Photos : D. Pasamonik (L’Agence BD)

Lire aussi Emmanuel Pierrat (à propos de l’expo Corto Maltese au Musée de la franc-maçonnerie) : " Le but est de donner à relire une œuvre qui n’a été décryptée que par des initiés jusqu’ici."

[1Le désir d’être inutile - Souvenirs et réflexions, Robert Laffont et Hugo Pratt, de l’autre côté de Corto, chez Casterman.

[2Hugo Pratt , La traversée du labyrinthe, Presse de la Renaissance.

 
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