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Jason ("L’Île aux cent mille morts") : " L’influence la plus importante sur mon travail est sans conteste Hergé."

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 17 décembre 2012                      Lien  
De son vrai nom John Arne Sæterøy, Jason est né en 1965 à Molde, en Norvège. S'il publie d'abord chez Atrabile "Chhht, Des morts et des vivants", c'est chez Carabas qu'il se fait connaître avec "Hemingway", "J'ai tué Adolf Hitler", "Athos en Amérique"... Il publie ensuite chez Glénat, sur un scénario de Vehlmann : "L'Île aux cent mille morts".
Jason ("L'Île aux cent mille morts") : " L'influence la plus importante sur mon travail est sans conteste Hergé."
L’Île aux 100 000 morts de Fabien Vehlmann et Jason
Ed. Glénat

Jason est comme ses personnages, taiseux et énigmatique. Peut-être même inquiétant quand on ne le connaît pas encore. Mais une fois la glace du grand froid brisée, la conversation (en anglais, car son français est encore hésitant) nous fait découvrir un auteur érudit qui sait très bien ce qu’il veut et qui navigue entre trois mondes : la Norvège, son pays natal, les USA et la France, où il s’est établi à Montpellier. Jason a obtenu le Harvey Award New Talent en 2002, trois fois le Eisner Award de la meilleure BD étrangère en 2007, 2008 et 2009 et plusieurs nominations à Angoulême. Il a reçu en octobre dernier le premier Prix Jeune Albert.

Son dessin ressort d’une Ligne Claire revisitée par Krazy Kat et Buster Keaton. Un univers où le silence est à lui seul un personnage dans une partition qui se signale par son étrangeté. Il était en octobre dernier l’invité des Rencontres Chaland où nous avons pu nous entretenir avec lui.

Comment êtes-vous devenu auteur de bande dessinée ?

Je lisais des BD dès l’enfance, principalement des comics de super-héros comme Batman, Spider-Man, mais aussi des albums de séries franco-belges comme Lucky Luke, Astérix, Gaston, Tintin... C’est sans doute en lisant Tintin que j’ai voulu faire ce métier.

J’ai commencé à réaliser mes propres BD à l’âge de 13 ans. Quand j’ai eu 16 ans, j’ai commencé à publier dans un magazine alternatif d’humour norvégien appelé KonK. Frode Øverli, le dessinateur de Pondus, dessinait également pour ce journal. Beaucoup des collaborateurs de ce magazine font d’ailleurs aujourd’hui carrière dans le dessin. Il y a véritablement une "génération KonK" qui en est issue, qu’ils dessinent des strips pour des quotidiens ou qu’ils réalisent des romans graphiques.

L’Île aux 100 000 morts de Fabien Vehlmann et Jason
(c) Glénat

La Norvège est vraiment un petit marché. Cela ne doit pas être facile d’être publié dans votre pays ?

Oui, avec seulement cinq millions d’habitants, il n’y a pas vraiment de marché, juste un peu de place pour des strips dans des quotidiens. La plupart des auteurs vivent de l’illustration et font de la BD comme hobby. Pendant ma période de service civil, j’ai travaillé dans une entreprise de meubles. Après, je suis entré dans une école d’art. À la fin de ce cursus, nous étions une bande d’artistes à pratiquer de l’autoédition. J’ai publié des petits comic-books intitulés Mjaw-Mjaw qui ont duré l’espace de 12 numéros. Certains d’entre eux étaient muets, sans texte. Je suis venu pour la première fois à Angoulême en 2000, pour les montrer aux éditeurs. C’est comme cela que j’ai rencontré Atrabile qui a voulu tout de suite publier mes travaux. J’ai fait pour eux plusieurs albums en noir et blanc.

Jason a reçu le premier Prix Jeune Albert à Nérac en octobre 2012
Photos : D. Pasamonik (L’Agence BD)

Mais j’aspirais à me voir publié en couleurs, dans un album traditionnel de 48 pages, ce qu’Atrabile ne faisait pas. J’ai monté un projet, réalisé 10 pages et le script entier d’une histoire, adressé mon dossier à plusieurs éditeurs. J’ai rencontré Jérôme Martineau des éditions Carabas au ComicCon de San Diego. Il s’est montré intéressé par le projet. Depuis, j’ai publié plusieurs albums chez eux.

C’était votre projet de venir travailler en France ?

Non , j’avais déjà commencé à bouger bien avant. J’ai d’abord vécu à Lyon pendant trois mois, où j’ai pris des cours de français. Puis j’ai passé dix mois à Bruxelles, enfin cinq mois à Paris.

Pourquoi la France et pas les États-Unis, comme bon nombre de vos concitoyens, à l’exemple de Lise Myrrhe ?

Parce que je voulais faire des albums et gagner ma vie ! C’était plus près, aussi... Et puis, Oslo était une ville trop chère pour un dessinateur de BD débutant.

Vous vous êtes posé aujourd’hui à Montpellier où vivent plein d’auteurs, comme Lewis Trondheim, par exemple.

J’aime Paris, mais c’est une trop grande ville, trop peuplée, trop bruyante... Je voulais vivre dans une petite ville. J’étais venu une fois à Montpellier pour une séance de dédicace et la ville m’a plu ! Et puis, c’est le sud de la France, le climat y est plus plaisant qu’à Oslo... J’ai rencontré Lewis Trondheim, en effet, dans une convention de BD. Cela fait six ans que j’habite là-bas, maintenant.

Low Moon par Jason
(c) Carabas
Low Moon par Jason
Éditions Carabas

Comment caractériseriez-vous votre dessin ?

Mon influence la plus importante est sans conteste Hergé. Pas seulement son trait, cette fameuse "Ligne Claire", mais surtout sa façon de raconter des histoires dans Tintin, son "storytelling". J’aime aussi Hugo Pratt pour la façon dont il ménage des silences dans ses histoires. C’est une autre influence... Mais c’est surtout le cinéma qui m’inspire, des réalisateurs comme Aki Kaurismäki, Jim Jarmusch, et puis tous ces auteurs de films noirs des années 1950, de vieux westerns, de nanars de science-fiction... Tout m’influence, en fait. J’aime tous les genres d’histoire.

Vos personnages sont comme dans un petit théâtre, les pieds posés à même la case, comme dans les comic strips des origines...

Je ne vais pas au théâtre. C’est un point de vue très commun dans les strips. Dans Little Orphan Annie, par exemple, il n’y a pas de changement d’angle à chaque image. Les personnages gardent très souvent la même pause d’une case à l’autre. C’est du récit que viennent les choses intéressantes et pas de la façon dont c’est dessiné.

On est surpris qu’un auteur comme vous ait besoin d’un scénariste, comme cela a été le cas avec L’Île aux cent mille morts, que vous avez cosigné avec Fabien Vehlmann.

J’ai effectivement un grand plaisir à écrire mes propres histoires, mais j’étais curieux de savoir comment on travaillait avec un scénariste. Je connaissais le travail de Fabien et nous avons discuté un jour à Angoulême de la possibilité de faire quelque chose ensemble. Il me proposa une histoire de pirates et j’ai répondu : "- Pourquoi pas ?" Nous avons donc fait ce livre ensemble. À l’avenir, cependant, je continuerai à écrire la plupart de mes histoires moi-même.

Athos en Amérique par jason
(C) Carabas
Athos en Amérique par Jason
Ed. Carabas

Vous avez respecté son scénario à la lettre ?

Oh, oui. Peut-être ai-je suggéré l’une ou l’autre solution graphique mais j’ai complètement respecté son texte.

Travailler avec un scénariste, c’est plus reposant, non ?

Je suppose, oui. Ce que j’ai appris de cette collaboration, c’est de mieux comprendre ce que j’aime dans la BD : inventer une histoire, des personnages et écrire les dialogues déroulant l’intrigue au fur et à mesure, ce qui est différent de recevoir un script dans lequel vous découvrez toute l’histoire en même temps. La réalisation du dessin est moins intéressante pour moi.

Vous êtes publié aux États-Unis depuis un certain nombre d’années. Vous y rencontrez un plus grand succès qu’en France ?

C’est à peu près équivalent. Mes trois marchés principaux sont la Norvège, les pays francophones et les États-Unis. J’ai d’autres traductions, notamment en allemand, mais ce sont des marchés moins importants. Ces trois marchés mis ensemble me permettent d’envisager de vivre de la bande dessinée, comme c’est le cas depuis ces sept dernières années. L’illustration m’occupe moins que la BD.

Vous avez reçu en octobre dernier le "Prix Jeune Albert" aux Rencontres de Nérac. Vous connaissiez Yves Chaland avant de recevoir ce prix ?

Oui. J’avais repéré son travail des les années 1980. Le premier ouvrage que j’ai découvert était Bob Fish. J’ai acheté ensuite ses autres albums aux Humanoïdes Associés. J’aime son trait, en particulier dans Le Cimetière des éléphants qui est mon album préféré. C’est un artiste fabuleux.

Le Secret de la momie par Jason
Ed. Atrabile

Vous arrivez à capter toutes les références auxquelles ses albums font allusion ?

Probablement pas. C’est plutôt le dessin qui me parle, cette "Ligne Claire" qui vient d’Hergé... Mais j’avoue que ce que j’aime chez Hergé, c’est son ancien travail, celui des premiers Tintin, quand le dessin était plus simple, moins chargé de décors. Les albums plus récents où il s’applique à ce que tout soit parfait dans les moindres détails me semblent... "trop parfaits" justement. J’aime, comme dans mon dessin, qu’il y ait un peu d’espace laissé aux personnages, au lecteur...

Peut-être êtes-vous plus américain qu’il n’y paraît. Votre approche est plus schématique que celle d’Hergé. Vous êtes plus Peanuts que Tintin...

Vous avez raison, Les Peanuts sont aussi une influence importante en ce qui me concerne. La simplicité du dessin et de l’histoire, c’est ce qui me plaît. Je ne suis pas un dessinateur très rapide, en fait. Un album dont je fais les textes et le dessin me prend six à sept mois. Je fais quelques petits croquis mais le gros du travail, je le fais directement sur l’original. Souvent, mon scénario n’est pas encore fini lorsque je commence l’album. Je me laisse une grande part d’improvisation dans son l’élaboration.

J’ai tué Adolf Hitler par Jason
Ed. Carabas

Quels sont vos projets ?

J’achève mon prochain album pour Carabas, Le Détective triste, prévu pour mars prochain. J’ai d’autres projets en cours, pour Glénat notamment.

Et pour la Norvège ?

Mes livres français sont publiés là-bas.

Est-ce qu’il y a une façon norvégienne de faire de la BD ?

Peut-être. Il y a dans mon travail une sorte de mélancolie très scandinave que l’on retrouve dans les films de Bergman, par exemple. Mais la plupart de mes influences sont étrangères et mes dernières histoires ont été conçues à Montpellier. Le lien avec mon pays est de plus en plus ténu, je pense.

Propos recueillis par Didier Pasamonik

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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