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Jean-Luc Cornette : "Avec ’La Nuit du Papillon’, je voulais m’intéresser à la temporalité"

Par Nicolas Anspach le 21 novembre 2006                      Lien  
Ces dernières années, {{Jean-Luc Cornette}} avait troqué ses encres de chine contre un traitement de texte, et collaborait avec des dessinateurs pour mettre en images ses idées. « {La Nuit du Papillon} » marque son retour au dessin.

L’auteur met en scène une histoire d’amour entre un homme, Elias, et une femme-papillon que ce dernier va voir naître et mourir. Une très belle histoire où Cornette met en scène le quotidien déprimant d’Elias, qui va basculer légèrement vers le fantastique, l’univers duquel la femme-papillon est issue.

« Visite Guidée », le précédent album que vous aviez signé en tant qu’auteur complet, date de 2001. Avez-vous réalisé la « Nuit du Papillon » dans la douleur ?

Effectivement. Ceci dit, je n’ai pas chômé depuis lors. J’ai scénarisé une dizaine de bande dessinée. La Nuit du Papillon me ressemblait, et j’avais vraiment envie de la dessiner. C’est un désir assez rare : Mes histoires correspondent généralement plus à d’autres dessinateurs qu’à moi-même.
Voyant mes idées illustrées avec autant de finesse par d’autres, je doute facilement de mon style graphique. J’éprouve ainsi une véritable souffrance à dessiner. C’est paradoxal, car j’ai également besoin de continuer dans cette voie. J’arrive aujourd’hui à concilier mes envies de dessin, en travaillant peu et lentement sur mon histoire. Mon éditeur, Glénat, a été compréhensif et m’a permis ce délai. En contrepartie, je ne m’embarque, en tant qu’auteur complet, que dans des one-shot...

Jean-Luc Cornette : "Avec 'La Nuit du Papillon', je voulais m'intéresser à la temporalité"
Extrait de "La Nuit du Papillon"
(c) Cornette / Glénat.

C’est étrange que vous soyez en phase avec certaines de vos histoires, et d’autres pas ...

Je ne l’analyse pas moi-même ! En fait, lorsque j’ai inventé ce récit, j’éprouvais une réelle envie de dessiner à nouveau. J’ai donc réfléchi à un projet en y incorporant des thèmes qui m’étaient chers. Ceci dit, lorsque j’écris pour un autre, je ne pense pas systématiquement à mon collaborateur. Le synopsis du tome 1 de Au Centre du Nowhere, par exemple, a été rédigé bien avant que Michel Constant ne s’intéresse à cette histoire. J’ai retravaillé l’album en fonction de ses idées, de ses souhaits. Il en est allé de même avec Stéphane Oiry pour le tome 1 des Passes-Murailles. C’est seulement à partir des tomes 2 ou avec Karo pour Câlinée Sous X [1] (à paraître chez Carabas) qu’il y a eu de véritables discussions préalables avec les dessinateurs.
La Nuit du Papillon est un album qui m’est plus personnel que les autres livres, par le fait même que je m’y suis consacré seul. Même si, dans mes autres BD, il y a une forte part consciente et inconsciente de mon vécu et de mes émotions...

Finalement, vous vivez avec ce récit depuis cinq ans. N’en n’avez-vous pas été lassé ?

Non. J’ai réalisé la dernière moitié des pages en sept mois, après m’être arrêté de dessiner pendant une grosse année. J’avais oublié la trame de l’histoire. Il a fallu que je relise mes planches et mon synopsis pour éviter les incohérences. Avec les années, je m’aperçois que mes histoires me ressemblent toujours, et me correspondront sans doute encore pendant de nombreuses années. Ma vision du monde et de l’homme se modifient, mais le noyau de mon être ne changera plus. Aujourd’hui, j’ai une écriture suffisamment mature pour réaliser des histoires qui viennent du plus profond de moi...

La naissance d’un enfant-papillon
... qui deviendra une très belle femme-papillon

Comment décririez-vous votre style graphique ?

Je n’ai pas de constance graphique. J’ai trop tendance à vouloir expérimenter de nouvelles techniques ou de nouveaux styles. Cependant, je ne couche une illustration sur le papier qu’après avoir réfléchi à la lisibilité de la page. Je privilégie avant tout la fluidité de la narration. En dessin, je n’atteindrai jamais mon idéal et n’arriverai sans doute jamais à dessiner l’image que j’ai dans la tête. Ce qui n’est pas le cas, pour mes scénarios.

N’avez-vous pas envie de dessiner à nouveau des histoires pour enfants, qui sont plus légères...

Détrompez-vous, elles ne le sont pas toutes ! Cela fait maintenant quelques années que je m’adresse aux adultes. Je souhaite parler de mes préoccupations... d’adulte. Ceci dit, je travaillerai sans doute à nouveau pour les enfants. D’ailleurs les histoires courtes que je scénarise dans Spirou Hebdo sont destinées à ce lectorat.

Des préoccupations d’adulte ? vous abordez l’introspection ?

C’est délicat de vous répondre par l’affirmative. Sinon mes connaissances vont guetter chacune de mes pages et imaginer des parallèles entre des situations racontées et ma propre vie. Mais il y a forcément un peu d’introspection dans mes livres, même s’ils restent des fictions. J’ai beaucoup de pudeur, et cela m’empêche de faire de l’autobiographie ou de l’autofiction. Ceci dit, je n’ai pas l’impression que ma vie soit spécialement intéressante à raconter aux lecteurs...

Extrait de "La Nuit du Papillon"
(c) Cornette & Glénat.

D’autres le font très bien ... Je pense notamment à Craig Thompson...

J’adore les lire. Mais je préfère créer des univers et des personnages pour parler un peu de moi au travers d’eux !

Finalement vous nous offrez une vision épurée de l’amour avec cet album...

Effectivement ! Même si l’histoire est très morale, elle n’en est pas pour autant joyeuse. Le personnage principal passe à côté de choses essentielles par manque de chance. C’est un homme bien. Pourtant, il passe inaperçu, surtout vis-à-vis des filles. Elles ne le remarquent pas. Alors qu’il est intéressant, gentil et a une morale. En fait, j’étais en pleine réflexion sur les relations hommes/femmes lorsque j’ai écrit ce récit. Pourquoi faut-il faire du bruit pour être remarqué par une fille ? Alors que ceux qui en font le plus sont souvent malhonnêtes ! Pourquoi les hommes plus discrets sont-ils souvent transparents pour elles ?

Pourquoi avez-vous apporté une vision onirique au récit ?

Je voulais m’intéresser à la temporalité. Le personnage principal va vivre 80 ans, alors qu’un papillon ne vit qu’un jour. Ces deux êtres vont vivre une histoire d’amour, qui ne sera pas au même rythme. Il me semblait opportun de placer le papillon dans son univers, et d’y amener mon personnage. Cela apporte un trouble supplémentaire...

La Nowhere Beer
offerte par la Librairie Slumberland de Louvain-La-Neuve lors du vernissage d’une exposition.

Le deuxième tome de Au Centre du Nowhere vient de paraître. Nous retrouvons les mêmes personnages, considérablement vieillis... Pourquoi ?

C’était l’esprit de la série. Nous avions décidé Michel Constant et moi de traiter d’une époque différente par album. Elmore et sa femme ont près de 80 ans ! En prenant de la bouteille, Elmore est devenu beaucoup plus cool. Il distille tout ce qu’il peut, malgré la prohibition. Il profite de la vie et boit une partie de sa production.
Le prochain album se déroulera dans les années ’50 et traitera de Rock’n Roll...

A ce rythme là, la série sera clôturée au tome 5 !

Effectivement ! Elle est prévue en cinq albums. Mais nous ne nous interdisons pas d’approfondir l’une ou l’autre époque si la série a du succès.

Extrait de "Câlinée Sous X" (à paraître)
(c) Karo, Cornette & Carabas.

(par Nicolas Anspach)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN :

[1En 2005, Jean-Luc Cornette nous parlais déjà de ce projet : « Au travers de Câlinée sous X, nous raconterons la vie quotidienne et sentimentale d’une jeune fille, Kyra, à deux époques de sa vie ».

 
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