À tout seigneur, tout honneur, laissons Éric Verhoest présenter cette exposition. Il y a deux ans, il nous confiait que, selon lui, on reconnaissait un grand auteur à ce qu’on pouvait agrandir ses cases sans perdre en qualité et en contenu. Il le prouve avec cette exposition dédiée à Yves Chaland :
« Notre idée, avec Isabelle, était de pouvoir présenter un jeu de superbes planches issues des albums de Freddy Lombard. Nous avons également choisi deux cases par album afin d’en réaliser des impressions grand format à l’aide de couleurs pigmentaires à raison de trois exemplaires chacune. Pour chaque ‘couple’, nous voulions une première image panoramique ou de construction plus complexe, tandis que la seconde revêt un caractère plus intimiste, proposant une réelle atmosphère.
Avec l’expérience, je me rends compte que Chaland rejoint le niveau des Franquin, Jacobs, Hergé, trois très grands auteurs, avec Pratt un cran juste en dessous, dont les cases peuvent être agrandies jusqu’à un format colossal. Et encore, on se limite à la largeur du papier, car les cases présentes pourraient être plus grandes. Dans ce cadre, on a voulu démonter ce que pouvait transmettre une case muette de Chaland en termes d’émotion et de narration. »
Isabelle Beaumenay-Joannet, la veuve de l’artiste, nous conduit à travers l’exposition.
Pouvoir admirer ainsi les planches originales de Freddy Lombard renseigne-t-il sur sa façon de travailler ? Pouvez-vous les commenter pour nous ?
Yves [Chaland] réalisait un premier croquis dans un petit format, avant de crayonner puis d’encrer sur la planche elle-même. Ces étapes étaient bien entendu des moments où il composait, revenant parfois en arrière pour mieux repartir. Mais comme on peut le voir sur ces originaux, il était très consciencieux et il arrivait régulièrement qu’il ne soit pas satisfait de l’attitude d’un personnage ou d’un autre détail, même après l’encrage. Il collait alors sa nouvelle version sur la planche, il découpait d’ailleurs celle-ci afin de repositionner l’insert. En observant les originaux, on peut donc suivre ces repentirs, soit grâce aux traces de scotch ou de colles vieillies, ou alors grâce aux inserts.
Comment se déroulait la collaboration avec Yann ?
J’ignore qui a été trouver l’autre en premier, mais leur rencontre a sans doute eu lieu lors d’un festival ou l’autre, lors de lesquels ils se sont trouvés des ‘atomes’ crochus. C’était un réel travail de conversation entre les deux, chacun d’un côté de la table, rigolant en écrivant le scénario. Puis cela se prolongeait par lettre, selon la documentation rassemblée ou une nouvelle idée survenue.
L’atmosphère et la composition technique des albums de Freddy Lombard est remarquablement transcrites pas ces grandes cases. Comment avez-vous travaillé ?
On a parfaitement respecté mon travail de colorisation en scannant les bleus pour les positionner sur le scan du trait noir à part. Un travail à l’ancienne avec une technique d’impression très moderne qui permet un superbe rendu du trait d’Yves Chaland et le respect des aplats originaux. Mise-à-part une case où l’on a ôté une onomatopée, nous n’avons choisi que des cases sans bulle, dont la moitié pour des perspectives globales, et l’autre partie pour des ambiances, réparties au mieux parmi les cinq albums de Freddy Lombard. Le travail de scan a très minutieux, car on peut observer les coups d’aérographe et les détails du trait.
L’exposition présente vingt-quatre planches, choisies parmi les cinq albums. Vous en vendez une partie, mais que vous reste-t-il de son travail original ?
Yves avait déjà vendu pas mal de planches de ces premiers albums, mais il avait conservé la majeure partie de celles-ci pour les dernières parutions. C’est donc la première fois qu’on peut observer autant de planches et en acquérir une partie. Comme Champaka nous a toujours soutenu, il semblait normal qu’on participe à cette aventure. Mais je ne peux me résoudre à me séparer d’autant de planches ! Dans les belles œuvres originales exposées, je conserve une bonne moitié, celles qui pourraient avoir une portée muséale ou dont je me sers pour les expositions. Je dois avouer que j’ai néanmoins un peu de mal à me séparer des autres, car elles comportent toutes leurs souvenirs particuliers ! Donc, il ne faut pas que je les regarde trop attentivement, sinon je vais avoir des regrets ! (rires)
Pourquoi vous décidez-vous alors à les mettre en vente ?
Cela fait vingt ans qu’on me le demande, puis cela marque également une étape dans sa notoriété. À notre époque, il y a un réel respect pour l’œuvre originale de bande dessinée, considérée actuellement comme de l’art à part entière. Cela confère donc de la respectabilité qu’une planche soit acquise par un collectionneur.
Une autre étape importante dans la reconnaissance d’Yves Chaland, ce sont les Rencontres de Néracdont la troisième édition approche à grands pas !
Plus qu’un mois ! La pression monte car il faut être à la hauteur des invités prestigieux que nous recevons. C’est Joost Swarte [1] qui est donc à l’honneur cette année. Dessinateur, mais aussi scénographe, nous allons profiter de son regard pour s’intéresser au design et à l’architecture en bande dessinée, et en particulier dans les albums de la Ligne Claire. Trois expositions mettront donc cela en avant dans le travail de Swarte, une quatrième mettra alors plus l’accent sur cet aspect au sein des auteurs invités (Schuiten, Berberian, Mattoti, Alfred, Chistian Cailleaux, Philippe Wurm, Ever Meulen, etc.) tandis qu’une cinquième exposition s’intéressera au travail d’Yves dans ce sens, via ces grandes cases qui plantent l’atmosphère de ses récits. On aura d’ailleurs un aperçu du mobilier Chaland grâce à Leblon-Delienne. On peut d’ailleurs admirer à la Galerie Champaka une première pièce, à savoir le bureau d’Adolphus Claar !
J’imagine que le principe même des Rencontres ne change pas !
Non, nous ne désirons pas être un festival, mais bien un lieu de rencontre où auteurs, lecteurs et intervenants peuvent se côtoyer et intervenir librement. Au sein même de la manifestation, il y a des tables rondes où se déroulent des conversations ouvertes au tout public. Pas de file d’attente pour des dédicaces, mais la possibilité de discuter et rencontrer les auteurs. Les dessinateurs apprécient d’ailleurs beaucoup le système, car il n’y a plus l’obligation de dédicacer, même s’ils s’y prêtent bien volontiers, mais on privilégie le principe de l’échange sur le travail, l’ambiance du moment, ou concernant les diverses expositions. Ainsi les dessinateurs vont présenter leurs coups de cœur parmi les travaux de leurs collèges.
Concernant cette interaction personnelle, Charles Berberian nous fait d’ailleurs le plaisir d’exposer des photographies qu’il réalisera à Nérac-même, pour renforcer le regard des auteurs ayant répondu à notre invitation. Les dessinateurs sont heureux d’être présents, et de pouvoir avoir de petites missions qui les sortent de leur quotidien, tout en permettant au public de les apprécier en dehors de leurs planches traditionnelles. Il y aura également tout un important pan destiné à la jeunesse : une ‘petite’ maison d’1m80 due à Mariscal qu’on pourra mettre en couleur, ainsi qu’une vision très design de l’intérieur des maisons des trois petits cochons en lien avec le travail de grands architectes. Il y aura donc pour tous les goûts !
Et vos futurs projets ?
Nous sommes déjà très heureux que cette exposition Grandes Cases et les troisièmes Rencontres de Nérac aient lieu. Nous avons bien entendu d’autres projets, comme celui de réaliser un tirage noir et blanc en grand format des aventures de Freddy Lombard, mais rien n’est encore concrétisé à l’heure actuelle. Une chose à la fois…
(par Charles-Louis Detournay)
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
Lire nos précédentes interviews d’Isabelle Beaumenay-Joannet et d’Eric Verhoest.
Exposition Yves Chaland Grandes Cases
Du 3 septembre au 3 octobre 2010
Galerie Champaka
27, rue Ernest Allard
B-1000 Bruxelles
Belgique
Tel : + 32 2 514 91 52
Fax : + 32 2 346 16 09
sablon@galeriechampaka.com
www.galeriechampaka.com
• Mardi à samedi : 11h00 à 18h30
• Dimanche : 10h30 à 13h30
Le site officiel d’Yves Chaland
Le site du Club des Amis de Freddy Lombard
Le site de Lebrun sur Yves Chaland
Photos : © CL Detournay
[1] Inventeur en 1977 du terme de la Ligne Claire, Joost Swarte est également le scénographe du Musée Tintin.
Participez à la discussion