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"Ira Dei" de Brugeas et Toulhoat : une conclusion et une exposition

Par Charles-Louis Detournay le 20 février 2021                      Lien  
Fin de cycle, et normalement fin de série, pour l'épopée moyenâgeuse de Dargaud initiée par les auteurs du "Roy des Ribauds" et de "Chaos Team". Un final qui se prolonge dans une exposition dévoilant de saisissantes planches très graphiques.

Le lancement d’Ira Dei avait été l’un des événements marquants de 2018 pour Dargaud. L’éditeur avait sorti les deux tomes du premier diptyque de la série de ces jeunes auteurs en moins de neuf mois pour mieux installer cette épopée moyenâgeuse dans l’esprit des lecteurs.

Avec le tome 4 qui vient de paraître, le scénariste Vincent Brugeas et le dessinateur Ronan Toulhoat achèvent le second diptyque qui se déroule en 1041, et cette fois en terre "italienne". En effet, après la Sicile, conquête du premier cycle, c’est le sud de l’Italie qui doit subir cette fois le déferlement normand. Leurs troupes, grossies par l’arrivée de nouveaux mercenaires attirés par l’écho des précédents exploits, écrasent sans aucune pitié l’armée byzantine. Face à une telle puissance, le Basileus doit prendre des mesures radicales et fait sortir Maniakès de ses geôles pour le placer à la tête de son armée. Mû par la haine, celui-ci compte bien se venger.

Si la démonstration de force des Normands ne lui plait guère, les échecs byzantins sont, au contraire, vus d’un très bon œil par l’Église. Avec subtilité, le légat du pape s’emploie à ce que cette armée ne devienne pas une nouvelle menace pour la foi chrétienne. Normands et Byzantins sont sur le point de s’affronter à nouveau, entre manigances et tromperies réciproques.

"Ira Dei" de Brugeas et Toulhoat : une conclusion et une exposition

Un second cycle plus axé sur les personnages

Nous avions expliqué les difficultés rencontrées par les auteurs au cours des deux premiers volumes en raison d’une densité de narration quelque peu encombrante. Les auteurs ont retenu la leçon pour le second cycle : non seulement ils ont allégé l’intrigue afin de ménager de belles images, mais leur stratégie de narration a aussi changé.

Vincent Brugeas et Ronan Toulhoat (de g. à d.)
Photo : Charles-Louis Detournay.

« Je cherche à progressivement me détacher de l’Histoire, nous confirme le scénariste Vincent Brugeas, Pour que les faits historiques ne soient plus le moteur principal du récit, mais que les personnages deviennent le vecteur majeur. Avec Ronan, maintenant que nous connaissons bien la période, nous voulons aller dans cette direction. Le premier cycle s’appuyait sur une base historique très imposante, ce qui le rendait passionnant, mais aussi très compliqué à réaliser pour placer toutes les informations nécessaires. Le second cycle est plus léger car il se centre sur les personnages. Nous allons d’ailleurs continuer dans cette veine, avec des éléments historiques mieux connus des lecteurs. »

Cette orientation confère non seulement plus de lisibilité au diptyque, mais il laisse aussi la possibilité aux auteurs d’oser plus d’expérimentations dans le découpage qui se concrétise dès les premières pages du tome 3.

« Nous avons effectivement bénéficié de davantage de place dans ce second cycle, nous confie le scénariste. Le vrai défi du premier cycle était de placer toutes les informations sans donner l’impression qu’on passait notre temps en explications. Chaque page, chaque case était comptée. Dans le second cycle, j’ai eu l’occasion de dire à Ronan : "On a deux pages pour une baston.", on a alors pu plus s’amuser comme on le désirait. »

« J’ai d’ailleurs maintenant tendance à écrire le contenu d’un 46 pages pour un 54, continue le scénariste. Car je sais qu’en découpant, j’aurais des idées complémentaires pour épaissir les personnages. Un peu comme nous l’avions réalisé dans "Chaos Team", et "Le Roy des Ribauds" en prenant le temps et en profitant des silences. »

Femmes au Moyen-Âge

Ce second cycle esquisse en particulier des portraits de femmes, souvent oubliées dans les écrits de l’époque, alors qu’elles exerçaient une véritable influence.

Les femmes de la série ne sont pas de simples faire-valoir...

Vincent Brugeas : « Nous avons adoré travailler autour des deux femmes de la série, Marie et Eudoxie : une femme qui se sent libre libère une autre. Mais l’on se vite rend compte que cette première n’est finalement pas aussi libre et forte qu’elle veut le paraître. Cette dynamique nous a beaucoup plu et nous l’avons donc mise en avant dans ce second cycle. »

Et de continuer : « Dans des livres comme ceux de l’historien Georges Duby, comme "La Dame, le prêtre et le chevalier", je me suis rendu compte que l’époque était particulièrement dure pour les femmes. Nous avons cherché à tordre le coup à quelques idées préconçues, à rebours de l’Histoire que le public pense connaître. On va finir par me coller une étiquette de scénariste attitré à cette période, car Nottingham qui vient de paraître se passe deux ans après Le Roy des Ribauds dont nous préparons en ce moment la suite avec les tomes 4 et 5. Même si j’adore la période, je précise que c’est ici seulement l’effet d’un hasard du calendrier, car je ne travaille pas que le Moyen-Âge, comme on a pu le montrer avec La Cagoule, même si cela a été compliqué d’attendre trois ans avant d’obtenir le retour des lecteurs. »

Tout en nuances

Une fois de plus, le dessin de Ronan Toulhoat fait merveille : capable de brosser de furieuses batailles, il parvient néanmoins à exprimer une palette de sentiments d’une grande finesse. Certaines planches sont tout simplement éblouissantes. Avec une hardiesse qui confine parfois au culot, Toulhoat ose tout : il passe d’une double page habilement anglée, à une tricherie imperceptible sur la physionomie d’un personnage dans un plan rapproché pour en accentuer la puissance, à un dessin surexposé sous l’éclat du soleil, à des lames qui s’entrechoquent pour séparer les cases, et encore bien d’autres expérimentations. Certes, certaines sont parfois un peu trop tangentes, mais la grande majorité sont pleinement réussies. Une bonne claque au lecteur de la bande dessinée classique franco-belge !

Aux lecteurs qui auraient l’occasion de s’y rendre avant la fin du mois de février, nous ne pouvons que conseiller d’aller visiter l’exposition qui lui est consacrée par la galerie Huberty & Breyne à Bruxelles, que cela soit pour les couvertures couleurs, les planches ou les recherches de personnages. Une force brute s’en dégage, comme on en ressent rarement.

Une simple étude des Normands

Après Ira Dei

On est étonné par le rythme intense de la production assurée par Ronan Toulhoat entre les tomes 3 et 4 de la série en seulement un an. Vincent Brugeas nous en explique la raison : « Dargaud avait la volonté de décaler un petit peu ce dernier tome, car notre prochain sera un gros one-shot de deux cents pages traitant des pirates et intitulé "La République du Crâne". Ronan prend naturellement beaucoup plus de temps pour réaliser cet ouvrage et l’éditeur a donc choisi d’espacer la sortie de ce quatrième opus. »

« Le tome 4 d’Ira Dei termine la série, conclut Vincent Brugeas, Car nous voulions terminer sur une note positive et une fin valable. D’autant que nous avons tous les deux succombé à cet appel de la piraterie et nous voulions nous y engouffrer, toutes voiles dehors. Cela nous permet de revenir à un format un peu plus petit qu’"Ira Dei", dans la lignée du "Roy des Ribauds" que les lecteurs connaissent bien. Dargaud nous laisse les rênes libres pour ce format, que cela soit pour notre récit de pirates, ainsi que pour la prochaine série qui suivra et qui nous ramènera au... Moyen-Âge ! »

(par Charles-Louis Detournay)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9782505075615

Exposition Ronan Toulhoat - "Ira Dei" à la galerie Huberty & Breyne, jusqu’au 27 février, à la place du Châtelain, 33 à 1050 Ixelles, admirer les oeuvres sur le site internet de la galerie.

Lire également :
- "Ira Dei" : Dargaud mise sur une nouvelle génération d’auteurs
- Nottingham T. 1 : La Rançon du roi - Par Benoît Dellac, Vincent Brugeas & Emmanuel Herzet - Le Lombard
- "La Cagoule", histoire d’un fascisme à la française

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Dargaud ✍ Vincent Brugeas ✏️ Ronan Toulhoat
 
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