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Intégrales et beaux livres sous le sapin (3/3) : Dupuis et le Lombard sortent les gros calibres

Par Charles-Louis Detournay le 23 décembre 2015                      Lien  
Terminons ce tour d'horizon non-exhaustif des belles sorties de cette fin d'année par les deux autres labels de Média-Participations, avant de conclure avec le jeune label Rue de Sèvres.

Intégrales et beaux livres sous le sapin (3/3) : Dupuis et le Lombard sortent les gros calibresÀ tout seigneur tout honneur, débutons cette sélection avec le tirage en noir et blanc que le Lombard a réalisé du huitième tome de Thorgal.

Alinoë avait marqué son époque par le fait que Thorgal, le personnage central de la série, n’y apparaîssait presque pas. Les qualités de ce huitième de Thorgal paraissent évidentes avec le recul : le suspense qui monte crescendo, jusqu’à rendre la lecture oppressante ; l’acuité de Van Hamme dans la description des relations entre Jolan et Aaricia, ainsi que les élans liés à la jeunesse de l’enfant. Rosinki atteint alors un sommet dans son graphisme : la nature, omniprésente dans ce récit atteint un niveau de réalisme rarement atteint, ce qui rajoute d’ailleurs au climat étrange qui se dégage de l’île. La mise en page est également particulièrement soignée : pas un temps mort, pas une case qui ne comporte une information, pas un visage qui ne traduise un sentiment fort : l’amour, la peur, la colère, le chagrin, le remords, … le tout confronté au visage impassible d’Alinoë.

En relisant cette version en grand format, on comprend que le Lombard ait décidé d’en tirer une version anniversaire limitée en noir et blanc, une première pour ce récit dans ce grand format [1]. Malgré un prix quelque peu élitiste, difficile de ne pas succomber au vert omniprésent qui rappelle les cheveux d’Alinoë. Le format et le noir et blanc happent le lecteur dans la force du graphisme de Rosinski. Son jeu d’aplats noirs, aussi mesuré qu’efficace ; le détail des meubles, les mouvements des cheveux : chaque trait semble instinctivement trouver sa place à sa planche, comme si l’ensemble n’avait juste été que crayonné, tout en maintenant la densité de l’encrage : exceptionnel !

L’édition comprend également un ex-libris numéroté et signé par Rosinki, qui est collé face à la page de titre. Si on fait exception d’un essai de couverture et de quelques croquis couleurs, le dossier graphique ne tient malheureusement pas le niveau : les études d’Alinoë en très grand format lassent rapidement, en revanche les recherches de paysages et les compositions de personnages sont fascinantes. L’ensemble est donc à la hauteur du récit mythique. Pour les 350 inconditionnels de Thorgal et ils devront se dépêcher car beaucoup de librairies sont déjà en rupture de stock.

Simon du Fleuve : les forces de la nature

Dupuis a longtemps dominé le marché des copieux dossiers qui permettaient de mieux comprendre les coulisses et les influences d’une série, Le Lombard regagne du terrain, notamment avec les intégrales de Simon du Fleuve dont les dossiers étayés sont signés par l’éminent Patrick Gaumer. Le premier tome est d’ailleurs sélectionné dans la catégorie Patrimoine du Festival d’Angoulême, une belle mise en avant alors que le deuxième recueil vient de paraître (l’intégrale comprendra trois volumes).

Pour mieux contextualiser les albums de Maïlis, Les Pélerins et Cité N.W n°3, Le Lombard a décidé d’y accorder un dossier de 44 pages, ce qui n’est pas trop pour évoquer la personnalité et la carrière d’un auteur injustement méconnu du grand public : Claude Auclair. Nous vous avons déjà présenté en détail l’auteur et sa série la plus personnelle. Ce nouveau dossier contextualise les influences d’écritures d’Auclair, dont la révolution estudiantine de Mai 68, mais Gaumer revient également sur les autres travaux de l’auteur dont Jason Muller avec Giraud ou les pages d’actualité avec Lob, mais également le passage de Pilote au Journal Tintin, avant de revenir à Pilote. Le dossier aborde également en détail la rencontre avec le romancier Pierre Pelot, et la collaboration qui s’ensuivit, ainsi que celle avec Acar pour Record.

Un récit cosigné avec Gir

« Ce n’est pas tellement un héros expliquait Auclair pour évoquer son personnage de Simon du Fleuve, Si j’avais pu éviter d’avoir un héros, je l’aurais fait. Simon, c’est plus un symbole, en fait.[…] J’y ai projeté durant des années des idées, des fantasmes. » Si les propos sont effectivement en lien avec l’époque (la crainte de la guerre nucléaire, le retour à la nature, les problèmes sociaux), le lecteur est aussi happé par la beauté des visuels issus du dossier, comme ces illustrations d’un étrange Paris, présentées en pleine page. Le soin apporté au graphisme va de pair avec les compositions et les thématiques : on ne peut être que touché par cette passion du dessin.

L’intérêt du dossier vient également qu’il n’aborde pas uniquement Simon du fleuve, mais qu’il dresse un portrait plus global de la carrière d’Auclair, mettant en lumière des albums importants comme La Saga du grizzli, qui risquent de tomber dans l’oubli s’ils ne sont pas évoqués à cette occasion. Que cela soit par les témoignages de grands auteurs, des documents et planches inédits, des illustrations rares utilisées dans des romans, des extraits des études ou des carnets de notes de l’auteur, cette nouvelle intégrale nous permet de nous glisser dans les pas d’un auteur passionné, et dont la disparition avait touché toute la profession.

Une illustration de roman

Les autres intégrales patrimoniales

Dupuis continue son intégrale consacrée aux Petits Hommes avec déjà le septième recueil, allant des 6 clones au Voyage entre deux mondes. Si le dossier de Vivian Lecuivre revient sur la création de ces cinq aventures, il détaille surtout l’ambiance de l’époque qui était à couteaux tirés chez Dupuis. Après l’avoir pris sous son aile, Franquin ne pouvait plus voir Seron en peinture. Alors que le jeune homme voulait rendre hommage à son aîné, il versa dans des plagiats volontaires lorsque Franquin mit l’affaire sur la place publique ! Le dossier resitue la fameuse affaire du porte-avions, ce qui permet au-delà de l’affaire du plagiat, de mieux comprendre la personnalité de Seron, finalement très mal connue de ses collègues de Dupuis s’il faut en croire cette introduction.

Heureusement, les trente-six pages du dossier ne tournent pas uniquement autour de cette tension, on revient également sur les courriers des lecteurs qui se sont émus à la conclusion du Dernier des Petits Hommes, craignant de voir s’interrompre leur série-fétiche. Seron était un provocateur, mais également un créateur qui avait de la ressource ! Voilà ce qui transparaît de ce dossier richement illustré de pages et de couvertures du Journal du Spirou : on ne lasse pas de redécouvrir Les Petits Hommes !

L’ambiance était heureusement aux antipodes entre Stephen Desberg et Stéphan Colman, les auteurs de Billy the Cat, dont Dupuis vient de sortir le deuxième recueil de intégrale. Didier Pasamonik, l’auteur de ce dossier, revient sur la création de ce jeune chat, une parabole disneyenne pour aborder des sujets qui tenaient les auteurs à cœur, comme la famille, l’adolescence et l’indépendance. Le dossier revient également sur le passage au dessin animé, qui a modifié la série de bande dessinée, tant au niveau de son propos que dans son graphisme.

Et de graphisme, il est question dans ce deuxième dossier, car Colman a ouvert ses cartons à dessin pour exhumer de véritables trésors : des études de chats et de personnages, des croquis de planches, trois pages d’une histoire inédite, des couvertures et dessins tirés du Journal de Spirou, ainsi que divers dessins et ex-libris dont l’étude d’un stand Dupuis à l’effigie de la série ! Vingt ans plus tard, Billy The Cat n’a rien perdu de sa pertinence et de sa fraîcheur : une belle redécouverte pour toute la famille.

Desberg et Colman, à l’inauguration de la fresque dédiée à "Billy the Cat" (Bruxelles, juillet 2000)

Le merveilleux Noël de Dupuis

Les lecteurs en recherche de dépaysement voyageront aux côtés d’Emmanuel Guibert via son Artbook Italia. L’auteur de La Guerre d’Alan et le dessinateur entre autres du Photographe a beaucoup fréquenté l’Italie, afin de rendre visite à sa compagne qui y résidait. Cet ouvrage présente pour la première fois près de 250 dessins qu’il a réalisés pendant ces voyages et ces séjours, issus de divers carnets et réalisés au feutre, au crayon, à l’encre, au pinceau. Italia donne donc l’occasion d’admirer le talent de l’auteur, mais surtout de se retrouver au cœur des rues chaudes et animées, de prendre le temps d’admirer une église, ou de mieux comprendre les habitants des campagne avec un dessin évocateur. Un joli voyage entièrement muet, mais qui résonne étrangement du bruit des cigales après quelques minutes de lecture. En conclusion, on peut retrouver les indications des lieux où Guibert nous a fait voyager. L’ouvrage sous jaquette bénéficie d’un tirage limité de trois mille exemplaires, signés par l’auteur.

Une illustration d’Emmanuel Guibert

Pour une ambiance polar au coin du feu, l’édition intégrale de La Princesse du Sang. L’intégrale parue il y a quelques semaines regroupe les dessins des tomes et coffret précédents, ainsi que des notes issues des archives de Manchette lui-même. Son fils, Doug Headline y explique qu’il a redécoupé et réécrit cette histoire, « En ajoutant textes et images nouveaux pour cette édition. Nous avons eu le sentiment qu’on nous offrait une seconde chance, pour améliorer encore notre première version. […] Et puis, qui sait si nous ne guiderons pas Max [Cabanes] et moi, notre belle Ivy vers de nouvelles aventures dans les pages d’un prochain album ? Il n’est pas si facile de se débarrasser d’elle. » Outre le dossier final, cette version intégrale est donc complétée de 31 planches, pour une histoire qui n’a cessé de muter au gré des réécritures… Avant de finalement devenir un film ?

N’oublions pas la petite intégrale proche d’un format de poche des aventures de Salvatore, le petit chien garagiste en salopette, cigarette au bec. Nicolas de Crecy lève rapidement un coin du voile à la fin de ce regroupement des quatre tomes. De quoi partir à l’aventure dans un univers frais, poétique et décalé !

Dupuis : les classiques

Et puisqu’on parle d’auteurs populaires (dans le bon sens du terme), notons cette édition intégrale du Vol du Corbeau, présentée comme définitive ! Le second diptyque de Jean-Pierre Gibrat chez Aire Libre avait effectivement déjà été réuni sous différentes intégrales, notamment chez Canal BD. Dupuis a ici demandé à l’auteur de réaliser un nouveau dessin de couverture. À l’intérieur du livre, outre le magnifique récit de Jeanne, la jeune résistante, on retrouve les dessins de couverture des deux intégrales de Dupuis, six pages d’études et de recherches, ainsi que huit pages présentant de superbes dessins couleurs mettant l’héroïne en scène. Comme pour les autres albums de la collection Aire Libre, cette édition complétée d’un superbe cahier bénéficie d’un tirage limité de 777 exemplaires, comprenant une jaquette et un frontispice inédit imprimé sur papier d’art et signé par Gibrat.

Spirou n’est pas oublié par Dupuis, avec une nouvelle version augmentée d’un des albums plébiscités lors de son 75e anniversaire : Spirou sous le manteau. Alec Severin avait profité de son style référentiel, nostalgique, pour proposer une révérence permanente au Spirou de Joseph Gillain et livrer un délicieux pastiche, auréolé d’un merveilleux savoir-faire, en particulier dans les illustrations à la gouache.

Les trente-deux nouvelles pages sont dans la même veine (des déclinaisons d’illustrations pleine page dans la thématique de l’Occupation), mais comprennent aussi des illustrations noires et blanches ou en bichromie, ainsi que des bandes dessinées : Spirou bien entendu, mais également un hommage à Valhardi et Red Ryder. Cet ouvrage complété prolonge la douce nostalgie d’un Journal de Spirou, qui a entretemps bien évolué ! On s’étonne juste de ne pas retrouver le court récit parus dans le Spirou Spécial Vacances d’Antan (#4029-4030) ; un autre ouvrage serait-il en préparation ?

Du Spirou de Jijé à celui de Franquin, il n’y a qu’un pas, que nous sautons allégrement en vous rappelant la récente sortie des Couvertures de Moustique, un autre bel album à placer sous le sapin. Franquin n’est pas en reste, car une intégrale limitée à trois milles exemplaires réunis la totalité de Gaston ! Cet épais volume au dos toilé vert regroupe donc les dix-neuf volumes de la série actuelle des Gaston, dans l’ordre de leur présente parution. Pas d’inédits, mais une anthologie historique. Notons encore la réédition chez Dupuis de Franquin, Chronologie d’une œuvre, dans sa version complétée pour un total de 384 pages et parue chez Marsu Productions (plus de jaquette).

Une page issue de "Franquin, Chronologie d’une oeuvre"

Enfin, si vous n’avez pas encore trouvé votre bonheur parmi les précédents ouvrages, nous vous proposons de glisser sous le sapin le second tome de Frères de Terroirs, réalisés par Jacques Ferrandez & Yves Camdeborde. Dans le même esprit que le premier tome, les deux compères croqueurs alternent recettes, découvertes et reportages en bande dessinée, afin de mieux apprécier les produits du terroir. De quoi faire saliver vos convives avant le repas de fêtes !

(par Charles-Louis Detournay)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Lire nos précédents articles : Intégrales et beaux livres sous le sapin (1/3) et Intégrales et beaux livres sous le sapin (2/3) : Dargaud en pôle-position

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[1L’édition Pegasus était en noir et blanche, mais dans un format légèrement plus restreint.

Dupuis Le Lombard ✏️ Jean-Pierre Gibrat
 
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