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Japan Expo 2016 : La French Touch Manga à la fête

Par Guillaume Boutet le 9 juillet 2016                      Lien  
C’est devenu une tradition à Japan Expo : la conférence d’auteurs de global manga, c’est-à-dire de mangas réalisés « à l’étranger par des « étrangers ». Elle a cette fois eu lieu jeudi. Une heure de conférence tout à fait passionnante qui illustre une tendance de fond de la bande dessinée contemporaine.

Dix ans se sont écoulés depuis le début de Dreamland de Reno Lemaire, un titre désormais connu et reconnu comme un « blockbuster » qui ne fait plus douter de la légitimité et de la pérennité de cette entreprise.

C’est ainsi que les intervenants rassemblés ce jeudi n’étaient plus réellement des débutants ou même des expérimentateurs. Outre Reno Lemaire qui vient de publier le quinzième tome de Dreamland, nous avions à ses côtés, Elsa Brants, arrivée au quatrième tome de Save me Pythie, Tony Valente au cinquième de Radiant, Vanrah, qui après avoir lancé l’an dernier Stray Dog (deux tomes pour le moment), revient cet été avec une nouvelle série (en parallèle), Ayakashi, sur un scénario de Izu, et enfin Nicolas David, le seul « petit nouveau » avec Meckaz, prévu à la rentrée.

Nicolas David, que nous découvrions pour notre part à cette conférence, s’est fait connaître en finissant sixième sur 400 à un concours organisé par Ki-oon et onzième sur 800 à un concours japonais ouvert exclusivement aux étrangers, Silent Manga Audition (manga muet)… qui lui a permis de suivre au Japon une masterclass d’une semaine avec Tsukasa Hojo (City Hunter) et Tetsuo Hara (Hokuto no Ken).

Son titre, Meckaz sera une œuvre reprenant les codes du manga sportif dans un cadre futuriste car il s’agira de compétitions mettant en œuvre des mechas, c’est-à-dire des robots !

Et n’oublions pas le maître de cérémonie, Frédéric Toutlemonde de Euromanga, qui édite de nombreux auteurs francophones au Japon, dont Tony Valente.

Japan Expo 2016 : La French Touch Manga à la fête
De gauche à droite : Reno Lemaire, Elsa Brants, Tony Valente, Vanrah, Nicolas David et Frédéric Toutlemonde.
Photo : Guillaume Boutet

Chacun s’est tout d’abord présenté, à travers leurs œuvres. Pour Reno Lemaire notons que c’est le déroulement de l’action à Montpelier (une « vraie » ville de France) qui semble avoir cristallisé les attentions, tandis que chez Tony Valente, ce sont les thèmes de l’exclusion et de l’immigration. Dans les deux cas il s’agit d’un développement qui s’est imposé à eux sans réflexion préalable : Pour Reno Lemaire son histoire est partagée entre monde des rêves et réalité… et il vit tout simplement à Montpelier, et pour Tony Valente il s’agit de son thème de départ et c’est le hasard de l’actualité qui lui a fourni tant de matière.

Reno Lemaire ("Dreamland", Pika) : il dédicaçait ses mangas debout, ce n’est peut-être qu’un détail pour vous...
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

Ensuite est venu le premier sujet : l’organisation de leur rythme de travail. Tout le monde s’est accordé qu’ils dessinaient tous les jours, 10 heures minimum, et jusqu’à 18 heures par jour lors de la période de bouclage d’un tome !

À la question de la présence d’assistants (en général pour le décor et l’encrage), selon le modèle japonais, les réponses se sont avérées variées : Elsa Brants travaille avec un assistant, Reno Lemaire se trouve épaulé par deux amis… payés uniquement depuis le tome cinq. Lemaire regrette d’ailleurs l’absence d’un vrai statut d’assistant, pour faciliter leur rémunération.

Du côté de Tony Valente c’est sans assistant : après une tentative sur une dizaine de pages, il s’est avéré que sa façon de travailler désorganisait celui de l’assistant et en fin de compte il préfère tout assumer lui-même. Cette expérience lui a néanmoins permis de réorganiser un peu sa façon de travailler !

Pour Vanrah c’est aussi sans assistant. Elle gère de plus plusieurs séries en parallèle, auxquelles s’ajoutent un peu de publication US et de l’auto-publication sur le web, qui lui sert de tests et d’expérimentations.

Vint également la question du chapitrage des tomes, à savoir s’il y avait un sens de conserver la notion de chapitre alors que leurs œuvres ne sont pas prépubliées. Une nouvelle fois les réponses étaient variées. Pour Lemaire les chapitres n’ont pas de sens dans leur format et il s’agit d’une erreur de débutant désirant copier les japonais.

Vanrah s’est montrée moins péremptoire : elle apprécie le chapitre comme unité narrative, pour signifier la mise en avant d’un personnage ou d’un élément de l’histoire. Cependant chez elle, un chapitre peut varier de 30 à 150 pages : c’est la narration qui lui dicte la longueur du chapitre.

Au contraire Nicolas David apprécie de rythmer ses histoires par des unités de 18 pages : ils donnent du rythment et lui impose de dessiner toutes les 18 pages un moment particulièrement intense.

Montage Japan Expo 2016

Cependant tous nos auteurs étaient d’accord : la particularité du format manga c’est cette liberté de gestion des pages et de leur nombre par tome : 150 pages, 200 pages ou même 350 pages comme avec le tome 15 de Dreamland de Reno Lemaire qui a voulu ainsi mettre en scène une grande guerre à lire d’une seule traite… le tout sans augmenter le prix du tome, grâce à un travail très en amont avec son éditeur !

Pour Vanrah, qui a débuté en tant qu’encreuse de comics, c’est bien cette liberté sur l’utilisation des pages, et de leur nombre, qui l’a séduite par rapport aux comics, dont le format très carré impose un rythme plus lent et moins dynamique – avec un par exemple une limitation stricte du nombre de pages éclatées par « épisode ».

Cette analyse rejoignait celle de Tony Valente pour lequel la gestion de la page, mais aussi des cases et de leurs dimensions, offre une liberté presque sans limite pour travailler les émotions, au contraire de la BD ou du Comics, dont la rigidité à ce niveau les restreint.

Elsa Brants a rappelé son idée que la BD serait un long métrage et le manga relèverait de la série TV, tout en pointant l’inévitable risque de dispersion de cette liberté de pagination.

Elsa Brants ("Save My Pythie" chez Kana), French and Feminine Touch du manga hexagonal
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

Cependant pour Reno Lemaire la dispersion n’est pas un problème de format mais d’auteur : même avec peu de pages à sa disposition, un auteur peut toujours digresser et se perdre.

Au niveau de la technique, tous ont admis avoir dû tout réapprendre pour passer au « noir & blanc » (et nuances de gris !)... sauf peut-être pour l’autodidacte Vanrah. De plus, ils ont tous pu constater que le « noir & blanc » donne moins droit à l’erreur qu’un dessin colorié, car ce dernier se trouve en quelque sorte mis à nu, alors que la couleur permet d’habiller et parfois de cacher des manques.

Photo : Guillaume Boutet

Enfin la conférence s’est achevée sur l’image du global manga en France et ses perspectives. Pour Reno Lemaire il y a dix ans, ils n’étaient pas encore matures et leur travail relevait souvent de l’expérimentation. Ce n’est plus le cas aujourd’hui : « une nouvelle ère » a débuté et la plupart des éditeurs sont désormais intéressés de publier du global manga, alors qu’il y a encore trois ans aucun ne voulait de Radiant a souligné Tony Valente.

Pour Vanrah, c’est le lecteur français qui a évolué plus rapidement que les éditeurs, et qui a donc accéléré les choses. Indéniablement, le lecteur « comprend », la démarche, ainsi que le fait que le global manga propose des styles très différents, alors qu’ils pouvaient s’attendre au contraire.

Toujours pour Vanrah, chez les éditeurs le changement d’état d’esprit se manifeste pour la première question qu’on lui pose lorsqu’elle présente un projet : avant il s’agissait de toujours de savoir combien de pages il allait compter… et aujourd’hui c’est « quelle est ton histoire ? ». Un changement d’intérêt significatif ! Enfin les éditeurs ne sont plus « obnubilés » par la ligne « shônen » (adolescent) et se montrent intéressés même par des projets « seinen » (adulte) comme les siens.

Reste, de l’avis de tout, la question de l’amélioration de la promotion du manga dans les écoles, qui proposent uniquement ou presque une formation franco-belge avec des projets à la sortie qui ont tendance à trop se ressembler. Il faut être prêt à abandonner sa formation pour se lancer dans le global manga, ce qui reste très dommage.

Quant à la question des magazines de prépublication pour Reno Lemaire, le nerf de la guerre est le prix et rien que le prix. Les auteurs français se montrent aujourd’hui capables de dessiner au même rythme que les japonais et de travailler en prépublication. Et avec des lecteurs de plus en plus intéressés, seul le prix demeure une barrière : un tel magazine vendu à deux euros fonctionnerait sans aucun doute à son sens.

Ce sont sur ces mots que s’est terminée la conférence et une nouvelle fois nous ne pouvons que leur souhaiter une belle réussite dans leur projet et à tous ceux à venir !

(par Guillaume Boutet)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN :

Japan Expo 17e Impact
Du 7 au 10 juillet 2016 au Parc des expositions de Villepinte
RER ligne B - Parc des Expositions Villepinte
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