UN REGRET.
Cette année, à nouveau, je n’irai pas au festival d’Angoulême.
À quoi bon ? Angoulême ne s’est jamais intéressé à mon travail, ni de près, ni de loin.
La messe est donc dite. Angoulême se passe très bien de Jean Dufaux. Jean Dufaux se passera très bien d’Angoulême.
C’est que... je n’y avais pas ma place.
C’est à dire que TOUS les scénaristes n’y avaient pas leur place.
La preuve, jamais de GRAND PRIX pour aucun d’entre nous. Sur combien d’années ? Beaucoup. Le frottement du jamais au beaucoup étant explicite et très révélateur.
C’était l’époque (longue, très longue, trop longue) où passait une stupidité : ce Grand Prix était destiné aux auteurs complets !
La belle fumisterie.
Un auteur complet étant, pour les doctes, un auteur qui dessine et scénarise son album.
Ce n’est pas parce qu’on place le clou et qu’on tape sur le clou que s’arrime la charpente.
Ce n’est pas parce qu’on est "complet" qu’on est automatiquement un "auteur".
Cela voudrait-il dire qu’un artiste de la trempe et du talent de M. Rosinski n’est pas un auteur parce qu’il ne scénarise pas ses ouvrages ?
Absurde !
Un "auteur" pour moi (et cela n’engage que moi) est d’abord un créateur d’univers, un témoin de son temps (même s’il le réfracte sur d’autres époques). Ayant un style, un regard, une respiration propres. Une ÉCRITURE, qu’elle passe par les dessins ou les mots.
Cela se traduit aussi dans les textes, les dialogues, le nom (important) des lieux et des personnages, le montage, le découpage, le rythme.
Bien des scénaristes disposent de ce talent... "d’auteur complet ".
On en oublierait presque que Jean-Michel Charlier créa Blueberry. Avec Giraud. On parle beaucoup de Giraud. À juste titre. On oublie assez Jean-Michel Charlier.
Charlier ? Un auteur ? Jamais reconnu à Angoulême en tout cas.
Christin, Jodorowsky, Van Hamme (pour parler des plus anciens et ce, dans des catégories, des sensibilités différentes) pas des auteurs ?
C’est comme si je vous disais, pour le cinéma, Aurenche, Bost, Spaak, Age et Scarpelli, Robert Bolt, pas des auteurs ?
Je sais, on boit beaucoup à Angoulême. Cela permet bien des oublis.
Il y avait, là-dedans aussi, un certain manque de respect pour des gens qui ont apporté leur talent, leur vision à la bande dessinée, qui lui ont permis de s’enrichir, de s’ouvrir et de garder sa générosité première.
Mais, pour finir, un regret, oui.
Car Angoulême, c’est aussi l’occasion de vous revoir, de vous rencontrer, mes amis, compagnons, auteurs, faiseurs et poètes (ceux-là deviennent rares, les lois économiques étant particulièrement dures pour eux), rencontres qui font de ce festival un moment important.
Alors, à vous tous, présents en cette fête, je souhaite le meilleur pour cet Angoulême 2019.
Et, dieu soit loué, cela change.
Les votes sont devenus plus démocratiques, plus ouverts.
Mais je crains que de mauvaises habitudes ne soient prises.
Alors, mes amis, si vous rencontrez un scénariste perdu dans un salon, allez-y doucement.
C’est peut-être... un auteur.
J.D.
Cette année, je vote :
1. Jodorowsky.
2. Rosinski.
3. Alan Moore.
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