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Intégrales et beaux livres sous le sapin : Gotlib, "Bestauf" d’une vie en dessins

Par Charles-Louis Detournay le 21 décembre 2021                      Lien  
Voici déjà cinq ans que le génialissime Gotlib nous a quittés, et pas une année sans qu'un nouvel ouvrage vienne nous rappeler comment il a modifié en profondeur les codes humoristiques de la bande dessinée. 2021 fait coup double, avec d'un côté un imposant "Bestauf" de sa fameuse "Rubrique-à-brac" (Dargaud), et de l'autre une somptueuse "Vie en dessins" (Champaka Brussels) consacrant la référence qu'il demeure aux yeux des lecteurs.

On ne présente plus Marcel Gottlieb, dit Gotlib, qui brisa les codes de l’humour pour mieux les réinventer dans Pif, dans Pilote, dans L’Écho des Savanes et dans Fluide Glacial, de sorte qu’ils restent encore aujourd’hui d’actualité. Ce génie sut à la fois jouer avec les thématiques, le graphisme, la mise en page et surtout le lettrage, pour imposer une manière révolutionnaire !

Pas étonnant qu’autant d’ouvrages continuent à le rappeler à notre mémoire. Et 2021 ne fait pas exception à la règle, car deux imposantes anthologies méritent pleinement notre attention.

Intégrales et beaux livres sous le sapin : Gotlib, "Bestauf" d'une vie en dessins

Paru chez Dargaud, le premier ouvrage se définit par son titre à rallonge : Le Meilleur Bestauf de la Rubrique-à-brac, même si l’éditeur assume cet intitulé présomptueux en postface de l’ouvrage : « Cette édition reprend une sélection parfaitement subjective et arbitraire (et assumée) des meilleurs gags de "Rubrique-à-brac". »

Le ton est donné : l’épais volume de plus de 250 pages ne se prend pas au sérieux... et c’est tant mieux ! L’intégrale parue il y a près de vingt ans reprenait déjà la totalité des planches parues dans cette fameuse rubrique née dans Pilote. Alors pourquoi éditer dans cette sélection la moitié de celles-ci ? Tout simplement pour faire vivre Gotlib dans la mémoire des lecteurs, surtout de ceux qui ne disposent pas encore de l’intégrale ou de l’ensemble des tomes. Il y a encore de la marge et un public à "convertir", de quoi continuer à diffuser cette bonne parole.

Car il suffit d’ouvrir le recueil pour se rendre à nouveau compte du génie de Gotlib. Surtout que cette sélection, classée globalement dans l’ordre chronologique, démontre l’évolution de l’auteur. La Rubrique-à-brac reste effectivement une institution, car elle marque le passage de dessinateur au statut d’auteur à part entière. Le moment où René Goscinny abandonne les scénarios des Dingodossiers pour laisser Gotlib en roue libre, ce qui lui permet de donner cours à sa fantaisie iconoclaste, instaurer progressivement un humour adulte, alors quasiment inconnu chez nous, avant de le faire fructifier dans L’Écho des Savanes et bien entendu Fluide Glacial.

Rajoutons que ce Meilleur Bestauf ne se limite pas à cette sélection assumée, il dispose également de grandes pages de respiration, où l’on retrouve des citations de l’auteur, extraites d’Entretiens avec Gotlib par Numa Sadoul et des Cahiers de la BD n°80, ce qui confère un rythme bienvenu à l’ouvrage qui reste imposant, tout en éclairant certaines planches mythiques par ces réflexions.

En définitive, même s’il ne s’agit que d’un "Bestauf", ce premier ouvrage mérite plus que le détour, car la Rubrique-à-brac représente le plus important tournant de la prolifique carrière de Gotlib : la chrysalide qui permit à la chenille de se transformer en... coccinelle !

Une Vie en dessins

Bien sûr, les ultra-fans de Gotlib, ceux-là mêmes qui possèdent déjà de toutes les albums de la Rubrique-à-brac ET l’intégrale, bref ces mordus de Marcel, préféreront se ruer sur La Vie en dessins que Champaka Brussels vient de publier en hommage au chantre de l’humour adulte.

"Se ruer"... que dis-je ? Écartant les accusations du Commissaire Bougret, ils arracheront leurs vêtements en courant vers leur libraire favori qui exhibera ce précieux sésame ! Ils se frapperont leurs torses virils tels des Tarzan sautant du pommier d’Isaac Newton ! Ils se tireront les cheveux, tout en se tordant en même temps les mains de plaisir contenu, ouvrant simultanément leur portefeuille et leur sac réutilisable. Bref, tels des Shivas démultipliés par l’abécédaire graphique imaginé par Gotlib, ils feront donc des pieds et des mains pour se procurer cette Vie en dessins... Et ils auront raison !

Raison, car une fois de plus, l’équipe d’Éric Verhoest a magnifiquement fait les choses. Sans avoir besoin d’ouvrir l’ouvrage, il suffit d’en retirer la jaquette pour en être convaincu : deux magnifiques agrandissements en ornent les premiers et quatrième plats, donnant la dimension des recherches d’originaux nécessaires à cette Vie en dessins.

Ce qui se cache sous la jaquette

En effet, pas moins de deux cents cinquante planches et illustrations originales ont été utilisées pour composer les 380 pages de cette incontournable monographie. À la différence de précédents ouvrages parus au sein de la même collection, l’éditeur a cette fois choisi de ne pas placer le rédactionnel uniquement au début de l’ouvrage pour laisser la place à ces fac-similés par la suite, il le dissémine en huit chapitres biographiques complétés de photographies d’époque. À la plume, on retrouve Jean-Louis Gauthey, ancien libraire et créateur des éditions Cornélius, mais surtout ami de la famille Gotlib. C’est donc avec un œil d’expert en bande dessinée, renforcé par un véritable lien avec l’auteur, que le rédacteur marque les grandes étapes de sa vie consacrée au dessin.

Nous parlons bien ici de sa carrière graphique, car si Gotlib reste au Panthéon de la BD, il n’a finalement dessiné que pendant une petite vingtaine d’années, avant de « remise[r] sa table à dessin [...] dans la cabane à outils de son jardin », comme l’explique si justement Jean-Louis Gauthey.

Après quelques dessins de jeunesse, l’ouvrage commence donc avec des fac-similés de planches réalisées en 1962, pour suivre la carrière pléthorique de ce forçat de travail : Nanar et Jujube, Les Dingodossiers, La Rubrique-à-brac, Trucs-en-vrac, Gai-Luron, Pervers Pépère, Superdupont, Hamster Jovial et tous les autres, jusqu’en 1985, lorsqu’il pose définitivement le crayon. Les extraits et agrandissements se suivent sans se ressembler, faisant profiter de l’évolution de son trait, de la précision de son graphisme, de son lettrage, de son dynamisme, de ses compositions, de ses titrailles et de tout l’arsenal qu’il a dégainé pour mieux imposer son humour au nord et au sud de la frontière franco-belge.

Certaines séquences mythiques sont bien présentes, comme ce dialogue entre Gai-Luron et son auteur, les premières planches de La Rubrique-à-brac, la parodie de Lone Sloane, le Kung fu glacial de Superdupont et des extraits du tràs sergioléonesque Spaghetti Western. Ou encore cette autre discussion entre l’adulte d’Au P’tit Bois - P’tit Bois charmant et l’enfant qu’il était, une leçon de recul et d’autodérision pour tous ses lecteurs. On compte également quelques documents inédits en album, comme une histoire parue dans l’éphémère Pilote Super Pocket. Sans oublier l’emblématique God’s club dont les agrandissements permettent de se rendre compte du talent de Gotlib, comme si l’on avait la planche devant les yeux.

En définitive, que l’on soit intéressé ou passionné par Gotlib, qu’importe le flacon que vous choisirez, vous serez certain de succomber à l’ivresse humoristique du talentueux auteur. Plus qu’assez pour mettre de la couleur dans vos fêtes de fin d’année, même si la plupart de ces documents sont en noir et blanc !

(par Charles-Louis Detournay)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9782205083965

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