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Il y a 20 ans disparaissait Yves Chaland

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 22 août 2010                      Lien  
La Galerie Champaka à Bruxelles expose du 3 septembre au 3 octobre 2010, un ensemble exceptionnel de vingt-quatre planches originales en noir et blanc d’Yves Chaland, ajouté de 10 agrandissements à tirage limité intitulés « Grandes Cases ». Une mise en bouche agréable avant les 3e Rencontres Chaland à Nérac (2 et 3 octobre 2010) consacrée au théoricien de la Ligne Claire : Joost Swarte.
Il y a 20 ans disparaissait Yves Chaland
Dans "Captivant", Chaland et Cornillon déconstruisent les codes de la BD classique.
Ed. Humanoïdes Associés

L’étonnante ferveur qui entoure cet auteur culte disparu en 1990 à l’âge de 33 ans ne retombe pas. Découvrant André Franquin à l’âge de 15 ans, Yves Chaland, natif de Nérac (une petite ville de la région aquitaine, proche d’Agen), tombe amoureux de l’école belge. Il dessine trois cents planches de bande dessinée des personnages de Jen & Ric qui semblent poursuivre en Occitanie les aventures de Spirou & Fantasio.

Un petit livre publié chez Marabout signé Philippe Vandooren, comportant des entretiens avec André Franquin et Joseph Gillain alias Jijé parus sous le titre de Comment on devient créateur de bande dessinée (1969) [1] achève le travail de séduction.

Chaland rencontre même, fin mai 1974, le grand Gillain à l’occasion d’un concours organisé par le fanzine Haga et dont les finalistes, dont le jeune dessinateur fait partie, doivent être départagés au cours d’un « tac au tac » à Toulouse. Gillain goûte peu ces hommages répétés à Franquin qu’il prend pour du plagiat. Chaland occupe la huitième et dernière place. Il est mortifié.

Naissance de la Ligne Claire

"Bob Fish" (ici dans sa version bruxelloise), donnera naissance au "Jeune Albert", un des sommets de la BD des années 1980.
Ed. Magic-Strip / Humanoïdes Associés

Le concept de « ligne claire » forgé par le dessinateur hollandais Joost Swarte en 1977 acquiert la même année une légitimité en France grâce à Floc’h (Le Rendez-vous de Sevenoaks, avec François Rivière,) tandis que Ted Benoit lance en 1980 le manifeste Vers la Ligne Claire, la même année que la publication dans l’Hexagone de L’Art moderne et du « 30 x 40 » de Swarte. Le pastiche devient hype depuis que les Situationnistes ont détourné Tintin en 1977.

Éditeur génial, Jean-Pierre Dionnet, patron et fondateur des Humanoïdes Associés, repère Yves Chaland et son compère Luc Cornillon dans le fanzine Echelle de valeur. Entre-temps, Chaland a découvert d’autres horizons graphiques : les Belges Tillieux et Jacobs, les Américains Will Eisner, Lou Fine, Wallace Wood, Harvey Kurtzman… Mais aussi des artistes de « seconde zone » considérés comme quasi ringards, comme Gervy, l’auteur de Pat Apouf (certes, publié dans Petits Belges…) ou encore le Willy Vandersteen de Bob & Bobette dont on trouve parfois les albums en France dans les solderies.

Un travail de déconstruction

Cela donne Captivant (1979), ce pur précipité de la bande dessinée des années cinquante, qu’il signe avec Luc Cornillon, un ensemble de pastiches qui ne touche pas seulement l’école belge. Mais l’effet « Ligne Claire » est là et Chaland deviendra, en miroir du style Hergé tenu par Ted Benoit et du style Jacobs défendu par Floc’h, le chef de file du renouveau de l’École de Marcinelle stylistiquement sclérosée par une forme de maniérisme qui reproduit (le plus souvent à la demande des éditeurs) les canons d’une bande dessinée traditionnelle qui est en train de prendre un coup de vieux à cause de l’effervescence créative de la bande dessinée pour adultes.

Ce travail de déconstruction impressionna tous les auteurs de l’époque, de Yann & Conrad à François Avril, Daniel Torrès ou Dupuy & Berberian, jusqu’à un certain… Jean-Christophe Menu qui publia un entretien avec Chaland dans son fanzine Le Lynx à tifs (1986).
Chaland crée Bob Fish dans Métal Hurlant (1980) dont le personnage secondaire, Le jeune Albert connaîtra des aventures parallèles qui constituent un des sommets de la BD des années 1980. Peu de temps auparavant, accompagné de Cornillon, Chaland avait poussé la porte de la librairie Chic Bull des frères Pasamonik à Bruxelles, les fondateurs des éditions Magic-Strip.

Freddy Lombard

"Freddy Lombard et le Testament de Godefroid de Bouillon", un album de Chaland pour la collection Atomium.
Ed. Magic-Strip

Cette rencontre est à l’origine de la collection Atomium dont les trois premiers titres sont signés Serge Clerc, Chaland et Cornillon. L’album de Chaland, Freddy Lombard (1981), fait sensation. Avec sa mèche à la Tintin, son imper à la Blake et Mortimer et ses grands yeux à la Spirou, il ne lui manque plus que son patronyme qui évoque l’éditeur du journal Tintin : « Je l’ai créé sans trop réfléchir [...] dit Chaland dans Le Collectionneur de BD. Et comme il s’agissait d’un hommage aux vieux albums de la collection du Lombard, je l’ai appelé Freddy Lombard. Ce premier album s’appelle Le Testament de Godefroid de Bouillon car l’action se déroulait à Bouillon, en Belgique, dans les Ardennes. J’y suis allé pour me documenter. Quand je suis revenu chez moi, j’étais tellement imprégné par l’atmosphère que je n’ai pas eu besoin d’écrire un scénario. J’ai dessiné directement. Je faisais une page par jour. Á la trentième page, la fin de l’histoire est venue spontanément. Ce fut vraiment un travail d’écriture automatique. » [2]

Le dos toilé de la collection Atomium fait d’ailleurs explicitement référence à la collection phare du label de Raymond Leblanc. La vente de l’album avec un pin authentique de l’Exposition Universelle de 1958, tandis que les libraires recevaient un Atomium mécanique, authentique objet kitch des années cinquante dont le mécanisme faisait tourner un hélicoptère autour du célèbre cristal d’acier, établit la réputation de Magic-Strip. Ce mélange de nostalgie et de modernité (le logo de la collection est d’Ever Meulen) marque les observateurs et l’album devient la meilleure vente des éditions.

Les Humanoïdes Associés – c’est de bonne guerre- ont tôt fait de récupérer le personnage et bientôt Yann, alors célèbre agitateur de hauts de page, en devient le scénariste. La série ne sera interrompue que par le décès de l’artiste, il y a 20 ans exactement.

Dessin issu de "La Comète de Carthage", une des 10 "grandes cases" choisies par la Galerie Champaka.
Ed. Champaka

L’influence durable d’Yves Chaland

Avec à peine une dizaine d’albums, l’influence de Chaland est profonde et internationale. « Yves Chaland : Visionary of Europe’s Atomic Age » titrait le Comics Journal au moment de son décès : « …Il laisse des histoires marquées par la clarté, la grâce et l’esprit » écrivait à son propos Ken Steacy.

"Vacances à Budapest", un album de Freddy Lombard scénarisé par Yann.
Ed. Humanoïdes Associés

Des dizaines de dessinateurs contemporains ont été fascinés par son travail. Parmi eux, les Américains Geoff Darrow et Paul Pope. En Allemagne, l’une des maisons d’édition les plus en pointe du pays porte en son hommage le nom du dernier album des aventures de Freddy Lombard : F52.

La flamme de son souvenir est entretenue depuis quelques années par Champaka, la maison d’édition d’Éric Verhoest. Celui-ci ayant ouvert une galerie récemment, il était normal qu’il lui rendît hommage. C’est le personnage de Freddy Lombard qui, comme de juste, sert de fil rouge à cette exposition-vente, avec une vingtaine d’originaux issus de la collection d’Isabelle Beaumenay-Joannet, la veuve de l’artiste, infatigable animatrice des Rencontres Chaland de Nérac dont la troisième édition aura lieu les 2 et 3 octobre prochains. Elles rendent précisément hommage à Joost Swarte, celui qui a donné le cadre théorique qui a permis à Chaland de revenir sur les traces des grands auteurs de l’école belge.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN :

Exposition Yves Chaland
Du 3 septembre au 3 octobre 2010

Galerie Champaka
27, rue Ernest Allard
B-1000 Bruxelles
Belgique
Tel : + 32 2 514 91 52
Fax : + 32 2 346 16 09
sablon@galeriechampaka.com
www.galeriechampaka.com
• Mardi à samedi : 11h00 à 18h30
• Dimanche : 10h30 à 13h30

- Le site officiel d’Yves Chaland

- Le site officiel de Champaka

- Le site du Club des Amis de Freddy Lombard

- Le site de Lebrun sur Yves Chaland

- Un article de Didier Pasamonik sur La Ligne Claire sur MundoBD

- Le site de Klare Lijn International

[1Il est réédité depuis, considérablement enrichi de documents inédits, aux éditions Niffle.

[2Yves Chaland dans « Le Collectionneur de BD » no 69 – 1992.

 
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8 Messages :
  • Il y a 20 ans disparaissait Yves Chaland
    22 août 2010 14:25, par marcel

    Le testament de Godefroid de Bouillon fait partie de mes meilleurs souvenirs de lecture, je vénère Chaland et j’aime ses prises de position (relisez ses interviews sur le net).
    Même si aujourd’hui vous soutenez le grand bazar éditorial du tout publiable ( publier une BD aujourd’hui n’a plus aucune valeur, c’est devenu banal),
    il faut vous rendre hommage, d’avoir été vous et votre frère de formidables éditeurs, des découvreurs pleins d’audace, encore merci.
    J’irais observer les originaux d’Yves chaland, même si je dois pour ça me faire violence et passer la porte d’un bobo club sablonné.

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    • Répondu par JL le 25 août 2010 à  07:29 :

      Qu’est ce que vous voulez dire par "publier une BD aujourd’hui n’a plus aucune valeur, c’est devenu banal" ? Pour ma part je n’ai pas l’impression que ce soit quelque chose de banal, car sinon j’en aurait publié une depuis longtemps ! Et si quelqu’un me dit "je viens de faire publier ma BD" je trouve que cette personne n’est pas banale et a même une sorte de don ! (surtout les dessinateurs)

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  • Aïe ! Un nom écorché.
    C’est Beaumenay-Joannet...

    Répondre à ce message

    • Répondu par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 22 août 2010 à  18:08 :

      Mais oui ! Qu’elle m’excuse, c’est corrigé.

      Répondre à ce message

  • Il y a 20 ans disparaissait Yves Chaland
    25 août 2010 06:35, par Geert

    Pour le lynx à Tifs, il ne faut pas oublier comme troisième participant l’immense Stanislas Barthélémy

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  • Il y a 20 ans disparaissait Yves Chaland
    26 août 2010 11:02, par la plume occulte

    Pour beaucoup,Yves Chaland a été The Brain:la tête pensante de la BD des années 80.Sa bande et lui qui avaient remis au goût du jour une certaine esthétique des années 50 ont été la hype de ces années là.Tout le monde se les arrachaient.

    Sa parole était alors celle de l’évangile,alors comme souvent dans ces cas là...Il a dit de John Buscema qu’il était le Kirby/Foster du pauvre:a t’on dit de lui qu’il était un Franquin/Jacobs de pacotille ?

    Sa façon assez belle,top tendance dans ces années là est aujourd’hui d’une totale ringardise- médiatiquement donc culturellement parlant,sauf sous le couvert de la nostalgie-Pourtant ses qualité et ses défauts sont les mêmes hier et aujourd’hui...On a oublié tout ça,et il ne faut pas exagérer son retentissement mondial.

    Trop souvent,on veut faire passer pour lame de fond une simple mode.Tout ça est un avertissement pour la pseudo nouvelle vague de la BD qui occupe bien trop exagérément de place,et rectifie aussi quelques perspectives.

    Les mouvements trop artificiels finissent dans les limbes de l’oubli,et une certaine "normalité"un équilibre retrouvent leurs justes places.

    c’est vrai ,ils sont où ces chantres de la BD esthétisante des années 80 et autres agitateurs frénétiques, qui ont alors mangé leur pain blanc trop grassement servi aujourd ’hui ? Quand le soutiens du clergé de ceux qui savent est parti ailleurs...

    Bah...Tout ça au fond est anecdotique.Yves Chaland reste un plaisir de l’Œil.

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