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Ice Cream Man T. 1 - Par W. Maxwell Prince & Martín Morazzo - Ed. Huginn & Muninn

Par François Peneaud le 13 mars 2023                      Lien  
Une petite musique entraînante se fait entendre au bout de la rue ; le camion du marchand de glaces s'arrête au bord du trottoir et bientôt, une troupe d'enfants surexcités se presse pour faire leur choix. Les adultes qui les surveillent, attendris, auraient mieux fait de remarquer que quelque chose clochait chez le sympathique vendeur...
W. Maxwell Prince et Martín Morazzo lancent avec ce premier tome une série anthologique qui mélange allègrement les genres. Et si Rod Serling avait décidé de vendre des glaces, le résultat aurait pu être Ice Cream Man !

Depuis quelques années émerge, dans les comics, une nouvelle génération de scénaristes et dessinateurs encore peu traduits en France. Le scénariste américain W. Maxwell Prince et le dessinateur argentin Martín Morazzo en font partie, bien que l’artiste ait déjà une demi-douzaine de titres à son actif.

Après une première collaboration en 2016 pour une mini-série inédite en VF, les deux auteurs se retrouvent en 2018 et lancent chez Image Ice Cream Man [1], série toujours en cours et dont les éditions Huggin & Munnin proposent aujourd’hui la traduction du premier tome. Construit sous le format d’une anthologie dont chaque numéro peut se lire indépendamment, Ice Cream Man suit un fil rouge ténu, celui du personnage éponyme, parfois source de l’intrigue, parfois personnage secondaire.

Ice Cream Man T. 1 - Par W. Maxwell Prince & Martín Morazzo - Ed. Huginn & Muninn

Une technique bien connue pour créer un sentiment d’inquiétante étrangeté chez le lecteur consiste à introduire un élément déstabilisateur dans la normalité du quotidien. Et quoi de plus déstabilisateur qu’un vendeur de glaces ambulant qui n’est pas ce qu’il paraît ?

La réussite la plus évidente des quatre numéros contenus dans cet album réside dans la variété des ambiances : dans le premier épisode, un enfant semble abandonné par ses parents, mais la vérité n’est-elle pas encore plus terrible ? Ici, l’horreur est celle du noyau familial menacé.

Dans le deuxième numéro, deux junkies en mal de fix commettent des crimes de plus en plus graves, jusqu’à ce que le marchand de glace fasse à l’un d’eux une offre qui ne se refuse pas. Le scénariste écrit ici de belles études de personnages, que ce soit l’histoire d’amour tragique des deux protagonistes ou le quotidien d’un couple âgé dont le chemin croise malheureusement celui des drogués. Le cauchemar n’a pas besoin de monstre tentaculaire pour éclore dans la vie des gens ordinaires.

Dans l’épisode suivant, un chanteur sur le retour, la quarantaine triste, ressasse l’ancien succès d’un seul et unique titre. Quand il mange une glace offerte par le mystérieux vendeur, sa réalité bascule dans un monde que n’aurait pas renié le Moebius du Garage hermétique, habité par des personnages venus tout droit des succès de la pop et du rock. Ici, l’étrangeté n’est pas inquiétante, elle est tout simplement jouissive... jusqu’au retour au réel. Martín Morazzo s’en donne ici à cœur joie, et le lecteur amateur de ce genre de musique s’amusera à repérer les différentes références.

Le dessinateur est d’ailleurs aussi à l’aise dans les scènes réalistes que dans la peinture de mondes fantastiques, dans les discussions calmes entre personnages que dans les scènes d’horreur. On pourra remarquer que sa narration, qui fait souvent appel aux cases en insert, utilise à la fois le gaufrier en trois cases par trois et les pleines pages frappantes. Avec ses personnages à la gestuelle étudiée et ses pages toujours très lisibles, Martín Morazzo est un artiste à part entière, parfaitement adapté à la grande diversité thématique et visuelle de cette série.

Le dernier numéro nous offre une nouvelle étude de personnages. Lors de l’enterrement d’un trentenaire, son père, qui avait jadis abandonné sa famille, rencontre un ami de son fils décédé, qui s’inquiète pour la naissance prochaine de son premier enfant. S’ensuit un touchant échange sur la paternité, les contraintes et les possibilités qui lui sont liées. Une histoire quasi naturaliste, donc, si ce n’est un angoissant interlude mettant en scène le défunt post mortem. L’inquiétude nait là de l’irruption inattendue de l’impensable au sein du chagrin : les deux hommes séparés par une génération sont réunis autour de la disparition d’un être cher, tandis que celui-ci est finalement plus perdu que disparu.

On le voit, Ice Cream Man aborde des thèmes réalistes en incluant du matériau narratif venu de l’horreur, du fantastique, de l’étrange, etc. La série se situe donc à la frontière entre plusieurs mondes qui ne se rencontrent pas si souvent. Et c’est là sa grande force.

Signalons enfin que si chaque numéro est bien autonome, un fil conducteur se dessine en quelques petites touches, dont un court échange entre le vendeur de glaces et un homme tout de noir vêtu, qui semble bien le connaître - et surtout, qui semble bien connaître ses intentions. Il faudra attendre la suite de la série pour apprendre de quoi il retourne.

(par François Peneaud)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9782364809017

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