Henri Filippini a publié sur le site d’Actuabd un billet d’humeur où il s’étonne de la passivité des auteurs de BD face aux maisons d’édition, devant la dégringolade vertigineuse de leurs conditions de travail. Son papier a vu plus de cent réactions virulentes notamment une du syndicat des auteurs. La majeure partie des réactions étant axées, non pas sur le contenu, mais sur l’émetteur, Henri Filippini en tant qu’ancien éditeur Glénat étant bien mal placé pour donner des conseils. Il me semble que l’on ferait mieux de s’intéresser à ce qui est dit, plutôt qu’à celui qui le dit, car je l’affirme : « il a raison ». On ne me soupçonnera pas de collusion ou de sympathie avec lui : je n’ai travaillé qu’une fois avec M. Filippini, en compagnie de Philippe Bonifay, au début de nos modestes carrières et, suite à une engueulade mémorable entre les deux, sur un tout autre sujet que nos albums, je fus viré.
Pourquoi a-t-il raison ? Car tout a changé. On voit aujourd’hui exister des maisons d’édition avec des catalogues volumineux dont les chiffres des meilleures ventes, auraient été considérés, il y a vingt ans, comme des échecs commerciaux retentissants. Pourtant, ces maisons prospèrent, éditent toujours plus et souvent mieux. Ces éditeurs font leur métier.
Mais si ces maisons d’éditions peuvent vivre de ces faibles tirages, c’est parce que leurs auteurs n’ont plus de prix, Beaucoup reçoivent une avance ridicule qu’ils acceptent avec le rêve secret que la gloire les prendra un jour dans ses bras parfumés, et là, on verra ce que l’on verra ! Sans avoir, hélas, compris que l’éditeur concerné vit de son rêve, comme autrefois l’éditeur dit « à compte d’auteur », en accumulant une suite de petits bénéfices sur de petits tirages. Mais cet éditeur ne lui donnera jamais les moyens de passer à la dimension supérieure, lui préférant toujours un nouvel arrivant encore moins exigeant qui, du fond de la cuisine de chez maman ,où il vivra encore 15 ans, se prépare à montrer son œuvre à un public qui l’attend : « Bon, il ne m’a pas proposé d’argent pour le premier album, mmais si cela marche… » Le jeune auteur est (je sais que la comparaison est risquée) comme un travailleur sans papier : il n’aura du travail que s’il accepte des conditions de travail encore plus basses que son frère immigré en situation légale qui, lui-même, était moins cher que…. Etc. On est donc bien loin du statut qu’évoque Henri Filippini dans son article et qu’ont connu pour leur début les auteurs de BD quadragénaires ou quinquagénaires en activité.
À cette époque, il a raison, on entrait de plain-pied dans un métier. Aujourd’hui, on fait semblant. J’ai remarqué d’ailleurs un vrai divorce de génération. On ne se parle plus entre auteurs « installés » et auteurs arrivants. L’auteur en place est regardé comme un ringard. Comme au cinéma, la nouvelle vague voyait de haut Henri Decoin ou Jean-Paul Le channois. L’art est rupture me direz-vous ? Oui, nous sommes devenus des artistes, des auteurs. Nous y avons perdu en route un métier, un statut, une vie professionnelle. Car je suis persuadé que cette rupture générationnelle est aussi au fond très « économique » .Une rupture de statut.
Il est bien difficile de lutter contre l’évolution d’un métier, mais là où Filippini a encore raison, c’est que nous en sommes en partie responsables. Les auteurs ne se parlent pas de leurs tirages, de leur situation véritable, de leurs contrats, Nous sommes des caricatures d’individualistes forcenés. C’est la raison principale de la situation qui est la nôtre Aux Etats-Unis, un écrivain qui veut éditer cherche d’abord un agent littéraire qui va défendre ses intérêts. Ce métier débute tout juste en France. Je me souviens de l’un d’eux qui avait pouffé de rire en lisant le contrat d’un écrivain français pourtant reconnu et bon vendeur. Nous sommes devenus des écrivains, nous en avons le statut depuis que la presse a disparu. Voilà un terrain à débroussailler, mais vite, les ronces deviennent étouffantes.
Sur l’évolution du métier, j’avais, il y a quelque mois, publié ce petit article qui complète celui-ci sur mon site
Jacques Terpant
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Photo en médaillon : Jacques Terpant par Didier Pasamonik
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