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Ils sont partout - Valérie Igounet, Jacky Schwartzmann, Lara & Morgan Navarro - Les Arènes BD

Par Paul CHOPELIN le 19 mars 2022                      Lien  
Comment des entrepreneurs de haine réussissent à endoctriner des jeunes un peu perdus en leur dévoilant des "vérités cachées" ? Les Arènes proposent une efficace BD documentaire, aux accents de thriller, pour décortiquer la mécanique du complotisme dans les milieux d'extrême-droite en France. Un exposé clair et implacable, excellent outil pédagogique, mais qui peine à expliquer les racines profondes de ce nouvel engouement pour les thèses conspirationnistes.

Rose, jeune journaliste dans un magazine de mode parisien, s’inquiète de l’attitude de plus en plus renfermée de son frère Adrien. Celui-ci finit par rompre avec sa famille pour trouver refuge dans des cercles de "pensées dissidentes" sur la médecine, l’écologie et les supposés ressorts occultes de la vie politique. Avec l’aide de ses parents et d’un confrère, vieux briscard du journalisme politique, Rose enquête, en immersion, dans les milieux d’extrême-droite, assiste à des conférences, participe à un stage survivaliste et finit par découvrir un complot néo-nazi visant à assassiner, à l’arbalète, des personnalités d’origine juive.

Ils sont partout - Valérie Igounet, Jacky Schwartzmann, Lara & Morgan Navarro - Les Arènes BD

Si le scénario est un peu cousu de fil blanc, le principal mérite de cet album est d’ordre pédagogique. Hormis le complot néo-nazi qui est imaginaire, tout le reste constitue un assemblage de faits documentés et malheureusement bien réels. L’observateur attentif pourra reconnaître, sous des pseudonymes assez transparents, certains "lanceurs d’alerte" actifs sur les réseaux sociaux ces deux dernières années, relayant les théories les plus folles sur les origines de la COVID et sur le rôle des vaccins. Mais aussi des figures installées depuis plus longtemps dans le paysage politico-médiatique, comme Jean-Marie Le Pen, Dieudonné ou Alain Soral. Des notices biographiques leur sont consacrées en fin d’album.

À travers le cas de Robert Faurisson, les scénaristes Valérie Igounet et Jacky Schwartzmann rappellent très justement que la négation du génocide des Juifs d’Europe pendant la Seconde Guerre mondiale constitue sans doute le récit complotiste le plus structuré et le plus partagé dans le monde par des réseaux de penseurs "dissidents". Ceux-ci alimentent encore aujourd’hui nombre de visions "alternatives" de l’actualité sur fond de croyance au grand complot juif international.

On ne peut d’ailleurs être que frappé par la résurgence actuelle d’une haine antisémite qui ne se dissimule même plus dans l’espace public, à travers caricatures et symboles de connivence. Le mouvement QAnon et sa théorie de l’État profond pédo-sataniste est bien sûr ici mentionné. Plus inquiétant, l’antisémitisme djihadiste trouve des relais au sein de l’antisémitisme nationaliste comme le montre bien le cas du trafiquant d’armes évoqué dans ce récit, inspiré de celui qui a équipé Amedy Coulibaly, le tueur de l’Hyper Cacher de la Porte de Vincennes à Paris.

Outre celui des journalistes d’investigation, l’album souligne le rôle civique des enseignants, qui, à l’instar de Iannis Roder, luttent pied à pied, dans leurs cours, contre les idées complotistes. Sans oublier la mission essentielle des services de police chargés de surveiller les groupuscules d’extrême-droite et d’intervenir avant que ceux-ci ne passent à l’action.

Deux regrets cependant. Les auteurs n’abordent pas les mécanismes profonds de la prolifération actuelle des thèses complotistes. Comme à la fin du XVIIIe siècle et à la fin du XIXe siècle, celles-ci se développent toujours sur fond de profondes restructurations économiques et sociales, sources de paniques collectives (peur du déclassement, trouble identitaire), qui amènent à chercher des boucs-émissaires et des vérités cachées pour échapper à la réalité ou trouver un cadre explicatif rassurant face à l’incertitude. Car le complotisme peut aussi paradoxalement se nourrir d’une recherche de rationalité perdue. Tous ces aspects structurels sont malheureusement à peine esquissés dans une BD qui n’accorde que peu d’importance au milieu social des protagonistes.

Ne sont pas non plus évoqués, ne serait-ce que par de brèves allusions, les manquements des élites politiques et médiatiques dans les démocraties libérales occidentales : bulles sociales, endogamie, manque de transparence, communication politique mal maîtrisée, défaut de culture historique et scientifique, manque d’humilité et d’humanité, sous-investissement dans la culture et l’éducation. Autant de failles qui contribuent à nourrir la méfiance et les ressentiments dont se repaissent les gourous de la complosphère. Or c’est bien là le cœur du problème. Face aux peurs et à la haine, notre responsabilité est collective. Ils sont partout a néanmoins le mérite d’illustrer un parcours et de mettre en garde contre les réseaux de "réinformation" comme source de radicalisation politique. Une démarche hautement salutaire.

Voir en ligne : présentation de l’album sur le site de l’éditeur

(par Paul CHOPELIN)

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Code EAN : 9791037505781

Ils sont partout - Valérie Igounet (scénario et dossier documentaire), Jacky Schwartzmann (scénario), Lara et Morgan Navarro (dessin), Christian Lerolle (couleurs) - Les Arènes BD - 16,5 x 24 cm - 112 pages couleurs - 21 €

✏️ Lara ✏️ Morgan Navarro à partir de 13 ans Documentaire
 
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