Intégrales et beaux livres à placer sous le sapin : Pirates et chevauchées américaines chez Dargaud

Les deux tomes sous glissière

Parmi tous les éditeurs, Dargaud est sans doute l’un de ceux qui multiplient le plus les ouvrages dispensés pour la période des fêtes an variant les plaisirs : tirage de tête et versions plus spéciales d’albums déjà parus, intégrales sans fioritures ou recueils agrémentés d’inédits, fac-similés pour le patrimonial et version spécifique de best-sellers de l’année.

Blake et Mortimer for ever

Sans surprise, le tandem le plus britannique de la BD franco-belge est une fois de plus mis à l’honneur. En effet, les deux héros créés par Edgar P. Jacobs représentent les plus grosses ventes de Dargaud, via sa filiale des Editions Blake & Mortimer. Surtout que 2019 a exceptionnellement vu la sortie de deux albums : le hors-série Le Dernier Pharaon et la seconde partie de La Vallée des Immortels.

La version bibliophile

Les amateurs de la série qui n’auraient pas acheté en 2018 le premier tome du diptyque signé par Yves Sente et les deux dessinateurs hollandais, Berserik & Van Dongen pourront opter pour le coffret reprenant les deux albums sous glissière, agrémenté d’un poster A2 inédit représentant le combat entre le Sky Lantern et l’Aile rouge. Pour notre part, ainsi que nous vous l’expliquions dans notre article présentant la sortie de cet album, nous vous conseillons la version bibliophile de ce T.2 de La Vallée des immortels.

Ce tirage limité doté d’une jaquette se remarque par ses six grandes doubles pages muettes. Cette tradition ancienne des hors-textes aère un scénario par trop dense de cet album, ce qui en améliore nettement le plaisir de lecture. Quant à l’ex-libris joint à celui-ci, il s’agit de la couverture de l’édition réalisée pour les librairies Cultura.

Mais s’il y a un album qui a attiré notre attention, c’est bien la version noire et blanche du Dernier Pharaon. On a beau avoir apprécié le travail narratif de Laurent Durieux qui signait les couleurs de l’album de la collection régulière, le fabuleux travail de François Schuiten prend toute son ampleur dans l’expression du noir et blanc. L’éditeur précise qu’il s’agit de la version initiale des planches de l’auteur, avant les modifications apportées ultérieurement par la mise en couleur, car Laurent Durieux a parfois retravaillé les dessins de Schuiten afin d’apporter plus d’homogénéité à la version finale. Ici, on s’arrête sur chaque case, étudiant les hachures, tentant de comprendre comment le co-auteur des Cités Obscures a composé ses planches pour réaliser cet album.

Derrière cette jaquette tout en symboles : reproduction d’une coupe du Palais de Justice de Bruxelles réalisée par l’architecte belge Joseph Poelaert fait office de couverture. Quant au contenu de l’album lui-même, huit illustrations pleines-pages et presque autant de croquis forment une introduction bienvenue avant d’entrer dans la lecture de ce hors-série. Un ex-libris (couleur) vient compléter ce tirage, en miroir de la couverture. Incontournable pour les amateurs de Schuiten !

Un des superbes hors-textes pleine-page réalisés par François Schuiten, témoignage de sa passion pour le Palais de Justice de Bruxelles

Coffrets et intégrales

La tendance étant aux petits cycles et aux diptyques, Dargaud favorise actuellement le rassemblement de deux tomes dans un fourreau, histoire de proposer aux lecteurs un récit complet dont ils seront certains de bénéficier de la conclusion. Outre le Blake et Mortimer dont nous venons de parler, citons encore le premier cycle de Ira Dei de Vincent Brugeas et Ronan Toulhoat, sans doute la plus intéressante des nouvelles séries historiques proposées par l’éditeur, et Giant, le très beau diptyque de Mickaël. Ils sont respectivement complétés par un ex-libris et d’un très beau poster A2. Et dans le cas de la série de Brugeas & Toulhoat, le premier tome inclut encore le splendide cahier graphique de la première édition : une motivation supplémentaire pour découvrir cette étonnante série !

Dargaud continue de dominer avec ses intégrales, plus ou moins agrémentées d’inédits : Leo et ses Survivants, les deux cycles d’Apocalypse Mania, etc.

Trois volumes ont plus que d’autres attiré notre attention. Tout d’abord l’intégrale de Dixie Road de Labiano & Dufaux qui demeure, malgré sa couverture un peu dépressive, sans doute l’une des plus belles évocations, mâtinée de polar, des États-Unis dans les années 1930.

On apprend par ailleurs qu’après le second cycle de L’Étoile du Désert, Labiano & Desberg préparent une nouvelle trilogie à paraître : Le Lion de Judah.

On apprend ensuite que les six tomes de Gipsy vont enfin disposer de leur intégrale ! L’anticipation pleine d’action de Thierry Smolderen avait connu dès 1993 un Enrico Marini alors en pleine mutation : après Les Dossiers d’Olivier Varèse (du même scénariste) mais avant (et pendant) Tatania K, L’Étoileait du Désert, Rapaces jusqu’au Scorpion, le dessinateur a progressivement adopté la couleur directe pour toujours plus de baston et de fusillades. Et ces 330 pages de Gipsy sont à moins de 30 euros !

Pour cinq euros de plus, six autres tomes d’une production plus récente sont également réunis dans une intégrale pour la première fois. Et c’est une fois de plus Jean Dufaux qui signe ce Barracuda, certes un histoire de pirates, mais étonnament psychologique. Nous vous renvoyons vers nos précédents articles à propos de cette série pour vous convaincre de sa qualité qui révéla le talent de Jérémy. Nous aurions préféré une page intermédiaire entre la fin d’un tome et la couverture du suivant, quitte à ôter ces dernières. On apprécie cependant le superbe cahier graphique final qui prolonge la magie du récit.

Un des croquis du cahier graphique de "Barracuda"

Pirates de légende

Un autre des plus illustres flibustiers du neuvième art est également mis à l’honneur : Long John Silver. Après avoir déjà bénéficié d’une superbe intégrale en 2015 agrémentée de 46 pages de compléments graphiques et de rédactionnel, la série signée Dorison & Lauffray se redécoupe en deux recueils de deux volumes. Agrémenté d’une jaquette, chaque ouvrage propose une postface intitulée Histoire d’une histoire où les deux auteurs expliquent leur processus de création et le développement de leur série dans une interview dirigée par leur éditeur François Le Bescond illustrée de photos d’archive et de reproductions de superbes peintures signées Mathieu Lauffray.

On apprécie celle qui constituent le making of de la réalisation d’une illustration : passionnant ! Ceux qui ne connaîtraient pas encore la série ou qui veulent la faire connaître ne devraient pas passer à côté de ces deux livres-objets. Quand à ceux qui détiennent déjà l’intégrale de 2015, une bonne partie des illustrations présentées dans ces deux recueils s’y retrouvaient déjà.

Intégrale Long John Silver

À l’instar d’Astérix et de Tanguy & Laverdure, le plus vieux pirate de Pilote fête également ses soixante ans cette année : nous parlons de Barbe-Rouge bien entendu ! Le dernier volume de son intégrale avait déjà été publié cet été, mais l’éditeur a tenu à marquer le coup en publiant, comme pour Les Chevaliers du Ciel, un grand album au dos toilé rrassemblant les pages en fac simile du premier album, Le Démon des Caraïbes.

L’album est ici présenté dans sa version complète, à savoir soixante-deux planches. En effet, on se souvient que les premières histoires réalistes de Pilote comportaient encore l’ancienne pagination. Dargaud les avait raccourcies pour leur publication en album. Ce volume de grand format rassemble donc la totalité des planches telles qu’elles sont parues dans Pilote, avec leurs titrailles et leurs couleurs originales, certes flashy, mais dans leur jus : une vraie madeleine de Proust.

De plus, l’éditeur a rassemblé tous les articles publiés dans le magazine simultanément à cette première aventure de Barbe-Rouge sur le thème des pirates, tout en respectant le placement des différentes pages, telles qu’elles avaient été pensées par Charlier & Hubinon à l’époque. Un beau voyage dans le passé pour ceux qui ont vibré à ces aventures en les découvrant dans le magazine qui allait révolutionner la bande dessinée française. Un focus bienvenu alors que le célèbre pirate signe son retour en librairie pour 2020 !

Dernier coup de Stetson à Blueberry

Autre héros de Pilote mis à l’honneur cette fin d’année, le dernier recueil de Blueberry qui vient conclure une intégrale attendue depuis fort longtemps. Un dernier tome qui surprend le lecteur car Dargaud a tenu à incorporer le hors-série Apaches aux deux derniers tomes (OK Corral et Dust). En effet, ce dernier album n’est que la compilation des souvenirs (et donc des planches) évoqués par Bluberry dans le dernier cycle.

« Que la compilation » ? Non, on peut vraiment jouer au jeu des sept différences en comparant par exemple les planches identiques contenues à deux reprises dans le même recueil : les hors-textes qui disparaissent, des cases agrandies ou déplacées, certaines petites répliques ou quelques onomatopées ajoutées ou rejetées, des cases retravaillées, choses qui permettent de comprendre comment Jean Giraud a complètement repensé l’ambiance de ce récit au long cours, après quelques années de recul, ainsi qu’il l’explique dans l’interview réalisée à l’époque et reprise dans ce même recueil.

Cette relecture d’Apaches donne un magnifique point d’entrée pour relire le point d’orgue de la partie de la série scénarisée par Giraud. En effet, longtemps critiqué au début du cycle OK Corral, l’auteur a su placer tous les éléments nécessaires pour que ces cinq livres entrent réellement dans la légende de l’Ouest : dans la relecture des faits proprement dits, et dans l’un des plus grands moments de western du neuvième art. Plusieurs articles dans l’introduction soutiennent cette analyse, en comparant ce que Charlier et Giraud ont apporté par rapport au genre au général et aux films mythiques du septième art.

Des dessins inédits de Jean Giraud pour "Blueberry"

Le dossier reprend également quelques planches plus moebiusiennes réalisées dans Pilote ou issues de ses carnets. Elles témoignent du lien privilégié que l’auteur entretenait avec sa création. Il peut prêter à sourire, mais il éclaire le travail que le dessinateur a réalisé pendant près de cinquante ans.

Le dossier revient également avec un dense article sur le film L’Expérience interdite sorti en 2004. Si l’on apprécie les anecdotes des films avortés qui ont dopé l’imaginaire de l’auteur, on regrette l’absence de quelques photogrammes du long métrage de Jan Kounen qui éclairait d’une lumière particulière le destin de Blueberry.

De plus, le dossier passe sous silence le projet de Giraud de réaliser une série avec son cow-boy vieillissant, intitulée Blueberry 1900, avec François Boucq au dessin. Un projet qui aurait dit-on nourri le film de Kounen. On aurait aussi pu profiter de l’un ou l’autre dessin tirés de la série scénarisée par Jean-Michel Charlier pour Super-As, Los Gringos, qui lui aussi présentait un Blueberry plus âgé. Deux occasions qui auraient permis de mettre la série en perspective après ce dernier recueil. On se console avec les divers dessins que Giraud avait réalisés pour l’intégrale publiée par le quotidien belge Le Soir entre 2009 et 2010. Sans doute, la dernière grande série de dessins réalisés par l’auteur où l’on trouve ce superbe portrait pleine page de la jeune Chihuahua. Good bye cow-boy !

Un des dessins pleine-page réalisés par Giraud pour l’intégrale Le Soir et reproduit dans ce dernier recueil

Terminons ce tour d’horizon avec une autre série-phare de Dargaud : Le Chat du Rabbin. Comme Le Lombard avec Thorgal, Dargaud a décidé d’éditer lui-même certains tirages de tête, dont ces albums signés Joann Sfar. On y retrouve, comme dans les éditions précédentes, la totalité de l’album en noir et blanc, ainsi que quelques planches esquissées, et des dessins aquarellés inédits. Une très belle édition collector en grand format signée par l’auteur.

Dargaud n’a donc une fois de plus pas lésiné à nous fournir sa liste de cadeaux pour Noël dans un esprit de fête qui devrait se prolonger au début de l’année 2020, car l’éditeur a choisi de soigner particulièrement son catalogue jeunesse, avec quelques surprises en perspective, dont un Manu Larcenet déchaîné !