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Jean Mardikian (co-fondateur du Festival d’Angoulême) : « Il faut faire d’Angoulême une appellation contrôlée ! »

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 14 janvier 2008                      Lien  
Jean Mardikian, co-fondateur du Festival de la BD à Angoulême, quitte tous ses mandats électifs en mars prochain. Dans sa retraite, il va fonder un nouveau festival de bande dessinée… en Arménie !

Il faisait tellement partie du paysage angoumoisin qu’on n’imaginait pas qu’il puisse tout abandonner un jour. C’est pourtant ce qu’a fait Jean Mardikian, 73 ans, doyen des élus municipaux d’Angoulême et l’un des trois fondateurs du Festival International d’Angoulême. Après 35 ans de vie publique, ce fils d’immigré arménien raccroche les gants et ne se présentera pas aux prochaines Municipales en mars 2008. Adjoint au maire chargé de l’urbanisme, conseiller à la COMAGA, président du CNBDI jusqu’en décembre dernier, président de l’office HLM Opac, il abandonne tous ces mandats pour mettre un point à une carrière politique commencée en 1971. Nous avons voulu donner à l’occasion de son départ un coup de projecteur sur ce grand serviteur de l’État et corollairement de la bande dessinée.

Jean Mardikian (co-fondateur du Festival d'Angoulême) : « Il faut faire d'Angoulême une appellation contrôlée ! »
Jean Mardikian, Claude Moliterni et Francis Groux, les fondateurs du Festival d’Angoulême
Photo : DR

Pouvez-vous nous rappeler dans quelles circonstances vous avez fondé le Festival d’Angoulême ?

En 1971, je fus élu dans une équipe municipale qui me confia la délégation de la culture. Et je fus donc adjoint aux affaires sociales et culturelles, jusqu’en mars 1977. Francis Groux était aussi dans cette équipe, conseiller municipal avec la présidence d’une grande commission "Enseignement, jeunesse, culture". Dès 1972, j’ai mené une action en direction de la lecture publique avec les libraires et la bibliothèque municipale en organisant une quinzaine de la lecture. Cette quinzaine eut un immense succès. Dans ces deux semaines furent introduites deux journées consacrées à la bande dessinée, grâce à Francis, passionné de BD et de fanzines lui-même. L’année suivante, constatant le succès de la rencontre des dessinateurs avec le public, jeune et moins jeune, nous n’avons pas hésité en réfléchissant à cet engouement à pointer qu’il y avait une occasion à saisir et sommes allés à Lucca, invité par Claude Moliterni, pour observer le salon des Fumetti en présence de Bertieri, de Traini et bien d’autres. C’est là que je fais le connaissance de Hugo Pratt. Moment inoubliable. Avec Francis et Claude, nous n’hésitons pas à nous lancer dans l’organisation du premier salon international de la bande dessinée à Angoulême. Le dernier week-end de Janvier 1974, les grands de l’époque étaient présents dans la capitale charentaise qui recevait déjà plus de dix mille visiteurs. Nous venions, tous les trois, sans présumer de l’avenir, de fonder le plus bel événement consacré au 9ème art.

Jean Mardikian avec Dominique Brechoteau (FIBD), le président du conseil général de la Charente Michel Boutant, Georges Wolinski, et la présidente du Conseil régional de Poitou-Charentes Ségolène Royal
Photo : D. Pasamonik (L’AgenceBD)

Vous avez accompagné son développement en exerçant des responsabilités politiques. Est-ce que votre position a été un avantage ou un inconvénient ?

Accompagner le développement d’un événement n’est pas antinomique d’une responsabilité politique, pourvu que l’on ne s’en serve pas comme tremplin pour ses propres ambitions. Ma position d’adjoint à la culture a beaucoup servi le Salon devenu Festival, car je fus le relais permanent entre le Festival et les collègues élus. Faire comprendre l’évènement à d’autres collectivités et à l’État, du fait d’une fonction d’élu favorise et donne des clés d’entrée. Certes, le fait d’appartenir à une équipe municipale peut souvent vous marquer d’une étiquette politique partisane, mais la conviction d’action culturelle que l’on mène, doit l’emporter sur ce fait supposé négatif et, au contraire, se transcender, en étant transparent. Je n’ai jamais eu de difficultés de dialogue avec quiconque. Et, si je prends comme exemple de ce constat, mes rapports riches et sincères avec David Caméo, qui fut mon successeur en mars 1977 et à qui j’ai succédé en 1989, les observateurs diront que l’un et l’autre n’ont servi que la cause culturelle dans tous ses domaines dont la bande dessinée. Nous avons été les enfants de l’imagination au service des créateurs et des publics.

Jean Mardikian avec Albert Uderzo
Photo : DR

Quels ont été, selon vous, les moments-clés qui ont fait passer ce petit festival de province à une référence mondiale ?

Il doit y avoir plusieurs moments-clés. Je vais en nommer deux, pour moi essentiels.
Janvier 1977 : C’est l’année de la présence d’Hergé à Angoulême. Grâce à Louis Gérard, alors responsable de Casterman en France, nous avons eu le plaisir mais surtout l’honneur, de l’accueillir dans notre modeste événement consacré dans une ville moyenne de France, celui considéré encore aujourd’hui, comme le plus grand des grands. Nous recevions déjà quelques 50 ou 60 000 visiteurs , on parlait de nous dans beaucoup de médias écrits ou télévisuels, de pays européens et américains, mais nous nous considérions comme des amateurs, certes éclairés, mais en mal de reconnaissance et de professionnalisation. Hergé nous a institutionnalisés par sa présence durant ces trois jours.
Janvier 1985. C’est le Salon de la reconnaissance de l’événement , mais aussi de la bande dessinée au niveau des plus hautes instances politiques : François Mitterrand, Président de la République, accompagné de Jack Lang ministre de la culture, après avoir visité le Salon d’Angoulême déclare vouloir créer à l’instar des grands travaux parisiens ( pyramide du Louvre, arche de la Défense, opéra de la Bastille......) un grand projet présidentiel en Région, dédié à la bande dessinée et à l’image. C’est ainsi que fut édifié , sur une architecture de Roland Castro, à partir d’une friche abbatiale et industrielle ensuite, le Centre National de la Bande dessinée et de l’Image, appelé communément le CNBDI.
Cet établissement fut fondé sur trois grands principes, la conservation et la diffusion patrimoniales ; la formation et la recherche ; l’ouverture sur les nouvelles technologies. Il fut inauguré en Janvier 1990 avec une exposition remarquable de François Schuiten et Benoît Peeters dont on a encore un souvenir ému. Cette initiative présidentielle a renforcé, quoiqu’on en dise, le Festival international de la bande dessinée par le fait d’une permanence active du 9ème art dans les esprits, dans la recherche, dans la création et dans l’économie de la filière qui se prolonge à l’animation. L’aboutissement de cela étant l’institutionnalisation du CNBDI par la création d’un Établissement Public de Coopération Culturelle à spécificité industrielle et commerciale (EPCC) auquel s’est adjointe la Maison des Auteurs.

David Caméo et Jean Mardikian en 1993. Ils ont sauvé le Festival d’Angoulême de la faillite.
Photo : DR

Le Festival et vous-même ont eu des rapports avec des élus de droite comme de gauche. "L’Affaire Boucheron" du nom de cet élu socialiste convaincu de malversations a bien failli faire collapser votre création. Y a-t-il un moment où vous vous êtes dit : "C’est foutu !" ?

« L’affaire Boucheron » a eu des répercussions graves sur l’ensemble de la Collectivité et par conséquent sur le Salon international de la Bande Dessinée. Aucun des fondateurs de l’évènement devenu référence mondiale, comme vous le précisez en formulant la question précédente, n’a pensé un seul instant que c’était " foutu ". Cependant il a fallu ramer, chercher des ressources nouvelles, des conditions de faisabilité qui ne portent pas préjudices au Salon et à ceux qui y ont toujours cru : les artistes, les éditeurs, les prestataires, la presse écrite et audio-visuelle, les élus, et surtout le Public. Personnellement, j’ai souffert de ces moments. Adjoint à la culture de Georges Chavanes, alors Maire d’Angoulême qui prît à bras le corps le difficile et incompréhensible héritage néfaste de Jean-Michel Boucheron, me proposa d’inventer de nouvelles formules
du type biennale, du type réduction de la dimension, etc. Mais rien n’était satisfaisant et ne recueillait l’adhésion de ceux et celles impliqués dans l’organisation du Salon. Georges Chavanes ne m’a jamais abandonné, et au-delà de ma personne, n’ a jamais imaginé abandonner le salon. Un jour , il m’amena à Paris, au restaurant de l’Assemblée Nationale (il était député de la Charente) pour déjeuner, oh ! un repas très frugal, avec Michel-Édouard Leclerc.
Au dessert, il me laissa seul avec lui. Et là, ensemble, nous avons élaboré un vrai plan de sauvetage , c’est à dire un plan média accompagné d’un plan marketing et d’un financement sur 5 ans. C’était un vrai plan de mécénat pour la ville, par conséquent, pour la manifestation, avec des opérations d’aide aux jeunes artistes par la création de maquettes destinées à la communication, d’aide à la
formation de vendeurs de produits culturels dont les albums de BD. Avec de la volonté, de l’imagination et de la coopération intelligente, on trouve toujours devant soi un chemin qui va vers la succès.

Dans les premières années du Festival d’Angoulême. De g. à Dr. Harvey Kurtzman, André Franquin, Burne Hogarth et Francis Groux
Photo : DR

Le Festival et les institutions angoumoisines viennent de passer un nouveau cap : la création d’un EPCC, création dont vous avez été un des principaux artisans, et le Festival confié à un prestataire extérieur pour un contrat de dix ans. Vous vous retirez avec le sentiment du devoir accompli ?

J’ai, en partie, répondu déjà dans une précédente question au fait de l’aboutissement de l’EPCC. Avoir le sentiment du devoir accompli ? Est-ce que tout est accompli dans l’action que l’homme mène et poursuit ? Je n’en suis pas certain. J’ai toujours recherché à rassembler les femmes et les hommes sur des convictions et à mettre en oeuvre les moyens nécessaires , même faibles. Après 37 ans de vie publique et 27 consacrés à différents mandats, je me sens capable de dire qu’il y a encore beaucoup à faire, que nul n’est indispensable, et que la relève existe pour continuer la mission de l’action destinée au meilleur développement de la bande dessinée, véritable expression culturelle reconnue définitivement. Il suffit de voir la production universelle du 9ème art. Aujourd’hui, le Festival d’Angoulême est la référence, il ne faut surtout pas le "marchandiser" et le banaliser. Avec Francis, Claude et moi-même nous avons créé le concept fondamental d’ "Angoulême-BD, BD-Angoulême" C’est un binôme du type "Appellation d’Origine Contrôlée" à l’image d’un autre produit charentais qu’est le Cognac. C’est à dire que c’est un concept de développement d’un produit noble, le 9ème art, arrimé sur un territoire, tout aussi noble. Alors, le festival confié à un prestataire extérieur sur une longue durée ? Après tout, pourquoi pas ? On peut le comprendre pour faciliter l’opération événementielle.... Mais à condition que l’on respecte les fondamentaux et donc, que l’on contracte sur des bases inaliénables de l’Appellation d’Origine Contrôlée, "AOC". Cela peut être un moyen de donner au festival une nouvelle dimension. C’est vrai, l’association du festival aurait pu " conventionner " avec l’EPCC, cela aurait pu se faire, cela aurait été plus élégant, cela aurait été plus solide, cela aurait été plus pérenne, et le prestataire toujours en place, mais les tâches humaines ne sont pas toutes infaillibles.

Vous avez ménagé un projet particulier pour animer votre retraite : la création d’un festival en Arménie ! Qu’est-ce qui vous a mené à ce projet ?

L’occasion a été donnée de rencontrer au dernier festival un dessinateur de talent, auteur et artiste arménien. Laurent Mélikian, découvreur de la BD dans les pays les plus reculés, nous l’a ramené à Angoulême. Jean Sirapian venait d’éditer Les 7 boules de cristal d’ Hergé traduit en arménien.Tous les trois, d’une manière instinctive et solidaire, avec nos parcours complémentaires, nous avons voulu répondre à la demande de cet auteur, Tigran Mangassarian : venir en Arménie , créer une École de bande dessinée. Avant cela, notre réponse a été de lui dire, mesurons d’abord l’impact
de ce moyen d’expression dans ton pays et ensuite, nous t’aiderons à concrétiser tes projets. Nous avons établi un plan de travail pour organiser un évènement de type rencontres professionnelles, d’exposition des collections du CNBDI ouvertes au grand public, de conférences sur la bande dessinée francophone. Nous avons effectué un voyage de repérage. Nous avons été reçu par son excellence l’ambassadeur de France, la Ministre de la Culture d’Arménie, etc. Le projet prend forme, des dessinateurs seront reçus par la République
d’Arménie. Le ministère des affaires étrangères français élabore une convention de partenariat avec le CNBDI pour ses ambassades dans le monde dont bien sûr l’Arménie bénéficiera. Enfin, voilà les grands principes d’une nouvelle aventure. C’est vrai, je ne vais pas avoir le temps de souffler que déjà, il me semble m’investir comme il y a 35 ans , dans la création d’un nouveau festival et toujours à trois. C’est passionnant d’être au service de l’autre par la bande dessinée.

Propos recueillis le 13 janvier 2008.

Jean Mardikian et Tigran Mangasarian
Photo : Laurent Melikian

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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En médaillon : Jean Mardikian. Photo : DR

Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême
Du 24 au 27 janvier 2008
Réservation et renseignement sur le site du Festival

 
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2 Messages :
  • Jean est pour moi une sorte de père et de repère dans la vie culturelle angoumoisine. Il le restera. Mais c’est aussi un ami, dont le départ de la vie politique ne parviendra pas à me priver. Je veux rendre hommage, comme vous à ce travail magnifique réalisé pendant 35 ans au service d’Angoulême et à sa contribution toute particulière pour le Festival de la Bande Dessinée. Il a sans doute fallu beaucoup d’efforts, d’opiniatreté, mais aussi beaucoup de passion pour la culture, de curiosité pour les autres, d’imagination toujours pétillante, pour servir aussi loyalement et efficacement 3 maires d’Angoulême. La culture n’est pas un choix naturel en politique. C’est toujours un acte de courage, un acte de foi qui dérange. L’exemple de Jean nous montre que la culture, au bout du compte, peut devenir un facteur identitaire d’un territoire, un outil de développement. Je crois aussi, et je l’ai d’ailleurs inscrit dans le projet remis au nom du MODEM à Philippe Mottet, qu’Angoulême doit devenir à part entière une ville culture, un label. Je le remercie du fond du coeur d’avoir si parfaitement ouvert cette voie. J’espère que nous serons à la hauteur de ce bel héritage. Samuel Cazenave

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  • Bravo l’artiste ! A sa manière, il aura su repousser les cadres vers les cases, monter sur les planches, coincer la bulle au bon moment (sans onomatopées !), et cela sans faire bande à part... au profit du 9ème Art !

    Une institution, un label, une marque (jaune ?) déposée : en tout cas un gag(e) de qualité.. qui "me" permet de parler bande dessinée dans un cadre pédagogique et scolaire dans la région d’Angoulême ; merci pour celà aussi.

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