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Jean-Denis Pendanx ("Svoboda", "Jeronimus") : « La peinture permet de ralentir la narration ! »

Par Nicolas Anspach le 26 août 2011                      Lien  
Après des albums de facture assez classique, {{Jean-Denis Pendanx}} nous avait étonné en signant des œuvres plus picturales : {Abdallahi} et {Jéronimus} marquant une évolution sensible du style de l’auteur. En utilisant la peinture acrylique, il pouvait mieux exprimer son ressenti à travers les jeux de lumière ou verser vers des scènes plus expressionnistes. L’auteur revient à une technique plus traditionnelle avec {Svoboda}.

Jean-Denis Pendanx ("Svoboda", "Jeronimus") : « La peinture permet de ralentir la narration ! »Votre style graphique dans vos premières créations était relativement classique. Pourquoi avez-vous opté pour une technique plus picturale pour Abdallahi ?

J’avais envie de changer de technique, d’évoluer. J’ai signé plusieurs livres pour la jeunesse avec Olivier Ka. L’un deux se déroulait dans la préhistoire. J’ai réalisé pour ce livre des illustrations plus picturales en utilisant de la peinture. Lorsque j’ai accepté de dessiner Abdallahi, un scénario de Christophe Dabitch, je me suis accordé une longue période de recherche. Pourquoi ne pas utiliser la peinture pour ce récit ? Ce matériau m’offrait la possibilité de faire une allusion aux peintres orientalistes de l’époque. J’ai opté pour de l’acrylique, tout en hésitant : cette technique picturale se prêtait bien à l’histoire. Mais en même temps, il est déconseillé, en bande dessinée, de jouer sur des effets trop tranchés. Heureusement, le temps avait beaucoup d’importance dans cette histoire. La narration du récit comportait une certaine lenteur, avec des traversées du désert, etc. Il en va de même avec Jeronimus, qui est aussi un récit au long court. En fait, la peinture est un excellent moyen pour marquer le temps, ou en tout cas ralentir la narration.

Comment avez-vous rencontré Christophe Dabitch ?

Nous habitons tous les deux Bordeaux. Nous avons fait un voyage en Afrique ensemble, en compagnie de Nicolas Dumontheuil. Nous avons eu envie de travailler ensemble après ce voyage. Cela faisait de nombreuses années que je souhaitais adapter en bande dessinée la vie de René Caillié. Je ressentais le besoin de dessiner une Afrique moins caricaturale, moins violente que dans Les Corruptibles. Christophe s’est alors lancé dans son premier scénario de BD. Il a trouvé l’angle idéal pour raconter les voyages de René Caillé.

Pourquoi cet attachement à l’Afrique ?

J’y suis allé plusieurs fois et j’y ai même travaillé quelques temps. L’un des albums de Labyrinthes (avec Dieter et Serge Le Tendre, Glénat) se déroule au Dahomey, le Bénin actuel. Ensuite, dans Les Corruptibles, j’ai dessiné un pays fictif qui était un mélange toutes les régions de l’Afrique de l’ouest. J’avais adapté cette histoire d’un roman de Alain Brezault qui montrait une Afrique caricaturale et moderne. Je voulais partager une autre vision. Quand je suis tombé sur les journaux de René Caillié, j’ai eu envie de raconter son histoire. C’est le premier Occidental a être revenu vivant de Tombouctou. Il était atypique par rapport aux voyageurs de son époque. Contrairement aux autres explorateurs, il n’avait pas de commanditaire. Christophe et moi avons réinterprété son journal de voyage. Ses écrits sont intéressants, mais pas captivants. Il n’évoque pas ses sentiments, par exemple…

Extrait de Jeronimus T3
(c) Pendanx, Dabitch & Futuropolis.

Est-ce difficile de trouver un juste équilibre en racontant l’itinéraire de personnage existant, sans verser dans le didactisme ?

L’angle est important ! Christophe est journaliste et n’avait à cette époque-là pas une grande culture de la bande dessinée. Il apportait beaucoup de soin à passer du temps pour analyser le contexte social et historique de l’époque. Abdallahi et Jeronimus racontent des histoires vraies. Pour ce dernier récit, par exemple, c’était intéressant d’évoquer le naufrage du Batavia sous le regard d’un personnage antipathique. Nous avons fait une véritable étude psychologique de Jeronimus, le responsable d’un projet de mutinerie. Comment un homme cultivé et instruit peut-il devenir un dictateur ?

Pourquoi vous êtes-vous intéressé au Batavia ?

Par hasard ! Christophe m’avait offert un livre à ce sujet pour mon anniversaire. L’ouvrage renvoyait à un autre livre, L’Archipel des hérétiques de Mike Dash.

Ce dernier livre était beaucoup plus complet que le précédent. Je lui prêté ces bouquins. Nous ne connaissions pas l’histoire de ce naufrage… Celle-ci était passionnante et méritait d’être racontée en BD. À l’instar de Abdallahi, nous avons décidé de suivre la grande histoire, à travers le regard de certains personnages.

Les Hollandais ont réalisé une réplique grandeur nature du Batavia. Je me suis rendu sur le site pour réaliser des photographies. J’ai aussi visité les vieilles rues d’Amsterdam et le Rijksmuseum, le musée consacré à l’art ancien pour m’imprégner de l’ambiance.

Extrait de Jeronimus T3
(c) Pendanx, Dabitch & Futuropolis.

Cela se ressent dès le premier tome. Vous vous êtes imprégné des ambiances des tableaux de l’époque.

Effectivement. J’ai même réalisé quelques clins d’œil à ces peintres en piochant des éléments de décors de leurs peintures pour mon travail.

Le premier tome de Jeronimus est fort sombre, alors que le troisième est lumineux.

L’histoire était assez noire et nous voulions que ces ambiances pesantes se reflètent dans le dessin. Et puis, le premier volume se déroule en l’hiver. Le suivant a pour cadre la traversée du Batavia, et je devais dessiner beaucoup de scènes de nuit. Pour le dernier album, nous avons joué sur les contrastes. Le batavia s’est échoué au large des côtes australiennes, près d’îles paradisiaques, durant l’été. J’ai pu dessiner les lagons, la mer verte-bleue, etc. C’est l’histoire qui nous a dicté la couleur !

Aviez-vous des témoignages sur la vie des naufragés sur les îles ?

Non. Rien n’a été écrit. J’ai retrouvé des gravures un peu naïves représentant le drame. Mais elles ont été réalisées après les événements. J’ai donc dû interpréter leurs habitudes de vie. Les décors étaient simples et il était certain qu’ils aient utilisé les toiles des voilures et de la boiserie du bateau pour construire des tentes.

La couleur n’est-elle pas encore plus une question de ressenti ?

Effectivement. Je me suis imprégné des œuvres de certains orientalistes ou peintres flamands pour les décors, mais aussi de photographies de film. Mais j’essaie de réaliser les couleurs en m’éloignant de ces références. Je ne voulais pas verser dans un réalisme total. J’ai découvert grâce à la peinture que l’on peut jouer sur les émotions en allant vers un graphisme plus expressionniste.

Pour Abdallahi, je me suis plongé dans les peintres impressionnistes, comme par exemple Monet. J’ai aussi appris à réaliser des décors lumineux plus contrastés. On peut plus facilement jouer avec la lumière en peinture qu’avec l’encre de chine !

À quel moment Jeronimus a-t-il sombré dans la folie, selon vous ?

Il était probablement un adepte du courant anabaptiste, qui était considéré à l’époque comme un mouvement sectaire. Il avait une manière de voir la vie différente de ses contemporains. Je crois qu’il a subi une longue descente et que son état psychologique s’est altéré. Il a été réellement amoureux de Lucretia, et il a tout fait pour la posséder. Il arrivera à ses fins sur l’île, après le naufrage. Cet amour-désespoir l’a sans doute fait vaciller complètement.

Ensuite, il a probablement été poussé par son instinct de survie. Il ne savait pas nager et il a été le dernier à quitter le bateau. Il a survécu à la mer, sans doute s’est-il agrippé à un morceau de bois à la dérive. C’était le seul gradé parmi les survivants. Le groupe en a donc fait son chef. C’est à ce moment-là où il est réellement devenu fou. Les personnes qui se sont penchés sur cette histoire le décrivent comme un psychopathe. C’est faux car il n’a jamais tué personne. Il manœuvrait les autres pour qu’ils commettent des meurtres à sa place. Je le rapprocherais plus d’un dictateur, comme Hitler ou Staline. Il a voulu instaurer une société totalitaire sur cette île.

Extrait de Abdallahi T3
(c) Pendanx, Dabitch & Futuropolis.

Vous travaillez actuellement sur une nouvelle série avec Kris.

Oui. Je travaille au lavis sur Svoboda. Ce mot russe veut dire « liberté ». Nous racontons l’errance d’une armée de 50.000 hommes qui se retrouve bloquée en Russie durant la Guerre civile. Ces soldats ont réquisitionné des trains blindés pour traverser la Russie et revenir en République tchèque. Je reviens à un dessin semi-réaliste et je travaille au lavis. Isabelle Merlet pose ses couleurs ensuite. Cette histoire sera développée en huit ou neuf albums. Nous allons essayer d’en publier deux par an.

J’essaie d’adapter mon graphisme au contenu de chaque histoire. Après avoir travaillé cinq ans en couleur directe, j’ai fini le troisième tome de Jeronimus en étant épuisé. Je ne me voyais pas réaliser un autre album avec de la peinture directement.

Vous utilisez un grand format pour vos planches…

Oui. Ce format s’est imposé quand je travaillais la peinture. J’utilisais des pinceaux assez épais, car j’essaie avant tout d’avoir une vibration dans mon dessin. Je préfère la vibration à la précision. J’y allais par petites touches. La peinture acrylique n’est pas très fine, et je devais travailler sur un grand format. Cela me permet également de me lâcher.

Svoboda - Extrait du T1
(c) Pendanx, Kris & Futuropolis

(par Nicolas Anspach)

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Jean-Denis Pendanx, sur Actuabd.com, c’est aussi les chroniques de :
- Svoboda ! T1
- Jeronimus T3, T2, T1
- Abdallahi T1.

Lire une interview de Kris où il évoque Svodoba ! (Avril 2011).

Photo de l’auteur : (c) Nicolas Anspach

 
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