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Isabelle Arsenault : « J’aime transmettre les émotions du récit à travers mes moyens visuels. »

Par Marianne St-Jacques le 16 avril 2018                      Lien  
Maintes fois primée pour ses illustrations jeunesse et ses albums de bande dessinée – elle est notamment récipiendaire de trois Prix littéraires du Gouverneur général et du Prix de la critique ACBD de la bande dessinée québécoise 2017 – Isabelle Arsenault s’expose au Musée de la Civilisation de Québec jusqu’au 6 mai 2018. Rencontre avec la dessinatrice de « Louis parmi les spectres » et de « L’oiseau de Colette » (La Pastèque).

À l’occasion du Festival Québec BD, l’exposition Les mondes imaginaires d’Isabelle Arsenault a pris l’affiche du Musée de la Civilisation de Québec. À l’intérieur de la salle, les planches de cinq albums de BD et livres jeunesse parus chez La Pastèque sont alignés de manière linéaire : Virginia Wolf (avec Kyo Maclear), Jane, le renard et moi (avec Fanny Britt), Louis parmi les spectres (avec Fanny Britt), Une berceuse en chiffons (avec Amy Novesky), et L’oiseau de Colette. Ces originaux sont accompagnés de surprenants objets qui font écho aux œuvres, dont un oiseau mécanique dans sa cage, une robe de fillette, ainsi qu’un renard et un raton laveur empaillés appartenant à l’artiste.

Dépouillées de leurs textes, ces illustrations n’en sont pas moins fortement littéraires, avec notamment des références à Jane Eyre de Charlotte Brontë, ainsi qu’à l’univers de Virginia Woolf. Du coin de l’œil, on aperçoit également un dessin de Maman, la sculpture en forme d’araignée géante de Louise Bourgeois, à qui est consacré l’album Une berceuse en chiffons. Ces illustrations ont un point en commun : elles portent toutes la signature visuelle d’Isabelle Arsenault, caractérisée par un trait faussement naïf, un recours au crayonné, ainsi qu’une utilisation parcimonieuse, mais saisissante, de la couleur.

Isabelle Arsenault : « J'aime transmettre les émotions du récit à travers mes moyens visuels. »
Des scènes de Jane Eyre réalisées pour Jane, le renard et moi (Isabelle Arsenault et Fanny Britt, La Pastèque).
Photo : Marianne St-Jacques
La sculpture Maman de Louise Bourgeois, dans Une berceuse en chiffons (Isabelle Arsenault et Amy Novesky, La Pastèque).
Photo : Marianne St-Jacques
Illustration réalisée pour Virginia Wolf (Isabelle Arsenault et Kyo Maclear, La Pastèque).
Photo : Marianne St-Jacques

Quelles sont vos réactions à chaud après voir visité l’exposition ce matin ?

Je suis éblouie. Je suis très impressionnée par l’espace et par la présentation. Mon travail a l’air d’être dans un petit écrin, cela l’enjolive énormément. Je me trouve très chanceuse d’être au Musée de la Civilisation. C’est un honneur.

Comment cette exposition est-elle née ?

Une partie de l’expo a été présentée l’an dernier à la Foire du livre jeunesse de Bologne. Les organisateurs italiens avaient demandé de faire une exposition sur mon travail. On avait envoyé beaucoup d’œuvres qui sont présentées ici. Mais depuis, le livre L’oiseau de Colette s’est rajouté. On aussi ajouté certains éléments, comme le renard et le raton laveur empaillés qui viennent de chez moi, et des éléments de la collection permanente du Musée.

Isabelle Arsenault au centre de son exposition Les mondes imaginaires, présentée au Musée de la Civilisation de Québec.
Photo : Marie-Josée Marcotte, Icône. Courtoisie du Musée de la Civilisation de Québec.

Quel travail a été effectué par les commissaires de l’exposition ?

Thomas-Louis Côté, le directeur général du Festival Québec BD, est venu discuter avec moi pour voir quels livres on voulait pour l’expo. Mais en gros, la sélection était déjà faite. Le Festival a ensuite pris le dossier en main, en collaboration avec le Musée. Ils ont fait un super travail. Ils ont reçu les œuvres pêle-mêle de l’Italie et ils ont dû les remettre en ordre et les présenter de manière assez linéaire. On peut suivre le fil tout le long de la pièce. Je trouve ça intéressant. C’est une lecture qui se fait naturellement. C’est beau.

Vous avez évoqué les animaux empaillés qui vous appartiennent. Quel est leur rôle dans votre processus créatif ? Servent-ils au dessin d’après nature ou sont-ils des sources d’inspiration ?

Après Jane, le renard et moi, on a fait une exposition à Saint-Malo, en France. C’est une expo qui a également voyagé au Festival de bande dessinée de Colomiers, dans le Sud de la France. Pour cette exposition, on avait décidé d’acheter un renard empaillé. On s’est dit que ce serait le fun d’avoir des éléments visuels en lien avec l’album. On l’a acheté sur un site de trucs usagés en France. Ça n’avait pas coûté cher, mais après il avait fallu le ramener, car on voulait le garder pour le chalet. Pour le raton, quand on a fait Louis parmi les spectres, comme il y a un raton laveur dans le livre, je me suis dit que ce serait bien d’en trouver un. Comme par hasard, en marchant à côté de chez nous, près de l’encan sur Saint-Laurent (à Montréal), il y avait dans la fenêtre ce raton laveur qui me regardait. Je me suis dit : « C’est lui, il faut que je l’achète ! ». Un renard et un raton, c’était parfait. Je suis donc allée à l’encan et j’ai fait des mises sur ce raton. Quelqu’un d’autre le voulait, mais j’ai réussi à l’avoir pour 40$.

Ce renard empaillé appartenant à Isabelle Arsenault évoque l’univers de Jane, le renard et moi (La Pastèque).
Photo : Marianne St-Jacques
Dans Jane, le renard et moi, le personnage du renard permet d’introduire de la couleur dans le récit.
Photo : Marianne St-Jacques
Ce raton laveur empaillé ressemble en tous points à celui de Louis parmi les spectres (La Pastèque).
Photo : Marianne St-Jacques
Michael Jackson, le raton laveur de Louis parmi les spectres (Isabelle Arsenault et Fanny Britt, La Pastèque)
Photo : Marianne St-Jacques

Parlez-nous de votre processus créatif. Quelle est votre démarche artistique en tant qu’illustratrice et dessinatrice de bande dessinée ?

Je tente d’interpréter chaque livre du mieux que je peux à partir du manuscrit. J’essaie de créer l’univers qui convient le mieux, qui représente le mieux, qui parle le mieux à travers les images pour chacun des thèmes. Le choix de faire une bande dessinée ou un album jeunesse illustré se fait naturellement. Parfois, les textes imposent un peu le nombre de pages et le type de rendu, mais j’essaie vraiment de suivre mon instinct et d’y aller sans trop me poser de questions et sans définir de cadre trop précis au départ. J’essaie de laisser toutes les possibilités. Je n’aime pas trop dire que je suis bédéiste, car je pense que je n’ai pas autant de patience que les bédéistes pour construire des scénarios visuels avec plein de détails, de la manière dont on l’entend habituellement. Maintenant, comme la BD est vraiment éclatée, on peut dire que c’en est. Mais il s’agit vraiment d’une manière personnelle d’interpréter une histoire.

Jane, le renard et moi et Louis parmi les spectres sont deux très longs textes. Pour moi, ça allait de soi que je découpe le récit de manière plus élaborée afin d’en faire un livre plus volumineux. Mais pour les livres pour enfants, c’est autre chose. J’aime sortir des formats standards. Je n’aime pas qu’on me dise : « C’est un 32 pages. On veut que tu te limites à ça. » J’aime quand on me donne un texte et qu’on me dise : « Fais ce que tu veux avec. » C’est comme ça que cela fonctionne à La Pastèque, c’est pourquoi j’adore travailler avec eux. Mais quand je travaille pour d’autres éditeurs plus conservateurs, parfois ma création est limitée par la contrainte. Ça fait partie du métier.

Illustration réalisée pour Une berceuse en chiffons d’Isabelle Arsenault et Amy Novesky (La Pastèque).
Illustration réalisée pour Une berceuse en chiffons d’Isabelle Arsenault et Amy Novesky (La Pastèque).
Photo : Marianne St-Jacques

Avec L’oiseau de Colette, vous avez choisi d’illustrer votre propre scénario. Parlez-nous de cet album.

C’est une série – je travaille présentement sur le deuxième album – inspirée de la vie de mes enfants dans le quartier Mile End. Ce sont des enfants urbains, qui grandissent à Montréal. Ça se passe dans le Mile End, mais ça pourrait se passer n’importe où. Le décor est toujours le même : c’est dans une ruelle. Les enfants sont chacun dans leur cour arrière, et c’est comme cela qu’ils se rejoignent le soir, après la garderie ou l’école. Ils vont d’une cour à l’autre, où se passent des activités. Il n’y a rien dans cette ruelle, pas de télé ni d’écrans. C’est vraiment à partir de leur imagination que les enfants créent leurs aventures. Dans le premier tome, une petite fille cherche son oiseau, qu’elle a perdu. Mais on se rend compte au fil de l’histoire qu’elle a inventé cet oiseau pour créer un jeu. Tous les enfants se mettent à le chercher ensemble.

C’est une histoire qui est partie d’une image que j’avais faite d’un oiseau. Mon agente a vu cette image et m’a dit : « Je verrais bien une histoire derrière. Ça ne te tenterait pas d’essayer d’élaborer un scénario ? ». J’ai dit OK, j’ai commencé à écrire et on l’a proposé à quelques maisons d’édition. À la base, je l’ai écrit en anglais car c’est Penguin Random House qui a acheté les droits, et ça a été traduit à La Pastèque simultanément. C’est moi qui ai fait la traduction.

Planches réalisées pour L’oiseau de Colette d’Isabelle Arsenault (La Pastèque).
Photo : Marianne St-Jacques

Parlez-nous de votre technique. Ce qui ressort quand on regarde votre œuvre, c’est l’utilisation de la couleur, le crayonné, la hachure…

J’aime beaucoup le dessin. C’est quelque chose que j’ai toujours aimé, dessiner en noir et blanc. Et je crois que ça commence à ressortir de plus en plus dans mon travail. Au départ, quand j’ai commencé à faire des livres pour enfants, j’avais l’impression qu’il fallait que je mette beaucoup de couleurs, que j’aie un style accrocheur pour les enfants. Mais de plus en plus, on dirait que j’ai moins le goût d’avoir des contraintes, de répondre à des standards. Je veux faire ce dont j’ai vraiment envie. C’est pour cela que le dessin prend de plus en plus de place dans mon travail.

C’est aussi beaucoup plus rapide pour moi. J’efface beaucoup, j’hésite, je recommence. Contrairement à beaucoup de dessinateurs de bande dessinée, je n’ai pas un trait très juste. Je dois souvent effacer et corriger. Je suis perfectionniste. C’est donc un médium qui est un peu plus flexible et qui me convient. J’aime le crayon à mine car on peut faire des trucs très précis et en même temps effacer et rendre le médium plus évocateur. J’aime quand il y a des espaces flous et des espaces plus précis.

J’essaie de créer des liens entre le médium que j’utilise et le récit. Dans Jane, le renard et moi, le quotidien du personnage est un peu terne, donc je vais y aller avec des couleurs neutres, un peu grises, pour évoquer la grisaille du quotidien. Quand le renard apparaît, j’utilise une couleur. Tout de suite, cela a un impact visuel fort et une signification du monde imaginaire qui embarque dans la réalité. J’essaie d’utiliser mes médiums comme des outils pour soutenir la narration.

Le contraste saisissant du crayonné dans Jane, le renard et moi (Isabelle Arsenault et Fanny Britt, La Pastèque).
Photo : Marianne St-Jacques

On le voit beaucoup dans Louis parmi les spectres, entre le bleu de Louis et la lumière de Billie.

Oui, c’est ça. Il y a l’espoir et la hantise du passé. Et à un certain moment, dans le scénario, il y a aussi une touche de rose qui s’ajoute, quand ils vont à New York. Il y a un côté magique : c’est la beauté du présent. Ce n’est ni le futur ni le passé. Il y a cette magie qui se dégage d’un voyage à New York et de l’amour entre les parents. J’aime jouer avec cela et transmettre les émotions du récit à travers mes moyens visuels.

Dans Louis parmi les spectres, les teintes lumineuses de jaune sont associées au personnage de Billie.
Photo : Marianne St-Jacques
Dans Louis parmi les spectres, le voyage à New York permet d’introduire des teintes de rose.
Photo : Marianne St-Jacques
Illustration réalisée pour Louis parmi les spectres (Isabelle Arsenault et Fanny Britt, La Pastèque).
Photo : Marianne St-Jacques

En terminant, sur quoi travaillez-vous en ce moment. Quels sont vos projets en cours ?

Je suis en train de terminer le deuxième album de la série Mile End Kids, qui porte sur le personnage d’Albert. Un personnage sera mis de l’avant dans chaque livre et il aura ses propres couleurs. Ce sont donc d’autres couleurs que L’oiseau de Colette, mais il y a toujours deux couleurs. Le livre sera terminé la semaine prochaine et sortira l’an prochain. Ensuite, j’ai un autre livre avec l’éditeur américain Candlewick et l’auteur Mac Barnett, qui sortira également l’an prochain. Après cela, j’ai l’intention de prendre du temps pour moi et de ralentir. Cet été, j’aimerais me consacrer à des projets plus personnels.

Fanny Britt, Isabelle Arsenault, Jean-Paul Eid et Claude Paiement, lors de la remis du Prix de la critique ACBD de la bande dessinée québécoise, au Salon du livre de Montréal 2017.
Photo : Marianne St-Jacques
L’exposition Les mondes imaginaires d’Isabelle Arsenault est à l’affiche du Musée de la Civilisation de Québec jusqu’au 6 mai 2018.
Photo : Marianne St-Jacques

(par Marianne St-Jacques)

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Photo en médaillon : Marie-Josée Marcotte, Icône. Courtoisie du Musée de la Civilisation de Québec.

 
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