Resituons l’action : mars 1941, Ghetto de Varsovie. Plus de 400 000 personnes s’entassent dans 300 hectares au cœur de la capitale polonaise, sans hygiène, sans nourriture, sans espoir. Quelques agents des services sociaux peuvent y pénétrer et apporter un peu de réconfort. Un pansement sur une jambe de bois...
Irena Sendlerowa est de ceux-là (son nom de famille sera par la suite raccourci en Sendler). Révoltée par les conditions de vie imposées aux Juifs, elle décide, d’abord avec l’aide de quelques amis de son service, puis en constituant tout un réseau, de sauver les enfants, le plus possible. Usant de mille stratagèmes, endormant les bébés avec de la vodka (c’est un moindre mal), elle va personnellement en sauver 400 et son réseau plus de 2500 selon les estimations.
C’est en effet toute une organisation qui se met en place pour l’aider dans son combat et pour la protéger.
Jean-David Morvan et Stéphanie Tréfouël vont lire et se documenter, beaucoup. Malheureusement, certains épisodes sont racontés de différentes manières, parfois contradictoires. Tant pis, ils essaient de trouver les bons enchaînements entre les actions, d’être au plus près de la vérité. N’oublions pas que nous sommes dans une bande dessinée, pas dans un livre d’histoire. Il ne s’agit donc pas d’être exhaustif et irréprochable mais au plus près et surtout de nous permettre de découvrir cette femme admirable.
Elle l’est à plus d’un titre et la moindre de ses qualités n’est pas sa modestie, son humilité. Mais aussi son courage. Ainsi, arrêtée, emprisonnée et torturée par les agents de la Gestapo pendant trois mois, elle ne livrera pas ses amis ni ses contacts et parvient à s’échapper avec la complicité d’un allemand corrompu.
Elle a toujours refusé le titre d’« héroïne ». Pourtant, elle a fait davantage que sauver 2500 enfants.
Elle leur a aussi laissé leur histoire. Dans des bocaux, ou des bouteilles selon les sources, elle note les noms d’origine des enfants, leur nouveau nom et l’adresse de leur famille d’adoption. Car il faut bien les mettre quelque part, ces enfants, et les détourner du regard des nazis. Pour cela, ce sont des familles catholiques polonaises qui vont les accueillir et les éduquer dans une foi qui n’est pas celle de leurs parents. Cet aspect avait été raconté dans le tome 4.
Dans cet ultime opus, Irena aide les soldats polonais dans leur lutte pour libérer la ville de Varsovie des Allemands. Les Russes, de l’autre côté de la Vistule, regardent. Lorsqu’il ne reste que des ombres, la ville leur tombe dans les mains comme un fruit trop mûr.
Infirmière, elle travaille alors dans un hôpital de fortune. Et une occupation (allemande) est remplacée par une autre (communiste russe)… Elle est alors confrontée à une nouvelle épreuve : l’Armée rouge lui amène les enfants récupérés dans les camps de concentration. Traumatisés par ce qu’ils ont vécu, mais aussi par le fait d’avoir survécu. Pourquoi eux, alors que tous les autres sont morts ?
Dans le même temps, les organisations juives craignent un retour des pogroms. Ils veulent mettre les enfants sauvés par Irena en sécurité. Pourquoi pas dans cette Palestine juive dont ils appellent la création de leurs vœux (Israël est créé le 14 mai 1948) ?
Elle va donc déterrer (au sens propre comme au figuré) cette mémoire, ces petits papiers, et la donner à l’organisation Zegota (organisation d’aide aux Juifs). Ceux-ci vont récupérer les enfants dans leurs familles d’adoption, ce qui va constituer un second traumatisme pour eux. Fallait-il le faire ? Peut-on leur reprocher de l’avoir fait ? Nous n’y étions pas.
Cet album est aussi porteur de messages forts comme à travers le personnage de Janusz Korczak. Ce pédiatre et écrivain va diriger un orphelinat au cœur du ghetto. Et lorsqu’en août 1942, ses deux cents protégés sont déportés vers Treblinka pour y être gazés, il refuse de les quitter alors même qu’on lui propose d’avoir la vie sauve. Cela a-t-il sauvé des enfants ? Non. Cela a-t-il sauvé notre humanité ? Sans doute un peu.
Le dessin de David Evrard, servi par la mise en couleur de Walter, sonne juste, jusqu’au bout. S’il est parfois presque caricatural, c’est aussi pour atténuer la violence du message. Les cadrages permettent de raconter sans traumatiser, comme lorsque l’image ne montre que les pieds ensanglantés à la suite d’une torture.
Irena est décédée en 2008. Nommée Juste parmi les Nations en 1965, elle obtient enfin un visa en 1983 pour planter un arbre, son arbre, sur la colline des Justes, à côté de Jérusalem. Restée simple et modeste jusqu’au bout, comme le raconte Marek Halter lorsqu’il l’a interviewé pour son documentaire « Les Justes », elle n’aura eu jusqu’au bout qu’un seul regret : ne pas avoir sauvé davantage d’enfants.
(par Jérôme BLACHON)
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