Interviews

Jean-Claude Denis : "Le style se cache quelque part entre les mots"

Par Nicolas Anspach le 8 décembre 2008                      Lien  
Jean-Claude Denis fait partie des auteurs qui abordent l’humain avec une rare sensibilité. Dans « Nouvelles du Monde Invisible », il se met en scène au travers d'une succession de nouvelles consacrées à l’un des cinq sens : l’odorat. Il nous parle de ce livre particulier.

Jean-Claude Denis : "Le style se cache quelque part entre les mots"Pas facile d’évoquer l’odorat en bande dessinée, de même que toutes ces choses que vous (res)sentez...

Ces sensations sont très personnelles mais les émotions auxquelles elles renvoient sont partagées par tous. Je pouvais donc en parler, pas spécialement en décrivant les odeurs, mais en les remettant dans un contexte. Je voulais jouer avec un sens qui est particulièrement lié aux émotions et aux souvenirs. Ce ne sont pas mes souvenirs qui sont importants, mais ces évocations vont permettre aux lecteurs de s’accrocher à leurs propres sensations. Le lecteur devra donc boucher les vides, interpréter à sa façon les fins ouvertes. Je laisse des points de suspensions de manière volontaire.

Parler de soi, est-ce facile ?

Cela n’a jamais été l’objectif. Si je devais parler de moi, je ferais des livres très différents. J’aborde plutôt le monde qui m’entoure, et je le partage avec d’autres. Évidement, il y a un prisme : mon interprétation !

Extrait de "Nouvelles du Monde Invisible"

Vous puisez donc ces récits dans votre imaginaire ?

Non. C’est l’une des particularités de cet album. J’ai souvent intégré des éléments personnels et autobiographiques dans des récits de fiction. J’ai voulu, dans
Nouvelles du Monde Invisible, être extrêmement proche de la réalité. J’ai voulu raconter des évènements qui se sont réellement passés J’ai voulu raconter des choses qui se sont réellement passées, de la manière la plus fidèle possible. Il se trouve que c’est une entreprise impossible. Dès que l’on essaie de représenter la réalité, elle vous échappe en permanence, et on arrive finalement à un résultat qui est ni plus ni moins proche de ce que je fais habituellement…

Vous n’avez pas l’impression d’être impudique ?

Non. Car je prends soin de ne pas montrer les choses que l’on ne peut partager avec les autres.

Votre style graphique pour cet album s’est simplifié.

C’est quelque chose qui m’accompagne depuis mes débuts. Le travail sur une bande dessinée est quelque chose que je cherche à contrôler, j’essaie que chaque détail soit pesé ou soupesé. Cela entraîne parfois un dessin un peu raide. Je ne suis pas un excellent dessinateur et parfois, j’ai souffert de l’acharnement à faire un dessin réussi, en sachant qu’au bout du compte, il y a beaucoup d’erreurs qui subsistent. Quand je dessine une illustration, ce qui m’arrive souvent, j’ai plus de spontanéité et plus de naturel. Ce sont des carnets de croquis que je sais que personne ne va regarder. Pour cet album-ci, je me suis un peu approché de ce naturel et de cette spontanéité…

Nouvelles du Monde Invisible

Ce sont des dessins proches de ceux publiés dans le roman, qui accompagnait "Quelques Mois à l’Amélie" ?

Oui. Ils sont très proches de ce que je peux faire d’après nature, de ce que je peux faire sur le vif, voire de ce que l’on appelle les "dessins de téléphone". Ces petits papiers sont souvent remplis de dessins qui sont très vifs, très justes. C’est fait de façon très naturelle, alors que parfois on passe trois heures sur un dessin pour qu’il soit le mieux possible, avec un résultat raide qui n’exprime pas grand-chose. Là, j’ai essayé d’être plus naturel et plus spontané.

Vous avez écrit un roman. Ici, c’est une nouvelle qui accompagne votre dernier livre.

Ce qui me pousse à faire de la bande dessinée, c’est d’abord le fait de raconter des histoires. J’essaie d’être le meilleur illustrateur possible de mes histoires. La façon de les raconter, au fil des années, s’est un peu raffinée. Cela fait que le texte devient indispensable et le dessin superflu. J’ai eu envie d’écrire un roman et aussi de faire des textes seuls, comme celui qui suit ces "Nouvelles du Monde Invisible". Mais cela ne remplace pas la bande dessinée. La bande dessinée est irremplaçable car on peut faire passer des choses entre le texte et le dessin. Je ne tiens pas à réaliser des bandes dessinées bavardes. Même si le spectre narratif est assez large, on peut se servir d’une technique ou d’une autre. L’essentiel est de rester cohérent avec son sujet. Mon sujet, dans ce livre, était plus de l’ordre de l’écriture que du dessin. J’ai donc eu envie d’un dessin plus léger pour être en phase avec le texte.

Votre écriture a-t-elle changé lorsque vous avez scénarisé une histoire pour Dupuy et Berberian ?

Nous sommes tellement proches que je n’ai pas eu besoin de faire un grand écart ! J’ai rédigé ce scénario comme si je me l’adressais ! D’ailleurs, ils l’ont dessiné avec beaucoup de naturel, comme si c’était le leur.
Nous ne sommes pas très éloignés au niveau de l’inspiration. Leur univers et le mien sont assez proches. Un Peu Avant La Fortune contient des éléments que nous abordons depuis longtemps : la place de l’imaginaire et du rêve dans notre quotidien. Je ne m’en suis pas privé d’en utiliser pour les passages aquatiques du récit. Ces scènes sont importantes. Elles permettent de faire progresser l’histoire en partageant l’imagination du personnage. Elle prend le pas sur la réalité.

Nouvelles du Monde Invisible

Vous aimeriez dessiner un de leurs scénarios ?

Ce serait une possibilité. Mais je me sens plus un raconteur d’histoires qu’un dessinateur. Je n’ai travaillé qu’à de rares occasions avec des scénaristes. Par exemple, j’ai illustré un conte de noël, scénarisé par Jean-Claude Forest. Il me remettait un story-board. Sur chacune des premières pages, je m’interrogeais sur la manière de mieux servir le scénario. Je tombais dans ses marques. Au bout de quelques pages, j’en ai eu marre et j’ai illustré docilement le texte. Je n’y apportais pas grand-chose et cela me frustrait… A la fin du livre, j’ai pris la décision de ne plus jamais illustrer l’histoire d’un autre. Je m’y suis tenu, excepté quelques collaboration pour des collectifs.

Claude Gendrot, qui fut votre éditeur chez Dupuis, a accompagné ce livre.

C’est un homme généreux et tendre ! Il a un regard bienveillant sur les choses. Claude donne de son temps et de son énergie en prenant votre projet. Il le fait sien ! Du coup, cela entraîne une relation d’échanges très agréables. J’ai été frappé par sa disponibilité quand j’ai écrit le roman de Quelques Mois à l’Amélie. PLG, l’éditeur, n’avait personne sous la main pour le corriger. Claude s’est chargé de ce travail. Il passé énormément de temps à lire le roman. Je me souviens de nos conversations où nous discutions d’une virgule ou de la tournure d’une phrase. Ces conditions d’échange rares ont créé une amitié très forte !

Pourquoi avez-vous eu envie d’écrire ce roman ?

Par curiosité ! Je lis beaucoup de romans. Je me suis un jour demandé à quoi ressemblerait un livre où les dialogues d’une bande dessinée, les compositions, les éléments elliptiques, que le lecteur ne voit pas, seraient décrits par un texte. Est-ce que cela ressemblerait à un roman ? Oui, forcément ! Mais sera-t-il bon ou mauvais ? Quelques Mois à l’Amélie se prêtait bien à cela. Ce livre parle d’un écrivain. A la fin de l’histoire, le personnage tient un paquet entre ses mains. On sait qu’il s’agit d’un roman, puisque l’on voit les premières lignes. J’ai eu envie de poursuivre ce texte. Ce fut une expérience très agréable qui m’a donné envie de continuer à écrire. J’ai beaucoup de plaisir à décrire les choses sous la forme d’un texte. Parfois la description d’une situation est difficilement interprétable en bande dessinée. On risque de perdre quelque chose. Nouvelles du Monde Invisible contient une nouvelle dactylographiée pour cette raison. J’éprouve un plaisir simple à voir mes mots agencés. Le style se cache quelque part entre les mots.

(par Nicolas Anspach)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

🛒 Acheter


Code EAN :

Lire les chroniques des autres albums de Jean-Claude Denis :
- Nouvelles du Monde Invisible
- Le sommeil de Léo
- Bélem
- Un peu avant la fortune (avec Dupuy & Berberian)
- Quelques mois à l’Amélie

Photo (c) Nicolas Anspach
Illustrations (c) Jean-Claude Denis & Futuropolis

 
CONTENUS SPONSORISÉS  
PAR Nicolas Anspach  
A LIRE AUSSI  
Interviews  
Derniers commentaires  
Abonnement ne pouvait pas être enregistré. Essayez à nouveau.
Abonnement newsletter confirmé.

Newsletter ActuaBD